La mystique

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La Descente de croix, avec J.B. de Bourbon (mur est de la salle capitulaire), anonyme, 17e siècle, Fontevraud, Abbaye Royale de Fontevraud, © cliché Bruno Rousseau (Service Inventaire CG 49). 

Jeanne-Baptiste de Bourbon est une mystique : elle a l'esprit et le goût de la mortification, porte la haire et le cilice et pratique le jeûne plus qu'il n'est demandé par la règle. Elle donne l'exemple, à sa communauté, en étant la première à l'office de matines (minuit) et à l'oraison, exercice qu'elle apprécie beaucoup. Abnégation et oraison montrent qu'elle subit l'influence de François de Sales et des Jésuites. Par dévotion et par humilité, elle participe à la cérémonie du lavement des pieds, le Jeudi saint.

Mais c'est le saint-sacrement (représentant le mystère de la foi) qui lui inspire respect et affection. Elle est très attachée à ces derniers moments de la vie du Christ, conformément à la spiritualité de l'ordre, comme le montrent les peintures murales de la salle capitulaire, réalisées à l'initiative de Louise de Bourbon (1534-1575) et représentant les scènes de la Passion tirées des Evangiles. Elle mène à bien le projet de deux abbesses précédentes. Elle rédige, en 1648, à l'intention de la communauté, un "Voyage de la Passion de Notre-Seigneur", véritable chemin de croix, en 36 stations (les distances ayant été mesurées en Terre sainte et transposées à Fontevraud). Différents lieux de l'abbaye (église abbatiale, chapitre, réfectoire, Grand-Moutier et Saint-Benoît) représentent les stations et selon leur éloignement, les religieuses effectuent un certain nombre de tours de cloître.

Parfois, l'abbesse compose des méditations. Alitée, elle organise, elle-même, la fin de sa vie, en faisant dresser un autel en face de son lit, préparer son suaire et les autres insignes de la mort et restant les yeux fixés sur les reliques de la vraie croix.

La Descente de croix

Cette peinture murale, représentant la Descente de croix (enlèvement du Christ de la croix), précède celle de la Déposition (Christ descendu ou déposé de la croix, dans les bras ou sur les genoux de Marie, sa mère, éplorée) dans les textes bibliques. On reconnaît ici, Nicomède et Joseph d’Arimathie qui descendent de croix le corps du Christ. Jean le soutient et Marie commence à le saisir dans ses bras, tandis que Marie Madeleine s’apprête à lui embrasser les pieds. Des symboles de cet épisode de la Descente de croix y figurent, comme l’échelle pour monter déclouer le corps, les trois clous du supplice sans les tenailles et le linceul qui reçoit le corps. Deux autres attributs de la Passion sont à terre, devant le Christ, sa couronne d’épines et le pot d’aromates.

Thomas Pot (peintre angevin du XVIe siècle) suit les Evangiles, « c’était déjà presque midi et il y eut des ténèbres sur toute la terre », puisqu’il peint un ciel sombre, au moment de cette scène, à Jérusalem.

"Le voyage de la Passion de Notre Seigneur"

Résumé de l'itinéraire des 36 stations d'après « Le voyage de la Passion de NS », chez F. Ernou, imprimeur et libraire ordinaire du Roy et des R. R. P. P. de l'oratoire, MDCL VIII, Saumur, 112 p. (source imprimée), collection particulière.

Ce chemin de croix, composé de 36 stations, se prépare devant le Saint Sacrement (considéré comme le cénacle). Les pèlerines lavent leur cœur et leur âme des larmes de la confession et de la pénitence, comme le Christ a lavé les pieds à ses apôtres.
Elles se dirigent vers l'autel de Notre-Dame de Lorette, situé derrière le chœur pour prendre congé de cette mère affligée et retournent devant le Saint-Sacrement, où elles récitent des hymnes et le psaume 130.

