La réceptrice
L'abbesse est la seule personne d'autorité, après consentement de l'ensemble de la communauté, à accepter ou non un nouveau membre. La règle précise les conditions d'âge au noviciat (à partir de 10 ans pour les sœurs et 15 ans pour les frères) ainsi que les conditions financières. Comme le contrat d'Agnès Pasquier ci-contre, les contrats de religion mentionnent toujours la clause restrictive de la règle pour justifier la demande de sommes d'argent lors de l'entrée en religion (pour la prise d'habit, la profession, le présent d'église dû à l'abbesse et la pension) et l'apport de biens personnels (meubles et habits). La dépositaire reçoit l'argent et le redistribue (un tiers à la communauté et "le vestiaire" à la religieuse).
L'abbesse reçoit les postulantes, selon un rituel très précis, les interroge et leur montre les difficultés d'une soumission totale et de la vie régulière. En cas d'inaptitude ou de refus, la famille récupère la moitié des sommes versées, mais en général les novices deviennent professes à partir de 14 ans et 18 ans pour les frères (en raison de leur sacerdoce).
La cérémonie se fait en deux temps ; l'un, en salle capitulaire, devant l'abbesse et la communauté réunie ; l'autre dans l'abbatiale, à l'issue de la messe, en public et en présence de la famille. Dans son interrogatoire l'abbesse insiste, sur la mise à l'épreuve de la novice, le sacrifice de sa vie séculière, symbolisant sa mort et finit par accorder la profession et sa bénédiction à celle qui fait "une holocauste d'elle-même" en l'honneur du Christ. Lors de la profession, après un noviciat plus ou moins long, sont prononcés des vœux de stabilité sous clôture, chasteté, pauvreté et obédience.
Le recrutement
Du temps de Jeanne-Baptiste de Bourbon (1637-1670), le nombre des religieuses de chœur s'élève à 230. Auparavant, sous l'abbatiat d'Eléonore de Bourbon (1575-1611), les effectifs de 300 moniales traduisent déjà la splendeur retrouvée par rapport au XIIe siècle et surtout la réussite de la réformation de l'ordre. Après, sous celui de Gabrielle de Rochechouart, ils varient entre 200 et 150 en 1699. Presque un siècle plus tard, en 1778, le père Besnard fournit une estimation de 160 à 180 religieuses. De 1740 à 1790, l'abbaye accueille 119 nouvelles postulantes (80 professes et 39 converses).
En ce qui concerne les religieux, au cours du XVIIe siècle, les chiffres varient entre 50 et 60 religieux. Ils sont de 38 vers la fin du XVIIIe (1780). Entre 1740 et 1780, 108 nouveaux religieux font leur profession (84 profès et 24 convers). Le graphique permet de distinguer des périodes d'affluence et de crise, mais au XVIIIe siècle, Fontevraud fait exception et ne ressent pas vraiment la crise générale de recrutement subie par la plupart des autres ordres et congrégations. Cependant, à la fin du XVIIIe siècle, l'évolution du recrutement des hommes correspond à celui des congrégations de Saint-Maur et des Dominicains. À l'abbaye-mère, les effectifs des religieux représentent la plupart du temps un quart de l'effectif des moniales.
L'origine sociale et géographique de ces femmes et de ces hommes diffère. Au temps de Jeanne-Baptiste de Bourbon, les religieuses de chœur appartiennent à la noblesse et les converses à la roture. Ce partage se perpétue depuis la création de l'ordre. Quant aux religieux, ils sont de condition sociale inférieure aux moniales, puisqu'ils sont roturiers.
Le recrutement géographique des Fontevristes de l'abbaye-mère est essentiellement régional : Anjou, Touraine, Poitou et une partie de la Bretagne, mais l'on constate aussi un apport conséquent de Paris. Dans les prieurés, les recrues viennent des diocèses locaux.
Les religieuses de chœur ou moniales contemplatives, dont le rôle premier est de prier, se font servir par les converses (affectées aux tâches matérielles). Les religieux sont divisés en deux catégories : prêtres (pour le service religieux) et convers (surtout pour l'aide dans la gestion du temporel). Cela correspond à la division du travail en vigueur dans presque tous les monastères.
Le contrat d'Agnès Pasquier
Ce contrat sur papier est composé de deux folios. Il a été passé devant Pierre de la Fousse, notaire à la Flèche et signé par la prieure Sœur Catherine Guillet, les sœurs Agnès Malidor et Pasquier, Madeleine Hibon, Sébastienne du Port, Gabrielle Louet, Louise Hibon, Marie Morabin, Jeanne Boimizeau et Villars, Anne Pasquier, Madeleine Pasquier.
Comme les autres contrats de profession, il obéit à une certaine codification, avec des formules de préambule et de clôture, un contenu financier, un contenu religieux et des garanties. Le préambule commence toujours par « Saichent tous présent et advenir… » avec la présentation des parties contractantes (famille de la postulante et abbesse, dirigeante de l'Ordre) ; la formule de clôture indique le lieu (ici la grille du parloir) et comprend les signatures des témoins, des représentantes du monastère (abbesse ou prieure et officières), de la famille, de la future religieuse et du notaire.
Le contenu financier concerne les différents apports divisés en cinq parties : quatre sommes d'argent distinctes (pour la prise d'habit, la profession, le présent d'église destiné à l'abbesse et, après la profession la dot ou pension viagère) et une partie appelée meubles et habits (lit, draps, serviettes, tissu pour faire les vêtements de religieuse, couverts …).
