Jeanne-Baptiste de Bourbon, 31e abbesse de Fontevraud

Coordination scientifique : Patricia Lusseau

Le chef de la spiritualité de l'ordre

Pietà

Pietà, Charles Hoyau, 17e siècle, terre cuite polychrome, 41 x 27 x 19,5 (cm), Martigné Briand, Monastère de la Barre, © Musea. 

En tant que chef de la liturgie, l'abbesse préside aux offices religieux, notamment les plus importants (doubles de première classe du bréviaire romain ou considérés comme tels, hymnes du psautier). En plus des fêtes générales, elle peut célébrer, par autorisation pontificale, celles particulières à l'ordre. En 1644, elle fait imprimer le calendrier des fêtes particulières à Fontevraud. On constate la fidélité au rite romain, étant donné le privilège de dépendance immédiate du Saint-Siège et un attachement profond à la spiritualité de la croix. Les Fontevristes insistent sur les derniers moments de la vie du Christ et Jeanne-Baptiste de Bourbon affectionne ces "mystères du Christ".

Cette vénération pour la Passion du Christ correspond à l'esprit de l'Eglise romaine, de la Réforme catholique et surtout aux fondements de l'ordre. La référence aux dernières paroles du Christ, confiant saint Jean à la Vierge et réciproquement, permet de justifier avec ces liens de maternité et de filiation, l'autorité des femmes envers les religieux. À cause de cette spiritualité, les moniales rendent également une dévotion toute particulière à l'enfance de Jésus et à la Vierge de douleur, comme le montre cette Pietà de Charles Hoyau représentant "la majestueuse reine des douleurs tenant sur ses genoux le corps de son enfant mort" (Baudelaire, 1846), le Christ souffrant. La Fête-Dieu et les funérailles revêtent également un caractère important.

L'abbesse décide aussi des messes célébrées en l'honneur du roi ou de la famille royale. Elle possède donc une certaine liberté par rapport à l'autorité épiscopale, habituelle ordonnatrice des cérémonies religieuses.

La liturgie journalière

La religieuse de chœur, une contemplative, voue sa vie à Dieu, en suivant une liturgie quotidienne précise. Sa journée s'organise au rythme des offices religieux : matines (à minuit), prime (à 6 heures), tierce (à 8 heures et demie), sexte, none (à midi), vêpres (à 15 heures), complies (à 18 heures). L'heure de sexte varie en fonction de la durée des processions, s'il y en a, et de la messe après tierce. Si matines durent une heure et prime avec sa messe environ trois quarts d'heure, les autres offices de tierce, sexte et none sont plus courts, environ un quart d'heure. Après chaque service religieux et avant prime, la Fontevriste pratique l'oraison, une prière mentale sous forme de méditation qui apparaît au XVIIe siècle.

Charles Hoyau

Charles Hoyau, dont on connaît mal la vie (mort en 1644), appartient à cette école de sculpteurs terracottistes du Maine et de l’Anjou, réputée aux XVIe et XVIIe siècles. Pendant ces deux siècles, véritable âge d’or de la statuaire mancelle, les commandes de décor religieux affluent car il faut reconstituer les sanctuaires détruits par les guerres de religion et développer l’esprit de la réforme catholique du concile de Trente. Des trois sculpteurs manceaux qui dominent cette école, au XVIIe siècle, Gervais I de la Barre, Charles Hoyau et Pierre Biardeau, les deux premiers ont travaillé pour l’abbaye de Fontevraud (l’un pour réaliser le nouvel autel dans l’église abbatiale et l’autre pour une sculpture). Le troisième, cependant, a été contacté en 1665 par l’architecte de l’abbaye pour une expertise du nouvel autel de saint Lazare.

Cette petite pietà, signée à l’intérieur du socle par Charles Hoyau (pratique peu utilisée par les autres artistes manceaux), est un exemple type de la statuaire mancelle en terre cuite polychrome. Reflet de la piété mariale chère aux Fontevristes, elle ressemble à une Vierge de pitié, au désespoir solitaire. Cette mère tient sur ses genoux l‘homme Christ, mort, resté son enfant. Le visage de Marie, aux traits un peu émaciés, tourné vers son fils porte un regard douloureux sur cet être qu’elle chérit et qu’elle exhibe tendrement comme un nouveau-né, en signe de renaissance de toute l’humanité. On retrouve dans cette œuvre le goût de l’artiste pour les fortes torsions du corps (celui du Christ) et pour le mouvement (drapé élégant de la Vierge). La disproportion des corps rappelle le maniérisme et souligne la relation mère-enfant. Hoyau a peut-être été influencé par les terracottistes italiens présents dans le Val de Loire, au retour des guerres d’Italie des rois de France. Cette Vierge de pitié, commandée par les abbesses de Fontevraud a donné lieu à un grand nombre de répliques à des formats divers, parmi lesquelles une sculpture de grande taille aux Cordeliers de Laval et une autre plus petite conservée au musée d’Édimbourg.

Le chef de la spiritualité de l'ordre