Marie Bonnevial ovationnée à Angers
Il n'existe aucune trace photographique de la venue de Marie Bonnevial à Angers fin avril 1903. La description à la fois minutieuse et lyrique qu'en fait Le Patriote de l'Ouest témoigne d'une salle bondée et survoltée, et d'un charisme hors pair de l'oratrice.
Ci-contre, une photographie de la célèbre grande réunion des suffragistes françaises à Paris en 1900. Marie Bonnevial y préside les travaux face à une foule compacte de dames élégantes. Plusieurs hommes participent aux travaux.
Marie Bonnevial n'est pas une intellectuelle, au sens où sa pensée n'est pas un corpus structuré d'un point de vue théorique, mais plutôt une activiste militante, éducatrice dans l'âme. La rhétorique sert son enseignement qui lui donne une belle maîtrise de la parole, devant des assemblées diverses, mixtes et non mixtes. Sa voix bien placée, son ton juste, son sens de la formule, ses argumentaires construits et éloquents font d'elle une conférencière prisée.
Angers, une fête socialiste
Le Patriote de l’Ouest, 26 avril 1903 (Archives municipales d’Angers).
« C’est en effet à une véritable fête que nous conviaient hier les groupes socialistes, au Cirque-théâtre, fête de l’esprit où une femme admirable nous dit en termes exquis des choses charmantes, où le vaillant remueur d’idées qu’est Louis Maurice nous fit avec son éloquence habituelle un exposé de l’histoire locale […]. Le président présente alors de la plus heureuse façon, la citoyenne Bonnevial, dont il rappelle en quelques mots la vie, toute de dévouement à la cause socialiste, le passé héroïque, le noble exemple. […]
Et la citoyenne Bonnevial commence sa conférence.
Un vif mouvement de curiosité se produit. On n’entend pas souvent les femmes à la tribune des réunions publiques, et l’on n’a guère surtout l’occasion d’en applaudir qui apportent dans l’expression de leurs idées plus de clarté et de méthode, plus de concision, de charme, et de réelle éloquence dans le développement de leur discours. Madame Bonnevial dit en commençant la joie qu’elle éprouve en apercevant devant elle tant de jeunes participer à l’œuvre de l’avenir. Elle retrouve la même foi, la même ardeur qu’elle constatait il y a vingt ans déjà dans le parti ouvrier, où l’on comptait cependant un nombre extrêmement restreint de femmes socialistes. Le progrès a depuis marqué son œuvre et l’élément féminin vient peu à peu au socialisme. « Nous sommes humaines, et rien de ce qui est humain ne doit nous être étranger ». Pourquoi en effet les événements qui se passent dans une société pourraient-ils ne pas intéresser les femmes ? La simple ménagère a-t-elle le droit d’ignorer les lois ouvrières qui la concernent, auxquelles elle demeure soumise, souvent à l’égal de l’homme, quelquefois davantage, puisqu’elle est à présent dans de nombreuses circonstances obligée de travailler comme lui pour gagner sa vie et sous des conditions plus sévères. « Evidemment, poursuit la citoyenne – que l’auditoire ne se lasse d’applaudir – la grande majorité des femmes est encore indifférente ou hostile au mouvement qui se dessine, mais je ne peux en vouloir trop à mon sexe. Il a été si longtemps tenu à l’écart. Nous sommes durant de si longues années restées les petites Cendrillons qui n’ont jamais vu pétiller que les étincelles du foyer, notre servage intellectuel et moral, en un mot, a été si prolongé que logiquement, il ne peut en être autrement.
Mais il appartient à celles qui ont des idées avancées d’entraîner les autres vers les groupes politiques où se prépare la cuisine des nations. La femme apporte en effet sa très large part d’activité, de travail, c’est-à-dire de richesse à la collectivité-nation.
L’apport de la simple ménagère n’est-il point réel ?
Elle est mère, elle est pauvre, elle administre un tout petit budget pour l’entretien de la maisonnée, mais pour faire avec quatre chiffons la parure modeste de ses enfants, ne faut-il pas qu’elle soit lingère, tailleuse, modiste, ne faut-il pas qu’elle prouve une ingéniosité sans cesse en éveil, qu’elle dépense un effort intellectuel considérable pour tirer quelque chose de rien ?
