La citoyenne Marie Bonnevial (1841-1918)

Coordination scientifique : Corinne Bouchoux Véronique Fau-Vincenti

Retravailler en France

Lettre à Marie Bonnevial, Désiré Barodet, septembre 1885, papier et encre, 20,5 x 13,5 (cm), Angers, CAF, © CAF. 

L'interdiction professionnelle de Marie Bonnevial tombe de facto avec l'avènement de la IIIe République, mais l'ancienne institutrice ne retrouve pas pour autant son emploi.

Le recrutement des instituteurs se fait par une commission spécialisée d'élus, qui choisissent parmi les candidats. Il ne s'agit pas d'un concours, avec anonymat des copies et des corrections aveugles, mais d'un choix profilé. Seul le retour de la République permet aux libres penseurs de pouvoir retravailler. La compétition est rude, et les soutiens en amont, avant la commission, indispensables. Le député lyonnais Barodet n'hésite pas à aider Marie Bonnevial, à lui écrire et à s'engager pour elle, ce qui lui permet de décrocher un poste rue Ganneron, dans une école Elisa Lemonnier. Marie Bonnevial conçoit l'éducation comme un ensemble et s'investit dans l'éducation populaire en plus de son travail à l'école.

Chère Mademoiselle, je viens vous recommander très chaudement à mes collègues Mathé, Michelin Pichon et Dreyfus, membres du Conseil général de Paris, et j’ai laissé ma carte et votre nom à chacun d’eux. Vous êtes dix, paraît-il, à postuler l’emploi.
Dreyfus avait déjà engagé sa promesse à une de vos concurrentes, qui lui avait été recommandée par Sigismond Lacroix.
Les autres m’ont promis de tenir pour vous, Mathé notamment, qui est membre de la commission.
Je leur ai dit que vous seriez présentée par Desmoulins. Si le conseil vous propose vous serez certainement nommée. Toujours le préfet ratifie le choix du Conseil général.
Votre dévoué, Barodet.

Les écoles Elisa Lemonnier

Choquée par la révolution de 1848, Elisa Lemonnier s’engage avec son mari, militant saint-simonien comme elle, dans un combat pour le progrès social et l’égalité des sexes. Pour elle, le travail joue un rôle central : il est plus qu’un moyen de survie, il change le regard des hommes sur les femmes :

« N’attendez pas que les hommes agissent pour vous, agissez vous-mêmes et quand ils vous verront au travail il commenceront à vous prendre au sérieux ». (slogan cité par Linda L. Clark)

Epône ((S.-et-L.), L’Avenir Social, le réfectoire

Epône ((S.-et-L.), L’Avenir Social, le réfectoire, Editions Gandon, date inconnue, carte postale, 9 x 14 (cm), Paris, © BMD.

Mais le travail ne s’improvise pas, il s’apprend. C’est ce qu’a compris Elisa en voyant les difficultés de 200 femmes travaillant en atelier en 1848. L’éducation devrait amener des femmes au travail et les sauver de la déchéance. En 1856, la Société de protection maternelle conduit quelques femmes en formation près de Francfort. En 1862, Elisa Lemonnier fonde la Société pour l’enseignement professionnel des femmes, école libre non religieuse. Les écoles Elisa Lemonnier rassemblent en 1865 300 élèves et certaines d’entre elles (dans le XVIIIe arrondissement et dans le XIIe arrondissement où un établissement prendra son nom) sont reprises par la municipalité, signe de leur succès.

Au service de l’éducation populaire

Aussi Marie Bonnevial apporte-t-elle un soutien appuyé à l'œuvre de Madeleine Vernet (1878-1949), féministe pacifiste, fondatrice de l'orphelinat ouvrier l'Avenir social, aidée par sa sœur et par son compagnon Louis Tribier. Des éditions portent également le nom de l’orphelinat. En 1923, Madeleine Vernet sera évincée de l’orphelinat par des communistes devenus majoritaires au Conseil d’administration. En 1911, année de sa retraite professionnelle qui ne rime guère avec inactivité, Marie Bonnevial préface avec le socialiste Marcel Sembat l’ouvrage L’Avenir social : cinq années d’expérience éducative (1906-1911).