  • Pour la 1ère station : imitant la sortie de Jésus du cénacle pour aller au mont des Oliviers, les moniales font dix-huit fois le tour du cloître.
  • 2ème station : elles quittent ces lieux pour aller au chapitre devant la vitre [vitrail] représentant Jésus jugé.
  • 3ème station : elles vont devant celle de Jésus en prière.
  • 4ème, 5ème stations : elles restent au chapitre pour y faire une oraison d'une heure.
  • 6ème station : elles regardent le tableau où Jésus retrouve ses apôtres.
  • 7ème station : elles vont devant le Saint-Sacrement.
  • 8ème station : elles reviennent au chapitre.
  • 9ème station : imitant Jésus qui va au-devant de Judas, elles se présentent devant Sainte Radegonde à la sacristie.
  • 10ème station : elles accompagnent leur époux chez Sainte Anne, en faisant huit tours de cloître et en se dirigeant vers le Saint-Sacrement.
  • 11ème station : elles quittent la représentation de la maison d'Anne, pour suivre Jésus chez Caïphe, c'est-à-dire au réfectoire.
  • 12ème station : elles ressortent de chez Caïphe et vont chez Pilate, du côté du chapitre, après deux tours et demi de cloître, elles entrent par le sépulcre et demandent grâce à Notre Dame de Lorette.
  • 13ème station : elles vont du réfectoire au chapitre, devant la vitre où Jésus porte sa croix.
  • 14ème station : elles vont du chapitre au réfectoire en faisant deux tours et demi de cloître et reviennent au chapitre devant la vitre de la condamnation par Pilate.
  • 15ème station : elles reçoivent la discipline au chapitre en souvenir des souffrances du Christ.
  • De la 16ème station à la 18ème station : elles restent dans la salle capitulaire, en se déplaçant devant les fresques.
  • 19ème station : elles quittent la salle capitulaire pour se diriger vers l'autel situé du côté gauche, derrière Notre-Dame des Rois, Là chaque religieuse embrasse sa croix à l'exemple de son divin époux.
  • 20ème station : elles vont devant le vitrail de Notre-Dame de Pitié, au réfectoire, elles assistent à la seconde chute de Jésus devant sa mère affligée.
  • 21ème station : elles retournent à l'église devant Notre-Dame de Pitié, comme pour aider à porter la croix, elles implorent la grâce de ne jamais se laisser emporter.
  • 22ème station : elles font deux tours entiers de cloître et un troisième au sépulcre et allant du côté du chapitre et après les avoir achevés, elles se rendent devant N-D de Lorette ou chapelle Sainte Anne identifiée à la maison de Véronique.
  • 23ème station : laissant cette maison, elles commencent trois tours de cloître qu'elles terminent dans la salle capitulaire devant la peinture représentant la condamnation de Jésus par Pilate et sa troisième chute.
  • 24ème station : de là, après deux tours de cloître et le troisième au sépulcre, elles vont à nouveau devant Notre-Dame de Lorette, représentant le pied de la montagne du calvaire, qu'elles gravissent jusqu'à la grande grille où la croix demeure durant le reste des stations.
  • 25ème station : pour aller du pied de la montagne au sommet, elles vont de Notre-Dame de Lorette à la grille, allant du côté droit.
  • 26ème station : elles vont devant Notre-Dame de Pitié.
  • 27ème station : elles rendent hommage à celui qu'on dépouille de sa robe, le sang coulant des plaies, et préparent leur esprit au futur sacrifice. Les pèlerines s'approchent de la croix, et les unes après les autres, elles se prosternent au pied de cette croix, lisant leur lettre de profession.
  • 28ème station : elles vont entendre la troisième parole qui s'adresse à saint Jean l'Evangéliste , à genoux devant l'autel de la porte du cloître.
  • 29ème station : elles vont à l'autel entendre la quatrième parole.
  • 30ème station : elles retournent devant la grille pour la cinquième parole.
  • 31ème station : elles honorent Notre-Dame de Pitié.
  • 32ème station : et pour ne pas laisser cette mère affligée, elle l'accompagnent à l'église Saint Benoît du côté du chapitre, représentant le sépulcre.
  • 33ème station : elles restent à Saint Benoît pour accompagner l'âme de Jésus aux limbes et terminent leurs hommages au Christ.
  • 34ème station : la résurrection est solennisée le samedi saint après-midi. Toutes les religieuses, assemblées devant la grille, saluent le Saint-Sacrement.
  • 35ème station : elle vont à Saint Benoît, symbolisant le sépulcre.
  • 36ème station : elles achèvent le chemin de croix devant la grande grille du grand Moûtier, saluant le Saint-Sacrement. Elles finissent par une action de grâce à la Sainte Trinité et par un Gratias tibi Deus (ou chant des grâces).

Le chemin de croix

Le chemin de croix commémore, par une dévotion particulière au Vendredi saint, la Passion de Jésus. II s'agit d'une méditation en forme de prière en quatorze ou quinze épisodes (nommés stations) matérialisés par des tableaux ou des bas-reliefs. Cette dévotion publique se répand au XVe siècle à l'initiative des Franciscains, gardiens des Lieux Saints. Les fidèles qui ne peuvent pas faire le pèlerinage à Jérusalem revivent ainsi cette via dolorosa, ce "chemin des douleurs" vécu par Jésus chargé de sa croix. À Fontevraud, les moniales réalisent trente-six stations et non quatorze, car elles se réfèrent à la cérémonie commémorative qui commence au soir du Jeudi saint. En effet, cette dévotion existe depuis la fin du IVe siècle, ainsi que le raconte Ethérie, une pèlerine, dans son journal de voyage en Orient. C'est l'origine antique du chemin de croix qui prend sa forme définitive mille ans après. Toutes les stations ne figurent pas dans les Evangiles. La tradition populaire en augmente le nombre. Jeanne-Baptiste de Bourbon, très attachée à cette dévotion, pense que ce chemin de croix est un moyen pédagogique supplémentaire pour aider les moniales à prier et suivre une voie royale qui pourra les conduire à la sainteté.

Dans le Voyage de la Passion de Notre-Seigneur qu'elle rédige en 1648, chemin de croix en 36 stations, l'une d'entre elles évoque sainte Radegonde (reine franque, fondatrice de l'abbaye de Sainte-Croix, près de Poitiers). Cela prouve sans doute, de la part de l'abbesse, son désir de rattacher son ordre à la monarchie et aux grandes fondatrices de la spiritualité chrétienne féminine.