Genré-e
La définition graphique du genre se précise d'autant plus que l'auteur du tableau adhère psychiquement à la réalité qui l'environne, et se dégrade souvent avec l'aggravation des troubles, en particulier lorsque ces derniers relèvent d'une structure psychotique.
Parmi les œuvres de l'atelier Mais-Encore, la représentation du genre n'est donc pas toujours absente, comme en témoigne ce magnifique visage d'homme qui ne laisse aucun doute sur son appartenance sexuelle. Les contours du visage, la coiffure, l'ombre de la barbe, la pomme d'Adam, composent clairement une figure masculine. L'auteur de cette œuvre techniquement très aboutie a réalisé également deux autres pastels où l'opposition homme-femme est nettement marquée
Toutefois, chez d'autres artistes, les images genrées ne sont pas toujours dépourvues d'ambiguïté, ainsi que le prouvent le décalage entre certains titres et la représentation qu'ils désignent ou bien encore l'incertitude du trait qui confère au tableau une allure étrange susceptible d'entraîner dans un second temps une perplexité sur le genre qui est censé être représenté.
Représentations genrées
Voici deux autres pastels de Philippe L. et une huile de Mathonnière qui marquent sans ambiguïté la différence des sexes.
La danseuse et Le Minotaure illustrent parfaitement la référence de l'auteur à la culture artistique et son habileté graphique. La danseuse aux formes féminines généreuses a une attitude gracieuse et stylisée qu'amplifient encore ses « pieds » de sirène. Le Minotaure a les bras qui s'agitent et forment ainsi un éventail de mains-sabots captateurs que la forme centrale, phallique, confirme dans leur intention sexuelle. Ses pieds, allongés comme ceux de la danseuse, ne rendent pourtant pas le même effet de « queue de poisson » parce qu'ils évoquent plutôt une assise solide : campé sur ces deux extrémités démesurées, il semble attendre sa proie d'un regard fascinant.
Ces deux tableaux qui constituent un diptyque, ont une forme commune : la position et la taille de l'œil, celle des bras et des mains, la démesure et la morphologie des « pieds », le galbe des cuisses. Les signes de la différence des sexes sont néanmoins fortement soulignés et accroissent l'impression de complémentarité de ces deux pastels. Cette représentation, à la fois personnelle et inspirée par une culture picturale évidente, est soutenue par la certitude du trait, par la fidélité anatomique qui s'impose dans la liberté de la forme, par la référence mythologique, et par la composition en diptyque qui sépare et rassemble les deux parties de l'œuvre.
L’œuvre de Mathonnière est abondante et très personnelle. L’auteur n’a pas appris à peindre en école mais a su trouver dans la peinture un art qui le passionne et par lequel il parvient spontanément à des productions dont la force d’expression est remarquable.
Ce tableau, Le mineur, est l’un de ceux où l’appartenance au genre est le plus manifeste, car bien d’autres œuvres de ce peintre comme certaines qui sont présentées dans cette exposition, effacent plutôt les différences et gomment les signes anatomiques. Dans ce tableau cependant, la figure traditionnelle d’un mineur casqué, bleu ardoise, émerge d’un chaos de couleurs pour s’imposer au premier plan et dominer la composition de ses yeux tristes et attentifs. C’est le spectateur qui se sent regardé par l’œuvre, appelé par elle à songer au monde d’où cet homme surgit lentement à mesure que son œil s’accoutume à reproduire la forme contenue dans l’enchevêtrement des coups de pinceaux multicolores.
Genré-es, mais…
Les œuvres présentées ici sont genrées, mais pas sans ambiguïté. Leur titre, leur forme, leur apparente signification, invitent à s’interroger sur la certitude « sexuée » qu’on avait cru tout d’abord y percevoir.
L’Africain est un tableau de Lisa, très lumineux et chaleureux. Parmi ceux qui le regardent pour la première fois sans en connaître le titre, beaucoup considèrent qu’il s’agit là d’une femme, tandis que d’autres maintiennent qu’ils voient clairement un homme.
Nous n’avons pas fait d’analyses statistiques des réponses car ici, ce qui compte vraiment n’est pas de savoir où tend la majorité, c’est plutôt le désaccord évident entre les spectateurs. L’ambiguïté de genre de cet « Africain » devient alors incontestable, la moustache s’inverse en forme de lèvre charnue, la boucle d’oreille ne prouve rien, et le reste du corps ne parvient pas à « trancher ».
Dominique et Bruno, de Sylvaine, présente un autre type d’ambiguïté. Le titre bien sûr est lui-même rendu ambigu par le prénom « bisexué » de Dominique, mais l’image est également très intéressante. Ce n’est pas le corps cylindrique des personnages qui révèle leur genre anatomique, mais leurs vêtements pourtant très simplifiés dont un détail attire l’attention.
La robe rouge du premier possède deux lignes marron qui évoquent inévitablement le pantalon, tandis que celle du second, de couleur verte, est lisse et unie.
Ce n’est presque rien dans la composition, cependant ce détail qui saute aux yeux montre que la différence des sexes ne porte pas ici sur l’anatomie mais sur les attributs et les ornements extérieurs.
La femme idéale, de Victor, révèle encore une autre ambiguïté. Ce grand visage au sourire inquiétant est encadré d’une masse de cheveux clairs qui retombent de chaque côté jusqu’à paraître se transformer en pattes peut-être griffues reposant sur le sol, dans une position qui évoque celle d’un sphinx…ou d’une « sphinge ».
L’idéalité de cette femme a t-elle alors un quelconque rapport avec celle à laquelle dut s’affronter Œdipe sur la route de son destin ? Dans le regard de cette femme idéale qui se détourne du spectateur pour se poser ailleurs, captivée par un spectacle qu’on ne voit pas, il y a peut-être une espérance : celle que son immense sourire ne soit pas celui d’une Mère dévorante aux pattes de lion, mais celui d’une libératrice qui rende enfin à celui qu’elle n’emprisonne plus un espace personnel pour se construire.
Enfin, La femme amputée, peinte par Horace, est encore plus énigmatique. Deux personnages, l’un à droite doté de seins mais sans autre trace sexuée, et l’autre à gauche et au premier plan dont le pubis est représenté mais qui ne possède pas de poitrine.
On pourrait dire à première vue que le personnage au premier plan est un homme et l’autre une femme, si n’était ce détail étrange. La représentation de cette femme amputée ou plutôt de ces femmes amputées chacune d’une part de leurs attributs évoque une dissociation du corps. L’indéniable beauté du dessin des personnages est « coupée » par la massive et sombre structure centrale qui les isole l’un de l’autre et qui est peut-être la représentation la plus inquiétante de cette amputation donnée dans le titre.