La citoyenne Marie Bonnevial (1841-1918)

Coordination scientifique : Corinne Bouchoux Véronique Fau-Vincenti

La pédagogie selon Marie Bonnevial

Lettre d’une ancienne institutrice à une débutante, Marie Bonnevial, 1910, papier et encre, 29,5 x 19,5 (cm), Angers, © CAF.

Marie Bonnevial ne se contente pas d'être une institutrice dynamique, charismatique et énergique ; d'après le témoignage de ses élèves, elle a une vision globale de son métier. Enseignante dans une école professionnelle de jeunes filles, privée à l'origine, puis municipalisée, Marie Bonnevial insiste auprès de ses élèves sur le rôle crucial de la prise de parole en public, la technique du discours, l'art de contredire sans provoquer. Dans une lettre à une institutrice débutante, Marie Bonnevial résume synthétiquement sa conception du métier d'enseignante.

Lettre d'une ancienne institutrice à une débutante

Ma bonne amie,

Vous me demandez mes conseils pour la tenue des votre (?) en classe de vos petites élèves.

Je vous transmettrai avec plaisir les leçons que j’ai reçues de l’expérience mais il faut avant tout ranimer votre courage et ne pas vous laisser abattre au premier échec : ne vous dites jamais, je ne réussirai point, je n’arriverai point à ce but : rien n’est impossible à une volonté ferme et ce mot doit être banni du dictionnaire de l’institutrice zélée.

Vos élèves, dites-vous, sont étourdies, distraites et sans énergie à la leçon ; et de tout cela, déchargeant tranquillement votre conscience vous en accusez leur caractère ou leur mauvaise volonté. Sans doute les élèves sont coupables mais le sont-elles seules et les premières ? N’y a-t-il pas un peu de négligence du côté de la maîtresse ? C’est ce qu’il nous faut examiner et ce qui nous fera peut-être trouver un remède à la surexcitation des unes et à l’indolence/insouciance des autres. Et d’abord apportez-vous à la leçon tout l’entrain qui doit l’animer ?

Comment l’esprit apathique du professeur sortira-t-il de cet engourdissement à une leçon où rien n’éveille son imagination où la  maîtresse elle-même ne paraît point animée des sentiments qu’elle réclame de ses élèves ?
Donnez donc à votre leçon un air de fête qui fera trouver au travail le plaisir du jeu sans cependant en faire un amusement, car les imaginations vives et exaltées y trouveraient leur compte et distrairaient leurs compagnes. Mais animez-la par des récits intéressants, qui seront en même temps utile [sic] au développement intellectuel. (…)
Mais surtout gardez-vous de leur donner des travaux au dessus de leur portée qui fatigueraient bientôt leur esprit, l’esprit est comme un arc, si on le tend trop on le rompt.
Habituez les élèves à parler beaucoup et bien, en leur posant de nombreuses questions et corrigeant s’il y a lieu leur mauvaise diction. Donnez enfin à la leçon un caractère dramatique si l’on peut dire.
Tout être pensant aime à recevoir satisfaction pour ses bonnes actions, et les enfants surtout à cause de la faiblesse de leur raison. Montrez-vous donc joyeuse et satisfaite toutes les fois que vos élèves auront bien répondu, et donnez à un travail bien fait vos encouragements pour soutenir leur bonne conduite.
Veillez surtout à ce que l’ordre et la discipline règnent dans la classe et que votre regard embrasse l’ensemble comme il doit pénétrer chaque élève en particulier.
Donnez quelques instants à la méditation de mes avis et tachez de les mettre à profit. Vous verrez alors nos petites étourdies devenir attentives et toutes être actives à la leçon et faire de très bonnes élèves. Vous-même encouragée par leur bonne volonté, éclairée de plus en plus par votre propre expérience, vous acquerrez chaque jour une nouvelle qualité, vous deviendrez ainsi une excellente maîtresse et vous trouverez de plus en plus de charme à l’enseignement.

Notice nécrologique de Marie Bonnevial parue dans « Le Droit des femmes », Maria Verone, février 1919, papier imprimé, 22 x 14 (cm), 4 pages, Paris, Bibliothèque Marguerite Durand, © BMD.

C'est le cercle vertueux de l'attention conciliée à l'expérience qui fait progresser les élèves avec l'enseignante que décrit Marie Bonnevial. C'est le postulat de la perfectibilité, des petits et des grands, et d'une interaction permanente et positive entre celui qui apprend et celui qui enseigne. L'enseignement est un métier, qui suppose des principes, des techniques, un apprentissage permanent.

Eloquence et militantisme

Jamais elle ne fait part en cours de son combat, mais parfois, elle ne peut s'empêcher de mentionner son militantisme féministe. Un jour qu'elle arrive aphone devant ses élèves, et ne peut que se saisir d'une craie et écrire au tableau de son écriture légèrement penchée :

« Mesdemoiselles, je suis aphone d'avoir hier trop défendu vos futurs droits » ("Notice nécrologique de Marie Bonnevial" parue dans Le droit des femmes, Maria Vérone, février 1919, page 3).

Sans être pour autant une théoricienne, elle témoigne d'une vision très affirmée de ce que doit être une bonne institutrice.

Très rôdée à la technique de la prise de parole, en classe, en conférence, en réunion administrative, en congrès, dans la rue, Marie Bonnevial met son savoir faire militant au service de l'enseignement, et sa capacité pédagogique à expliquer et faire comprendre au service du militantisme.