Le hors-genre en tableaux

Le un comme l’angoisse

Le un comme l’angoisse, Mathonnière, 2002, acrylique, 80 x 60 (cm), Ste Gemmes sur Loire, Mais-Encore – CESAME, © droits réservés. 

Cette rubrique est composée de portraits tous très expressifs mais aussi très énigmatiques quant au genre de la personne représentée, et souligne l'importance des détails. En effet eux seuls permettent parfois d'inférer un genre aux visages peints par l'artiste. Ces détails sont essentiels parce qu'ils traduisent le fait que l'appartenance à un genre dépend d'éléments extérieurs « symboliques ». Parmi les attributs évoquant dans ces œuvres le genre, les plus communs sont la chevelure, la cravate, le couvre-chef ou bien encore le col. Ils relèvent tous de conventions culturelles.

Le symbolique permet de construire un imaginaire que le sujet habitera intimement : sa position sexuée étant sans doute un élément déterminant dans le rapport qu'il entretient avec lui-même et avec les autres. Cependant la souffrance psychique empêche parfois l'édification de cet imaginaire et perturbe l'adéquation du sujet au monde, l'exilant d'une position « phallique » qui le situerait dans la relation à l'autre. Le tableau de Mathonnière, Le un comme l'angoisse, introduit cette dimension de l'exil d'une réalité régie par le signifiant phallique et sa fonction organisatrice.

Cette œuvre est pour son auteur un autoportrait. Façonné à partir de lignes tracées sur des masses colorées, elles dessinent les organes sensoriels, les contours du visage et l'ébauche d'un vêtement. Les cheveux en brosse sont comme une excroissance de la chair du visage. Monique Ricordeau dit à propos de l'auteur et de son tableau : 

c'est un homme d'âge mûr, qui s'échappe de la réalité par moments, depuis longtemps, pour nous offrir une version poétique de la sienne quand le deux ou le trois sont soutenables. On le croit absent, il sait répondre présent. Avec une puissance esthétique qui rappelle la touche des créateurs de la matière et de la couleur. La machine corporelle s'enraye, et le délire se tait. La mort rôde, le un comme l'angoisse, ne peut se réduire à zéro. Il n'a pas fini ses comptes. Il laisse trop de tableaux.

Lorsque la structure psychique du sujet s'y prête, la « rencontre » avec la différence des sexes, justement parce qu'elle n'est que différence symbolique, peut en effet parfois déclencher une angoisse irrépressible et entraîner chez ceux et celles qui en font l'expérience, l'effondrement de leur imaginaire. Le registre du désir n'est pas pour tous accessible, comme le prouvent l'immobilité et la passivité de nombre de personnes hospitalisées en psychiatrie.

Portraits

Des artistes peintres extérieurs à l’hôpital viennent parfois apporter leur concours au travail de l’atelier et à l’organisation des expositions. L’un d’eux, Christophe Altayrac commente ainsi les œuvres présentées sur ce site.

« Ma première réaction en regardant l’ensemble de ces peintures fut de me dire qu’il n’y avait là que des portraits, ou des représentations de l’humain. Est-ce à dire que leurs auteurs n’ont principalement que cette préoccupation : exprimer l’être ? Être seul, être ensemble, être meurtri, être défiguré, être sans ou avec sexe…Ou n’est-ce pas là le reflet de ce que les personnes qui les encadrent attendent d’eux ?

Par ailleurs la rareté de marques d’académisme témoigne d’une liberté que sans doute beaucoup d’artistes aimeraient secrètement retrouver. Car grâce à cela, l’académisme n’étant pas une priorité, ni un possible piège, l’auteur se consacre exclusivement à la suggestion, symbolique ou non, parfois seulement par la couleur, le jeu d’ombre, parfois par la fragilité de la forme, plus ou moins volontairement. La suggestion participe à  la force d’une œuvre. Car elle renvoie le spectateur à sa propre histoire. Elle le contraint à s’investir dans l’œuvre, à y fouiller, à la rencontrer avec instinct. Tapiès disait : L’art agit sur notre sensibilité ordinaire, et non pas exclusivement sur notre entendement .

En revisitant cette galerie nous sommes immergés dans un bain de sages fantasmes. Et c’est pour cela, partagés entre le caractère grave de chaque image et sa face tumultueuse, que nous sommes invités à faire halte à chaque tableau, à nous y plonger malgré nous. Est-ce que cela même fait de chacune une œuvre d’art ? »
Christophe ALTAYRAC artiste peintre et sculpteur

Pas de corps, pas de sexe