Jeanne la théâtreuse
Jeune artiste suisse récemment installé à Paris, Eugène Grasset (1841-1917) est invité par l'actrice Sarah Bernhardt à dessiner l'affiche de son nouveau spectacle, la Jeanne d'Arc de Jules Barbier au Théâtre de la Porte-Saint-Martin en 1890.
L'œuvre est très applaudie de la critique mais mécontente la commanditaire qui fait modifier plusieurs détails. Dans un deuxième état de l'affiche, le visage remodelé n'est plus tourné vers le ciel mais vers les spectateurs ; la chevelure courte, rousse et crêpelée comme celle de Sarah, devient châtain et tombe sur ses épaules ; la jupe est pudiquement refermée. La composition, très dynamique, de l'image et la posture la main sur le cœur, restent cependant les mêmes. Ces traits rappellent les efforts d'efficacité dramatique d'une actrice qui retravaillait sans cesse sa gestuelle mais aussi ceux d'un dessinateur attentif à restituer une déclamation... particulièrement spectaculaire.
En mêlant des sources d'inspiration médiévale et japonisante, Grasset révèle ses talents d'affichiste art nouveau et son intérêt précoce pour la figure de Jeanne d'Arc, talents qu'il déploiera dans des dessins de vitraux et des illustrations de livres.
Grasset et la critique
Ils ont aussi été amusés par les retouches réclamées par Sarah Bernhardt, alors âgée de 47 ans et qui ne se trouvait pas « ressemblante » sur ce placard ou affiche (Marie-Claude Coudert, « Fin de siècle », in Jeanne d’Arc. Les tableaux de l’Histoire, Rouen et Paris, RMN, 2003, p. 142).
Extrait d’un article de Jules Adeline dans le Journal des Arts du 7 avril 1891 :
« La Jeanne d’Arc est à la fois – cela paraîtra bizarre à ceux qui n’ont pas vu ce placard* – empreinte d’un mysticisme moyenâgeux et de japonisme. La figure de la grande tragédienne à la voix d’or est hiératique, mais l’interprétation des fumées, fumées de la bataille ou fumées du bûcher, mais les lances et les oriflammes sont d’un modernisme bien étrange [...]. »
Jouer Jeanne d’Arc
Les planches de clichés avaient une double finalité : améliorer la qualité de la gestuelle théâtrale, en garder la mémoire. Une partie de ces photographies étaient aussi reproduites dans les programmes de spectacles, les magazines et sur des cartelettes-souvenirs vendues ou données.