Séduire
Un salon de thé, lieu de rendez-vous, comme il en existe à Paris, dès la fin du XIXe siècle, certains cafés servant aussi de lieux de rencontre entre femmes. Au premier plan, une femme habillée de manière masculine, dans une posture masculine, un bras éloigné du corps. Au second plan, un couple, où joue la complémentarité du genre masculin pour la femme de droite, féminin pour celle de gauche, couple rapproché par un geste typique de la séduction amoureuse moderne : donner du feu. La caricature est discrète, la valeur documentaire du dessin paraît solide. La position assise de ces dames ne laisse pas deviner la jupe, qu'elles abandonnent très rarement. Le dessinateur Chas Laborde n'est pas malveillant ; il fait sourire, comme tout le numéro sur les "mesdam'messieurs" de L'Assiette au beurre, célèbre journal satirique de la Belle Epoque.
Ce que l'on pourrait appeler, faute mieux, la « masculinité lesbienne » domine dans les représentations plus ou moins fantasmées des « tribades » (ainsi, pour la médecine légale, c'est un signe qui ne trompe pas). Une pratique qui existe dans les milieux aisés comme dans les milieux populaires.
L'homophobie a un effet paradoxal : d'un côté, elle expose à la vindicte des femmes qui jouissaient plutôt jusque là d'une relative invisibilité sociale; de l'autre, elle cristallise la conscience d'appartenir à un groupe social particulier et suscite un mouvement d'affirmation qui passe, notamment, par le langage des apparences. Le travestissement participe à la construction de l'identité lesbienne moderne.
Représentations lesbophiles/phobes
L’hostilité au travestissement est à rapprocher de l’homophobie. Les travesties sont souvent soupçonnées d’être homosexuelles. Au tournant du XIXe et du XXe siècle, toute une littérature étale son obsession du saphisme, dépeint comme une perversion, motivé par la haine des hommes, associé à la stérilité et au déclin démographique, et d’autant plus menaçant qu’il s’affiche au grand jour dans la sphère publique.
L’image de la travestie est aussi celle, médicale, que diffusent les psychiatres élaborant la notion d’inversion sexuelle, qu’ils associent à l’adoption des apparences du sexe opposé.
En 1912, ce dessin de L'Assiette au beurre montre aussi des lesbiennes au café. Une vingtaine d'années plus tôt, le dessinateur Jean-Louis Forain montrait déjà des lesbiennes en veste et jupe, fréquenter un café de Montmartre, Au rat (dessin paru dans Le Courrier français, 14 décembre 1890).
La masculinité lesbienne : une pratique également populaire
La documentation sur les lesbiennes des milieux populaires à cette époque est très rare. D’où l’intérêt de la description de la transformation de « la belle Viviane », trouvée au dos d’une carte postale datée de 1925 (source) :
« Une nouvelle à t’apprendre : hier samedi après-midi, j’ai reçu la visite de la belle Viviane. Mais tu sais, je n’en suis pas encore remise. Figure-toi qu’elle était avec une poule… Viviane était habillée en homme, elle avait les cheveux coupés courts comme les hommes. Elle avait un costume noir, un pardessus en ratine bleu marine, des souliers vernis et des guêtres grises. Tout à fait un homme : un béret bleu et la cigarette au bec… Tu parles d’une entrée ! Nous étions nous deux Pauline à la boutique et nous étions comme deux imbéciles. Tu sais, je ne peux pas encore le croire. Elle m’a dit : voilà ma femme. Elle m’a dit qu’elle allait revenir me voir… Elle a essayé de me peloter, mais moi, je me tenais à carreau (sur mes gardes). Elle m’a dit que sa femme me trouvait de beaux yeux. Tu vois pas que… » (La citation de cette carte postale s’arrête hélas ici.)