Elle est aussi éducatrice. Elle prépare les petits hommes à devenir de bons citoyens, ses fillettes à comprendre un jour leur rôle de citoyennes. Elle enfante l’humanité morale future. C’est à elle en somme qu’il appartient de perfectionner la race ou de la déformer. Selon ses facultés et ses sentiments, les générations de demain seront meilleures ou pires. Elle doit par conséquent connaître ses devoirs sociaux et aussi ses droits, se dire que si la nécessité du travail s’impose pour elle dans la période actuelle, son activité laborieuse en vue du salaire pourra devenir facultative dans la période future, idéale.
Si elle est avertie, imprégnée de ces principes, la femme réalisera la vie harmonieuse, la vie de famille ! Ah ! La vie de famille, est-ce qu’elle existe aujourd’hui ? Non. Chaque jour, l’usine, l’atelier retiennent jusqu’au soir le père et la mère, que l’enfant, trop souvent, attend dans la rue. Or, la véritable forme de société qui peut créer la famille, c’est le régime socialiste, grâce auquel la réduction des heures de travail permettra un développement plus large de l’être intellectuel et moral. Enfin, constatation pleine d’espérance, la femme qui est curieuse de savoir ce qui se passe dans la société, vient prendre sa part d’autorité dans les groupements politiques, dans les syndicats, les universités populaires, etc. Elle se rend compte qu’elle subit les lois faites par ceux qui ne sont pas ses mandataires et qu’elle est cependant contribuable au même titre que l’homme. Elle apprend qu’elle a été privée de toute idée générale, de tout concept généreux par l’Eglise, l’intéressée qui lui a dit : « le péché est entré dans le monde par toi, tu es l’être inférieur ».
Elle sait aujourd’hui pourquoi elle a baissé la tête, accepté les conditions de sa servitude, si bien que par la force de l’habitude, elle est encore disposée dans la vie économique à accepter des salaires inférieurs pour des travaux de la qualité et de la durée de ceux qui sont fournis par les hommes. Et elle lèse ainsi la collectivité de ses semblables.
Il faut donc que les femmes entrent dans les syndicats, afin que les deux unités du couple humain s’entendent à réaliser le bonheur humain, à faciliter l’avènement de ce régime où les richesses produites par le travail retourneront directement aux mains qui les ont créées. »
Il faut que la vie soit élargie, que la beauté entre par nos yeux, nos oreilles, tous nos sens en un mot.
La femme a besoin du socialisme comme le socialisme a besoin de la femme comme a dit Vandervelde. Eh bien ! La femme est une merveilleuse propagandiste parce qu’elle est éducatrice. Elle peut faire beaucoup de mal, elle doit pouvoir pour la même raison faire beaucoup de bien. » Finalement, la citoyenne Bonnevial conclut : « Il n’est pas nécessaire qu’il y ait trois cents femmes dans cette salle pour répandre ces idées et assurer leur triomphe. Qu’il y en ait seulement trente de bien convaincues, elles ne tarderont pas en convaincre trois mille qui feront le reste ! » Une triple salve d’applaudissements a salué le discours de la citoyenne Bonnevialle et les derniers échos des ovations se font entendre lorsque le citoyen Louis Maurice prend la parole […].
« Les citoyens et citoyennes, réunis au nombre de deux mille, au Cirque théâtre d’Angers, le samedi 25 avril 1903 « après avoir entendu la citoyenne Bonnevial et le citoyen Louis Maurice […] déclarent que l’émancipation morale et matérielle, économique et politique des travailleurs, doit être poursuivie sans distinction de sexe ni de race […].»
Ce document a été signalé par Jean-Luc Marais, professeur à l’Université d’Angers, que nous remercions vivement pour cette précieuse indication.
Marie Bonnevial conférencière
Dans le fonds d'archives du CAF figure un texte de Marie Bonnevial sur les droits des femmes dans la société française. On constate que la plupart de ses interventions s'inspirent de ce document. Elle sillonne la France, au gré des rencontres, tenues (en maçonnerie), meetings, réunions publiques, et s'adapte à chaque foi avec une facilité étonnante à son auditoire. A Angers en 1903, elle parvient en peu de temps à saisir l'atmosphère locale et à enthousiasmer la salle.
Conférence publique ? Document de travail ? Brouillon d’un article ? Planche (texte préparé) lue en loge ? Notes prises lors d’un débat ? La nature du document « Égalité » n’apparaît pas de prime abord. C’est pourtant bien l’écriture de Marie Bonnevial, qui, sur plusieurs pages, développe une analyse favorable à l’égalité. Elle expose les raisons pour lesquelles l’égalité entre hommes et femmes doit être au centre de toutes les luttes sociales.