Jeanne commercialisée
La popularité de Jeanne entraîne, dès le Second Empire, la prolifération de supports visuels, inédits et de petit format : images pieuses mais aussi cartes publicitaires et étiquettes commerciales.
Ces réclames pour des produits (notamment fromagers : Jeanne ne fut-elle pas bergère ?) et pour des emprunts de guerre et autres services (magasins de nouveautés, laiteries, etc.) insistent sur les aspects les plus dramatiques de la geste johannique. Des illustrations aux couleurs vives privilégient deux des stéréotypes de Jeanne (la paysanne et la cavalière) et accompagnent des textes, courts mais à gros lettrages, qui déclinent dénomination sociale, adresse et spécification des produits.
Principalement destinés à un public de ménagères urbaines, ces savoureux et parfois détonants assemblages mêlent Histoire, Art et conquête de marchés. Ces objets modestes sont inséparables du développement de la société de consommation, de ses commerces (grands magasins et boutiques spécialisées) et du marketing – efficace – des fabricants de produits nouveaux. Inséparables aussi de transformations de l'industrie (du papier, des fromages) et d'une alphabétisation croissante de leurs client(e)s.
Publicités françaises
Tributaires des stéréotypes de la beauté féminine, dominants à telle ou telle époque, ces images de Jeanne privilégient la guerrière en action au détriment de la mystique, qu’elle soit aux champs ou sur le bûcher. Cette Jeanne-là est sans doute trop éthérée et trop passive pour impulser un désir d’achat. Surtout elle est trop peu consensuelle dans une société française agitée par les combats politiques et les luttes confessionnelles que mènent républicains et monarchistes, anticléricaux et catholiques, pro et anti-dreyfusards, revanchards et pacifistes, activistes féministes et antiféministes.
Néanmoins, quand c'est une série d'images relatant les grands moments de la vie de Jeanne d'Arc, toutes ses facettes vestimentaires sont présentées. Une clientèle enfantine, ciblée par la chocolaterie Poulain, induit une stylisation pédagogique à mi-chemin entre l'illustration propre aux manuels scolaires (alors toujours en noir et blanc) et celle de l'imagerie pieuse, massivement polychrome pendant la Troisième République.
La séduction de ces vignettes en carton tient à à leur joliesse, à la précision historique des scènes présentées et de leurs commentaires et, plus encore, à la possibilité de les collectionner, pour le plus grand profit de l’entreprise qui les « distribue » et qui multiplie ainsi les désirs d’achat. Leur acquisition contribue à accroître la popularité de Jeanne comme héroïne nationale et – éventuellement – à répandre des discours subliminaux sur la méchanceté des Anglais et la duplicité du haut-clergé français, sur la clairvoyance des femmes et leur vaillance, a contrario aussi sur l’incompétence masculine. Des leçons d’hier pour l’aujourd’hui des consommateurs de la fin du XIXe et du premier XXe siècles?