Jeanne-Baptiste de Bourbon, 31e abbesse de Fontevraud

Coordination scientifique : Patricia Lusseau

La triomphatrice de religieux en révolte

Frontispice de la Règle de l’Ordre de Madame Jeanne-Baptiste de Bourbon

Frontispice de la Régle de l’Ordre de Madame Jeanne-Baptiste de Bourbon, ed. Antoine Vitray, F. Poitty, 1642, gravure, 13 x 7 (cm), Angers, Archives départementales de Maine-et-Loire, © Archives départementales de Maine-et-Loire. 

Depuis le début, de nombreux religieux ne supportent pas leur assujettissement à une femme. Face à leur indiscipline, les abbesses obtiennent le soutien de Rome. Au XVIIe siècle, certains contestent l'omnipotence de l'abbesse et rejettent ce pouvoir féminin qu'ils considèrent comme dominateur. Bien que dépendants de celle-ci, ils estiment avoir le droit d'être considérés comme des prêtres et non comme "des esclaves". Désertion et remise en cause de la juridiction spirituelle de l'abbesse sont les deux moyens utilisés. Louise de Bourbon-Lavedan (1611-1637), par faiblesse, avait accepté la révision de la règle, mais devant l'opposition de la majeure partie de l'ordre, cette décision n'aboutit pas.

Toutefois cette mesure accentue les désordres. Plus tard, le père Le Thuillier, en s'opposant à Jeanne-Baptiste, transforme très vite un conflit personnel en une contestation généralisée. Après des débats, et avec le soutien de Jésuites et plusieurs appels au pape, elle s'en remet au roi. Consciente de ses origines, elle fait face et impose son autorité. Dans un mémoire, elle justifie ce pouvoir, par rapport à l'engagement des religieux dans l'ordre et par une présentation des droits des femmes. Elle se réfère à leurs actions depuis l'Antiquité et au matriarcat. Elle insiste sur sa qualité de Mère et réaffirme tous ses titres. Un arrêt du conseil d'Etat de 1641 la maintient dans ses privilèges.

Triomphante, elle fait lire l'arrêt et déchirer le factum des religieux. Agenouillés à ses pieds, ils lui demandent pardon. Elle a anéanti leurs prétentions, pacifié l'ordre et fait imprimer la Règle de l'ordre dès l'année suivante, en 1642. Ce pouvoir féminin et la juridiction spirituelle qui l'accompagne singularisent l'ordre de Fontevraud encore au XVIIe siècle.

Frontispice de la Règle de l'Ordre

Ce frontispice gravé par F. Poitty se trouve dans la Règle de l'Ordre imprimée, en 1642, chez A. Vitray, à la demande de Jeanne-Baptiste de Bourbon, après qu'elle ait mis fin au conflit avec les religieux.

Cette règle, approuvée par les papes Sixte IV (1471-1484) et Clément VII (1523-1534), comporte deux parties, l'une de 74 chapitres pour les religieuses, suivant la règle de saint Benoît, et l'autre de 16 chapitres pour les religieux suivant celle de saint Augustin. Elle organise dans tous les détails la vie des Fontevristes, au spirituel comme au temporel. Les devoirs évoqués concernent ceux de la religieuse envers Dieu, les autres moniales et la religion. Dans cette règle, les trois mesures imposées par la réformation sont observées, à savoir le rôle majeur de la grille dans l'église abbatiale lors des principales cérémonies, la clôture et la vie en commun. De plus, les religieux sont totalement soumis au pouvoir de l'abbesse et de la prieure. La règle désormais écrite et imprimée, donc sans appel, empêche toute nouvelle velléité de révolte.

Mémoires touchant l'institut de Fontevraud, Présentez au Roy par la Dame Abbesse dudit ordre (page 10), Picault (ed.), date inconnue, Angers, Archives départementales de Maine-et-Loire, © Archives départementales de Maine-et-Loire.

La gravure rappelle les fondements de l'ordre, en se référant aux dernières paroles du Christ sur la croix qui s'adresse, à la Vierge en disant "Mère voici ton fils" et à saint Jean, "Voici ta mère". De cette manière, il confie saint Jean à sa propre mère et les abbesses justifient ainsi leur autorité sur les religieux de l'ordre. Sans doute pour renforcer le poids de ces paroles et de cette soumission, le graveur fait pencher la tête du Christ non pas vers la Vierge mais vers saint Jean qui dit au religieux de l'imiter. Ce religieux figure à fois le fondateur Robert d'Arbrissel, et Jean Lardier, prieur de Saint-Jean de l'Habit, en tant que son représentant à cette période. Les deux personnages contemporains, l'abbesse et le prieur, sont en parallèle des personnages bibliques. Le prieur tient avec l'abbesse la règle de l'ordre. Il s'adresse aux religieux, représentés derrière les moniales et l'abbesse, pour les inciter à obéir à leur mère et à se mettre sous sa totale autorité spirituelle, évoquée par la crosse abbatiale. Les armoiries de Jeanne-Baptiste de Bourbon, avec la couronne de France, officialisent aussi cette scène des origines de l'ordre. Les paroles gravées dans ce frontispice ont la forme de phylactères fréquemment utilisés dans l'iconographie religieuse chrétienne.

Extrait de la défense de l'abbesse

Dans son ouvrage de 1659, intitulé « Les Véritables Idées de l'Ordre de Fontevraud », Jean Lardier religieux de l'Ordre utilise les mêmes justificatifs à propos du pouvoir de l'abbesse.