Monstres

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Sans titre, Bill, 2001, crayon de couleur et pastel, 30 x 20 (cm), Ste Gemmes sur Loire, Mais-Encore – CESAME, © droits réservés. 

Le monstre, qui est une forme esthétique à part entière, permet tout à fait de rendre compte du troisième genre, celui dont Aristophane tient tant à convaincre ses compagnons de banquet. Il possède en effet par essence la particularité d'être extra-ordinaire : hors-sexe, hors-temps, hors-nature. Certes il figure l'anormalité, ce qui échappe au contrôle de la nature, mais en contrepartie il paie le tribu de son unicité en ne pouvant se reproduire. Car le monstre est œuvre-création. Il permet d'entrevoir ce que la nature recèle de pouvoirs et d'imagination en proposant des formes inédites qui pour certains ont valeurs de présage du fait de leur unicité.

Ainsi lorsque le monstre apparaît dans les représentations, c'est le plus souvent doté d'attributs hors du commun qui peuvent être phalliques mais pas forcément sexués. Dans le tableau de Bill, on peut observer de nombreux attributs phalliques : l'arme, les bouches dentées agressives, les griffes des mains et des pieds. Il semble également doté d'un sexe, qui comme par hasard n'est pas un sexe masculin. En effet au milieu du ventre, le trou est désigné par le mot « sexe » comme s'il s'agissait d'un sexe de femme, en creux, alors que l'ensemble de la figure est bel et bien plus  masculine que féminine.

La répétition d'éléments sensoriels ou d'organes est également une autre composante classique de la forme monstre qui mérite d'être soulignée. Ici la répétition des yeux, des bouches et des bras est précisément caractéristique. Pour autant, parfois le même organe peut aussi être unitairement représenté alors même qu'il est binaire chez l'homme en général. C'est le cas de l'œil, qui chez le cyclope par exemple est unique. Cette esthétique de l'unité peut aussi être celle du monstre qui par essence est voué à ne pouvoir se reproduire et engendrer. Par ailleurs il est remarquable de constater que la silhouette de ce monstre est humaine en raison notamment du fait qu'il se tient debout et qu'il possède des cheveux. Or ce trait ne caractérise pas le monstre, bien au contraire, puisqu'en général il est non-humain ce qui ne signifie pas inhumain.

Le monstre

Le monstre ou les monstres sont des entités esthétiques présentes dans toutes les cultures depuis des temps immémoriaux. Ils s’inspirent à la fois de données concrètes issues de l’observation d’êtres tératologiques et de créations imaginaires. Les monstres sont des créations psychiques individuelles dont les formes peuvent être catégorisées.

C’est dans les récits de cauchemars que les monstres se logent le plus souvent. Ces récits, toujours fortement personnels, font référence à ce que Freud dénomma les mythes endo-psychiques (Lettre à Fliess n° 78 (12.12.1897)). Il constate en effet qu’il existe des correspondances thématiques entre les mythes personnels et les mythes fondateurs de la culture. De fait les monstres sont avant tout présents dans les récits mythologiques plutôt que dans les contes qui sont d’abord des récits d’initiation dans lesquels le sujet doit affronter ses peurs pour se dépasser et trouver son chemin. Les contes sont souvent écrits pour permettre au sujet de se situer dans un groupe social et introduisent des données morales, le bien et le mal, le bon et le méchant, et des personnages précisément nommés, ogre, loup, sorcière, etc. Les mythes, eux, sont des récits qui fondent les lois et les interdits d’une culture. Aussi lorsqu’un sujet, dans son imagination, dans ses rêves, dans ses créations, évoque le monstre, ce n’est pas pour chercher à se dépasser, ni pour répondre à un quelconque défi, mais pour déchiffrer une vérité qui concerne son être, sa nature pulsionnelle. Car les monstres ont notamment pour fonction d’interroger le vivant et les conditions de son existence, de renvoyer au sujet ce qui est possible ou non, de traduire ses inquiétudes et ses interrogations face à la sexualité, à la reproduction, à l’image idéale de l’autre. Enfin, lorsque le monstre est associé au monstrueux – ce qui n’est pas systématiquement le cas – il permet aussi d’éprouver la raison d’être de la loi et des interdits.

Bibliographie

Virginie Martin-Lavaud, « Le monstre… hors-genre, hors-territoire », dans Le Genre des territoires, Angers, Presse de l’Université d’Angers, 2004. - Gilbert Lascault, Le monstre dans l’art occidental, Paris, éd. Klincksieck, 1973. - Jean Céard, La nature et les prodiges, Genève, Droz, 1996.

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Le Yéti,  Bill, 2001, crayon de couleur et pastel, 40 x 50 (cm), Ste Gemmes sur Loire, Mais-Encore – CESAME, © droits réservés.

Le non-humain

Ces tableaux évoquent des représentations humaines mais s’en éloignent aussi sensiblement. Ils possèdent des caractéristiques étranges et inquiétantes propres aux monstres qui sont non humaines mais pas inhumaines. Ces figures sont de pathétiques caricatures de nos affects d’angoisse et permettent de rendre compte des limites de la représentation du monde, du temps, de l’espace et de l’espèce. En effet, le monstre est une figure universelle qui illustre l’irreprésentable en notre inconscient.

Le tableau peint par Bill, s’intitule Le Yéti, la bête des grandes hauteurs, celle qui en Népalais signifie la chose parce qu’elle échappe à la saisie visuelle, à la nomination, à la reconnaissance, et qu’elle habite des régions qui ne seraient pas viables pour les êtres humains.

Celui de Paul se nomme E.T. et fait référence à l’inconnu, au devenir autre du temps. Paul en parle comme suit : « Le profil d’E.T. extra-terrestre, le pastel, la tendresse des couleurs, avec l’agressivité des couleurs vives contraste à l’œil, une force du peintre ».

Il est très proche du tableau de S. Ruel, Souffrance dans la tête, qui présente lui aussi un être spatialement et peut-être biologiquement éloigné des hommes, un être solitaire qui semble à la fois radicalement différent et dont pourtant la douleur perceptible ne laisse pas indifférent.

Son auteur a voulu représenter la souffrance extrême, celle justement qui isole chaque être dans son monde, dans son enveloppe physique, au risque de devenir effectivement étranger aux autres. Elle commente ainsi son tableau : « C’est la souffrance du corps et de la tête. C’est la souffrance humaine en permanence. Un corps qui saigne ».

C’est un homme, P. Cadeau, qui a peint L’automate. Cet automate renvoie à l’absence de vie et à une fixité technologique qui illustrerait ce que peuvent être la mort psychique et la mort physique. Les rayures sur son visage sont comme des plaies ouvertes et celles de  son costume comme les barreaux d’une cellule.