Jeanne la sainte panthéonisée
Présente dans la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre, Jeanne d'Arc l'est aussi et en deux endroits dans l'immense église Sainte-Geneviève promue Panthéon. Dans le cul-de-four de l'abside qui sert de point de mire à l'édifice (1884), Jeanne a les traits, uniques en leur genre et pour cela méconnus, d'une brune et superbe Italienne. Son visage, triste et typé, est ombré de cheveux noirs mal taillés et s'éclaire de l'éclat incongru d'une boucle d'oreille en or.
Elle est l'œuvre du peintre Ernest Hébert qui l'a placée un seul genou en terre dans la partie gauche d'une gigantesque mosaïque à fond doré intitulée Le Christ montrant à l'ange les destinées de son peuple. Sûr dès le départ de sa composition, Hébert semble cependant avoir hésité sur l'allure à donner à Jeanne. Des esquisses préparatoires montrent des essais en tunique blanche, en robe à décolleté carré (de bergère ?), puis en cuirasse noire et luisante et jupe rouge, ainsi que des variations dans la longueur et la coloration de la chevelure.
Tout aussi grandiose mais moins original, le cycle conçu par Jules-Eugène Lenepveu (1890) permet à Jeanne d'Arc de figurer, en force, sur les murs du «temple de la nation».
La France chrétienne
Sur la mosaïque d’Hébert, grandiose mais rarement reproduite, on peut voir, à la gauche d’un Christ majestueux qui tient le Livre des destinées, la Vierge vêtue d’une robe blanche, posant une main protectrice sur l’épaule de Jeanne, tandis que figurent, à droite, l’Ange de la France, l’épée à la main, et sainte Geneviève.
La jupe rouge de Jeanne et sa main gauche, posée sur un genou (l’autre main tient la hampe de l’étendard), cachent en partie son épée. Cette habile posture permet de remplir l’angle du décor, elle synthétise aussi les contradictions d’un personnage difficile à représenter : le peintre doit d’abord la définir comme une femme (jupe déployée, fin pied qui en dépasse, boucle de gitane, bouche sensuelle jouent ce rôle), puis la montrer sainte et martyre (le visage souffreteux et le soutien de la Vierge la proclament telle) et enfin en faire une combattante pleine de fermeté (ce qu’avoueraient la cuirasse et l’étendard).
Ce sont là les trois facettes d’un même personnage, que synthétise avec habilité Hébert. Le peintre n’oublie pas cependant de nous rappeler qu’elle n’est « panthéonisée » sous la Troisième République qu’en raison de son rôle d’instrument de Dieu. Une inscription latine proclame au bas de la mosaïque : Angelum Galliæ custodem Christus patriæfata docet (le Christ enseigne à l’ange gardien de la Gaule les destins de la patrie).
Le cycle de Jules-Eugène Lenepveu pour le Panthéon
Peintre d’histoire couvert de gloire et grand décorateur d’édifices religieux et civils (dont le premier plafond de l’Opéra de Paris), Jules-Eugène Lenepveu (1819-1898) s’est vu confier en 1886 un ensemble de panneaux illustrant les grands moments de la Vie de Jeanne d’Arc pour le Panthéon. Il choisit d’éliminer le thème de la prison mais représenta celui de la bergère, de la prise d’Orléans, du sacre à Reims et du bûcher de Rouen, tandis que la frise au dessus des panneaux, plus réduite mais plus colorée, relate le départ de Vaucouleurs, une chevauchée, une scène de combat et un miracle posthume.
Cette peinture purement descriptive, statique et peu vive, où Jeanne se contente d’être « distinguée et mièvre » (le point de vue du critique d’art Jules Breton), est restée, aujourd’hui comme hier, peu appréciée des experts. Pourtant sa renommée fut immense grâce aux innombrables reproductions qui en furent faites. Un succès populaire qui reste à mieux comprendre et qui contraste avec l’impopularité relative de la Jeanne (trop singulière ?) d’Hébert (Christine Germain-Donnat, « Jeanne d’Arc en épisodes », in Jeanne d’Arc. Les tableaux de l’Histoire, Rouen et Paris, RMN, 2003, pp. 89-93 ; François Macé de Lépinay, Peintures et sculptures du Panthéon, Paris, Éditions du patrimoine, 1997, p. 32-35).