Marie Bonnevial journaliste à La Fronde

Les Lyonnais de Paris – Marie Bonnevial, article dans Le tout Lyon, Candaule, avril 1902, papier imprimé, Paris, Bibliothèque Marguerite Durand, © BMD.

Un journaliste lyonnais lui rend hommage

Qu’il me soit permis, tout d’abord, de regretter que le cadre et les allures de notre cher journal ne me permette point de développer comme je le voudrais cette curieuse physionomie qu’est Marie Bonnevial, rédacteur à la Fronde. Il faut que je vous confie, lecteurs, qu’une première biographie me fut refusée par l’ami Duvivier comme n’étant point dans la note du journal ; elle était, comment dirais-je… trop révolutionnaire ; il avait ma foi raison. Je vais donc m’arranger à ne point encourir le même reproche, seulement voilà ! Marie Bonnevial est un tel tempérament combatif qu’en restant un peu « guimauve » je risque fort de ne pas la faire connaître sous son véritable jour. Bien ou mal, je tiens à la présenter à nos lecteurs, car elle manquerait à notre « galerie des Lyonnais » si elle n’y figurait.
Mlle Marie Bonnevial quitta Lyon très jeune, après avoir couru l’Europe et notamment habité Constantinople. Elle revint à Lyon, d’où elle alla peu après se fixer à Paris où elle s’adonna à l’enseignement. Plusieurs fois rejetée de son sein par des ministres modérés, elle finit par y rester définitivement et y consacre encore la meilleure partie de son temps. 
A la fondation de la Fronde ses connaissances approfondies du monde ouvrier et en sociologie lui firent confier par Marguerite Durand la « tribune du travail » où depuis cinq ans elle écrit au jour le jour l’histoire du prolétariat en marche.
Au point de vue féministe et syndical, Marie Bonnevial occupe une des premières places.
C’est sûrement elle qui a le plus contribué au développement des syndicats féminins. D’une activité dévorante, nous la retrouvons dans la même soirée à la bourse du travail, dans plusieurs syndicats, dans une réunion publique, à La Fronde etc… et ce n’est que vers minuit que j’ai pu moi même l’aborder dans le grand hall fleuri de son journal, encombré de délégations féministes.
Elle voulut bien m’accorder un interview que je regrette de ne pouvoir reproduire ici, car sa parole est très écoutée dans le monde ouvrier qu’elle connaît à fond. Marie Bonnevial est trop connue pour qu’il soit nécessaire d’insister sur ses opinions socialistes évolutionnistes.
Elle est très en cours au ministère du Commerce, elle est membre de toutes les ligues et comités les plus avancés de Paris.
Quoi que n’écrivant que de courtes notes quotidiennes, son influence, nous le répétons, aura été plus considérable que celle de bon nombre d’écrivains, parce qu’elle a un très réel talent d’improvisation. Quand elle parle, c’est toujours avec enthousiasme, elle se donne entièrement ; mais cette fougue n’empêche pas la réflexion et les sages conseils qu’elle sait donner à propos, évitèrent souvent des désagréments aux agents de M. Lépine qui, en bon compatriote, la ménage.
Ses lundis, seuls jours qu’elle consacre à ses amis en son petit appartement de l’avenue de Clichy sont forts suivis. On y est toujours sûr d’y recevoir un accueil cordial et d’y coudoyer des gens intelligents qui ne partagent pas toujours ses opinions. Toutes les questions y sont tour à tour abordées et discutées et quand on en sort, on est émerveillé de la quantité d’idées agitées, d’aperçus nouveaux qui ont soudain jailli de ces conversations rapides. Vous auriez tort, lecteurs, de croire que seul le monde politique fréquente chez Marie Bonnevial ; on y rencontre de fins littérateurs, des spirites à la mode et des femmes presque aussi aimables que la « citoyenne » (C’est une appellation à laquelle elle tient). Mlle Marie Bonnevial fait gentîment les honneurs de son home, très 1793, et c’est toujours avec regret que l’on quitte ce toit hospitalier.
Par sa franchise et la droiture de ses attaques souvent violentes, mais jamais acerbes, elle honore notre profession et occupe une place honorable à côté de cette pléiade de journalistes lyonnais qui va de Cornély à F.I. Mouthon en passant par Etienne Charles, Schneider, Bertnay et plusieurs autres.
CANDAULE.

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Les pupilles du « Vooruit » de Gand reçues à la gare du Nord par Mlle Bonnevial dans La Vie illustrée, anonyme, août 1901, papier imprimé, 14 x 25 (cm), Paris, Bibliothèque Marguerite Durand, © BMD.

La notoriété de Marie Bonnevial

Marie Bonnevial est présente dans les ouvrages relatant l’histoire du féminisme, du socialisme ou de l’éducation, mais son itinéraire n’a encore donné lieu à aucune publication grand public permettant de la faire mieux connaître. Quelques noms d’écoles, peu d’avenues, de rues ou de boulevards, pas même à Lyon où son engagement républicain est passé à la postérité.

L’exploitation d’autres archives (CNFF au CAF d’Angers, archives de la Ligue des Droits de l’Homme rentrées de Moscou, archives du Droit Humain rentrées de Moscou) permettra peut-être de donner à Marie Bonnevial une postérité digne de son engagement.

On peut s’interroger sur le relatif oubli dans lequel est tombé Marie Bonnevial au début du XXe siècle. Elle pouvait en effet faire la une de La Vie illustrée, sorte de Paris-Match de l’époque.

Cette photographie illustrait un article intitulé : « Les Pupilles du « Vooruit » de Gand, à Paris ». Voici un extrait de son contenu :

« Il y a quelques jours, un télégramme de Bruxelles nous apprenait qu’un certain nombre de pupilles du Vooruit [plus haut, l’article en précise la définition : « temple de la religion socialiste belge »] venaient visiter Paris sous la conduite de leur professeurs. La nouvelle était des plus intéressantes ; nous avions hâte de voir, d’interroger ces enfants qui, dans notre génération, nous ressemblent si peu, en raison de leur éducation spéciale. Sans partager absolument certaines préventions qui soupçonnent les éducateurs socialistes d’enseigner le socialisme intégral aux adolescents, et de bercer les nourrissons avec le refrain incendiaire de l’Internationale, nous n’étions pas sans curiosité.
Or, lundi soir, à 5h40, nous étions à la gare du Nord, sur la voie 25, au moment où les pupilles du Vooruit, de gentilles fillettes de 8 à 15 ans, descendaient de wagon.

Leur costume est coquet, plus élégant que celui des Salutistes avec lequel, n’en déplaise aux barbes du parti, il cousine diablement. Le chapeau est mieux choisi, la jupe plus courte, enfin la cravate sang de bœuf éclate gaiement sur l’étoffe bleu d’outremer.
Elles descendent en sautillant, la mine un peu pâlie par la longueur du voyage.
Un de leurs professeurs, solide comme un Frison, lourd comme un verre de Diest, mais le visage ouvert, respirant la force et la santé, s’occupe du rassemblement. Nous nous approchons, entourés de délégués socialistes chargés de recevoir les pupilles et leurs professeurs.
 – Monsieur le délégué, soyez assez aimable pour permettre au photographe de la Vie Illustrée de prendre un instantané de l’arrivée des fillettes… Le citoyen Fribourg et ses amis y consentent, la citoyenne Bonnevial qui vient les embrasser au nom de la rédaction de La Fronde, n’y voir aucun inconvénient ; et M. le chef de gare et M. le commissaire spécial ne s’y opposent pas. »