Ambiguïté
L'ambiguïté entretient le doute sur l'identité et la dénomination de la chose vue. Aussi lorsqu'une forme est ambiguë, elle oscille entre deux signifiants et on ne peut trouver de consensus qui permettrait d'affirmer sa nature exacte. L'ambiguïté jette un voile de confusion sur l'existant. Lorsque l'ambiguïté porte plus particulièrement sur le sexuel, le genre n'est alors plus déterminable. Mais l'ambiguïté n'est-elle pas justement avant tout sexuelle ? Les signes anatomiques ne sont pas suffisants pour fonder l'appartenance masculine ou féminine, qui chez l'humain relève avant tout du langage, du social et d'une position subjective.
C'est ce que renvoie le tableau de Paul dont le personnage de gauche semble appartenir au genre féminin en raison surtout de sa tenue vestimentaire (une robe), de sa longue chevelure et des traits fins de son visage. Mais les deux autres personnages qui l'accompagnent et qui ont pourtant les traits aussi fins sont inclassables. Le personnage du fond porte une robe, mais ses yeux et son nez dessinent des points d'interrogation et la lettre « f » comme « femme ? » ; sa coiffure est imprécise, son écharpe se transforme en barbe rouge pointue et laisse penser qu'il pourrait s'agir d'un homme. Quant au dernier personnage au crâne rasé, la forme de son visage peut aussi bien être féminine que masculine. Nul autre indice ne permet de le situer sexuellement dans un genre.
L'ambiguïté de la représentation sexuée se retrouve très fréquemment dans les œuvres des artistes de l'atelier. Voici d'autres exemples de l'ambiguïté comme genre.
L’ambiguïté comme genre ?
Bien des œuvres d’artistes « spontanés » reflètent un rapport ambigu à la sexuation, qui les place dans une position subjective particulière. Non pas « ni hommes ni femmes », mais en dehors de ce qui constitue la différence sexuelle elle-même en dehors du registre phallique : en position « hors phallique » (et pas « non phallique »).
Cet aspect des choses est très bien illustré par le tableau qui pourtant s’intitule L’homme idéal. En effet cet homme qui est désigné comme tel par son auteur n’a rien de masculin.
Ces yeux aux longs cils, ses mains aux ongles vernis, le vêtement à pois et ses cheveux bouclés traduisent une certaine féminité qui contraste avec l’intention du peintre. Le fait que les lunettes ne soient pas en correspondance avec les yeux signifie peut-être que le regard que porte son auteur sur l’identité sexuée est de fait décalé.
Le tableau Les trois anges est lui plus « direct » quant à l’indétermination sexuée. Ces trois personnages renvoient une impression de félicité virginale, leurs sourires énigmatiques et la paix de leur visage s’inspirent peut-être de l’expression de Mona Lisa. Issue bien sûr d’un modèle, cette réalisation est représentative de la position « hors phallique » du sujet, à la fois désexuée et totalisante. C’est pour cette raison que la représentation humaine adopte ici la figure sexuellement non différenciée de l’ange qui est un être non séparé et non castré.
L’évolution de l’être humain présente une projection futuriste du devenir de l’humain. Pour Bill, l’homme et la femme sont représentés par une seule et même figure, qui réalise un troublant et fascinant deux en un : le tableau représente plusieurs personnages aux formes légèrement différentes qui campent les modèles de l’évolution humaine au cours des âges futurs. Ces figures sont accompagnées de commentaires et l’on s’aperçoit que la légende qui accompagne ainsi certaines d’entre elles indique un laconique l’homme et la femme de l’an 4999000000 par exemple.
Pourtant, il s’agit d’un commentaire qui semble se référer à un seul et même personnage au sexe ambigu, et non à deux d’entre eux, comme il faudrait s’y attendre ; ou en tout cas, il est fort difficile de savoir avec certitude à quel personnage se réfère le commentaire. Si les deux figures du premier plan évoquent en effet quelque chose de la virilité et de la féminité (ce sont les coiffures qui sont là déterminantes), celles du second plan demeurent très ambiguës. Chez Bill, l’anatomie de l’homme et de la femme est semblable : seules changent éventuellement quelques données « culturelles ».