Garçonner

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Couvertures du roman de Victor Margueritte, ‘La Garçonne’, Flammarion, collection « L’Amour » (4,50 francs), tome I et II, Edouard Chimot, 1939, © Flammarion. 

Avec la garçonne des années 1920, la masculinisation trouve enfin une légitimité : elle est à la mode, fait "jeune", donne un genre "artiste" et ambigu, exprime la "modernité". Cheveux et jupes sont raccourcis. C'est une révolution assez brutale même si les modèles de Paul Poiret, avant 1914, et la mode de guerre l'annonçaient.

En 1922, le roman de Victor Margueritte, immense succès et scandale retentissant, donne un nom à ce phénomène de mode et de mœurs.

Ces deux couvertures signées par Chimot, illustrateur à succès, ayant une prédilection pour les nus et déshabillés féminins, ornent une édition de La Garçonne dans une collection bon marché. Elles donnent à voir la métamorphose de l'héroïne éponyme, une Monique Lerbier crédible. Toutefois, son style appartient plus aux années 1930 qu'aux années 1920 (plus typique des Années folles, la première édition illustrée (coloriée au pochoir) est due à Van Dongen. La jeune fille féminine, en garçonnant, se transforme en créature androgyne, à l'image de la mode qui s'étale dans les publicités, les publications.

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Les culottes de la Parisienne, Ben, 1911, carte postale, Paris, Bibliothèque Marguerite Durand, © BMD.

Prémisses de la garçonne : la Parisienne de Paul Poiret

Paul Poiret (1879-1944) le couturier le plus novateur de la Belle Epoque, s’est installé à son compte en 1904. Presque aussitôt, il déclare la « guerre » au corset et lance une silhouette nouvelle, en ligne droite, la taille remontée sous la poitrine (style Directoire), dans des tissus fins. Promus par les beaux dessins de Paul Iribe et Georges Lepape, les modèles de Poiret sont aussitôt adoptés par la mode parisienne. Son goût marqué pour l’Orient inspire des pantalons bouffants recouverts d’une jupe courte et évasée portés par sa femme, lors de la soirée des « mille et une nuits » que le couturier organise en 1913. A Vienne, il fait scandale lors d’un voyage avec ses mannequins qui portent des jupes culottes. La police doit intervenir. La jupe-culotte se solde par un échec à la veille de la guerre mais le couturier reste persuadé qu’elle s’imposera tôt ou tard. Sans regrets pour le corset qui, écrit-il, « incarcérait » les femmes.

Paul Poiret est réputé être le « libérateur » des femmes, mais les véritables créatrices de la silhouette du XXe siècle sont des femmes : Chanel, Madeleine Vionnet. Et puis Paul Poiret est aussi l’inventeur de la « jupe entravée », effilée, serrée aux chevilles, obligeant à marcher à petits pas. Dans ses souvenirs, l’écrivain Maurice Sachs rapporte le malin plaisir qu’il a eu à suivre une femme portant ce genre de jupe, effrayée et incapable de courir… Féministe, Paul Poiret ? Pas vraiment, qu’on en juge par cet extrait de ses souvenirs, rappelant ses débuts dans sa propre boutique :

« C’était encore l’époque du corset. Je lui livrai la guerre. Le dernier représentant de ces appareils maudits s’appelait le Gache Sarraute. Certes, j’ai toujours connu les femmes encombrées de leurs avantages et soucieuses de les dissimuler ou de les répartir. Mais ce corset les classait en deux massifs distincts : d’un côté, le buste, la gorge, les seins, de l’autre, le train de derrière tout entier, de sorte que les femmes, divisées en deux lobes, avaient l’air de tirer une remorque. C’était presque un retour à la tournure. Comme toutes les grandes révolutions, celle-là s’était faite au nom de la Liberté, pour donner libre cours au jeu de l’estomac, qui pouvait se dilater sans mesure. Il occupait le dessous du lobe supérieur.

C’est encore au nom de la Liberté que je préconisai la chute du corset et l’adoption du soutien-gorge qui, depuis, a fait fortune. Oui, je libérais le buste, mais j’entravais les jambes. On se souvient des pleurs, des cris, des grincements de dents, que causa cet ukase de la mode. Les femmes se plaignaient de ne plus pouvoir marcher ni monter en voiture. Toutes leurs jérémiades plaidaient en faveur de mon innovation. Est-ce qu’on écoute encore leurs protestations ? N’ont-elles pas poussé les mêmes gémissements quand elles sont revenues à l’ampleur ? Leurs plaintes et bougonnements ont-ils jamais arrêté le mouvement de la mode, ou en ont-ils au contraire favorisé la publicité ?

Tout le monde porte la jupe étroite. » (source)

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Couverture de Clément Vautel, Madame ne veut pas d’enfant (Albin Michel), anonyme, 1924, papier imprimé, © Albin Michel.

La mode androgyne

Jamais la mode féminine n’a eu une allure aussi androgyne. Les cheveux coupés courts, « à la garçonne », sont vite adoptés par la jeunesse. A eux seuls, ils marquent un changement d’époque, et une nouveauté absolue. Les hanches et les fesses sont effacées par la coupe droite des robes à taille basse. Le corset n’est plus là pour étrangler la taille et faire bondir les seins. Les nouveaux dessous de la féminité sont légers, fluides, soyeux, simplifiés, et plus respectueux du corps. Les publicités montrent des petits soutiens-gorge qui tentent d’aplatir la poitrine et des gaines permettant de tenir les bas et d’amincir. La garçonne doit être mince. Elle doit avoir une allure adolescente. Jeunesse et minceur deviennent des impératifs catégoriques. La maigreur des modèles vaut celle de nos modèles actuelles. Tout un marché s’ouvre pour obtenir le poids désiré. La chirurgie esthétique est en plein essor. Elle rectifie si nécessaire les seins, que l’on aime discrets dans les années 1920. Bien des auteurs, tel Clément Vautel, rapprochent cette mode du néo-malthusianisme pratiqué à défaut d’être défendu par la population française de l’entre deux-guerres.

« Madame ne veut pas d’enfant » constate le journaliste, bien connu pour ses opinions antiféministes, car la grossesse déformerait son corps, son indépendance serait menacée… La garçonne ou l’ « égoïsme » de la femme « moderne ».

Si elle cède malgré tout au désir d’enfant, elle refuse d’allaiter, préférant le biberon, disent des journalistes qui voient là l’explication de la mode « garçonne » : les seins n’ont plus d’utilité. Tout ce qui pourrait rappeler corporellement la maternité est banni.

Le couple infertile montré du doigt par les conservateurs se veut égalitaire. L’illustration de couverture du roman de Clément Vautel est éloquente. Dans ce couple parfaitement gémellaire, on distingue à peine l’homme et la femme. Leur fusion est manifeste dans leur pose, la symétrie de leurs positions, le contact de leurs têtes et de leur cigarette, l’identité de leurs pyjamas rayés. Cette fusion abolit les sexes. Elle est androgyne.