Dans ce contrat, la famille s'engage à verser la somme de 3 300 livres pour la dot d'Agnès Pasquier trois ans après sa profession, mais avec déjà un premier versement de 300 livres en louis d'argent pour son entrée ou prise d'habit, puis les intérêts des 3000 livres, soit 150 livres par an, jusqu'à la profession (cela correspond au présent d'église et à la profession) et à partir de celle-ci, annuellement, les intérêts jusqu'à la somme de 3 000 livres, constituant ainsi une pension viagère à hauteur de cette somme. Elle apporte aussi ses meubles et habits (un lit garni et châssis, paillasse, matelas, traversin, oreiller…).
Normalement la règle affirme qu'ilne faut refuser l'entrée à aucune, qu'elle soit pauvre ou riche. Cependant une clause restrictive est prévue, si le nombre de personnes dépasse la quantité du revenu nécessaire à leur entretien. Alors, on peut demander une somme de 20 livres parisis. L'étude des contrats de religion, comme celui-ci, nous montre que l'abbesse l'invoque régulièrement pour ne pas porter préjudice à la communauté. Cela implique, par conséquent, admission contre remise d'argent. Au XVIIe siècle, le montant de la prise d'habit s'élève de 200 à 400 livres (répartie pour moitié lors de l'entrée au noviciat et l'autre moitié à la profession), celui du présent d'église de 100 à 200 livres et de la pension de 70 à 150 livres et 10 à 15 livres pour les converses. Sur cette dernière somme d'argent, la dépositaire en reverse une partie au commun et l'autre (appelée vestiaire) à la moniale pour ses besoins personnels, mais uniquement après autorisation de l'abbesse.
Ces sommes d'argent sont importantes. Le contrat est daté de 1655, or en 1656, un journalier travaillant dans les vignes de l'abbaye gagne 5 à 7 sols par jour. Au milieu du XVIIe siècle, un ouvrier non spécialisé gagne 6 à 10 sols par jour effectif de travail, un ouvrier spécialisé 20 sols, un manouvrier à la campagne 5 à 6 sols avec son repas du midi, un curé de paroisse gagne 300 à 400 livres par an soit 20 sols par jour. Le coût de la vie peut être aussi évalué autrement. Un cheval coûte environ 60 livres et un veau de boucherie 5 à 6 livres.
Le contenu religieux de ce contrat évoque la période du noviciat, en général un an, après la date d’entrée en religion et qui se termine le plus souvent par la profession.
Enfin, des garanties sont envisagées dans deux cas précis, le décès et la sortie. Le contrat stipule que si Agnès Pasquier décède pendant son noviciat, le couvent peut conserver les 300 livres et ses meubles pour les frais occasionnés lors de sa prise d'habit, et pour le paiement des médicaments et de la sépulture. Par contre, si elle sort pour raison de santé ou d'inaptitude, l'abbaye n'en garde que 200 livres.
Pour s'assurer le versement des pensions et des dots, l'abbesse oblige en général les familles à les assigner sur leurs biens, meubles et immeubles présents et futurs. Certains contrats mentionnent même les titres de propriété à hypothéquer plus particulièrement.
Le cérémonial
Le cérémonial pour devenir novice
L'abbesse reçoit les postulantes en présence de la Grande prieure. Cette première prise de contact avant leur entrée permet de rendre témoignage à la communauté des personnes et de leur dot. Après être restée quelque temps dans l'abbaye en habit séculier, la postulante suit un rituel très précis afin d'être acceptée comme novice.
Dans l'abbatiale, interrogée par l'abbesse, sur sa demande d'entrée au noviciat, celle-ci lui répond d'une manière codifiée "Notre Mère, je demande la miséricorde de Dieu, le pain et l'eau et votre sainte société et l'habit de sainte religion, s'il vous plaît de l'octroyer". L'abbesse insiste sur les difficultés de la vie régulière, ainsi que celles de la soumission due par toute religieuse. Les ayant acceptées, on consent à l'accepter. La jeune fille quitte le chœur, on lui enlève ses vêtements séculiers et à la place on lui remet un blanchet et un surplis. Puis, s'avançant vers le chœur, tête nue, les cheveux tombants et un cierge allumé à la main, elle vient devant l'abbesse, assise près de la grille. Là, elle s'agenouille et son cierge est déposé sur l'autel. L'abbesse lui coupe les cheveux qui sont disposés dans un globe, tandis qu'on lui couvre la tête d'un béguin et qu'on lui donne sa ceinture de laine. Toujours accompagnée par des chants, elle reçoit la robe noire et un voile blanc. Ensuite, elle baise la terre aux pieds de l'abbesse et retourne à sa place avec son cierge. Pendant ce temps, l'abbesse tournée vers l'Orient prie, puis la novice dépose à nouveau son cierge sur l'autel et va recevoir le baiser de paix de l'abbesse. La novice renouvelle alors son baiser aux pieds de l'abbesse et on ferme la grille. La cérémonie s'achève par un baiser de paix, donné à la novice par chaque membre de la communauté : professes et novices, puis une dernière bénédiction de l'abbesse lui octroie une place dans le chœur.
Le cérémonial pour devenir professe
- Premier temps dans la salle capitulaire :
Après l'année de probation, la future professe demande deux fois de suite à l'abbesse et au couvent capitulairement assemblé "Je supplie humblement Dieu et vous notre mère, avec tout le couvent, me faire l'honneur et grâce de m'admettre au saint état de profession". Elle se prosterne devant elles, en baisant la terre à leurs pieds. À la troisième demande, un vote est organisé et on recueille les voix de chaque religieuse par voie de scrutin secret. À la quatrième sollicitation, elle obtient la réponse, favorable ou non.
Une fois acceptée, elle se prosterne, s'accuse de ses fautes, puis rejoint la maîtresse des novices qui doit la préparer, pendant cinq jours, à la cérémonie de la profession, acte important et définitif par lequel la novice se voue à Dieu.
- Deuxième temps dans l'église abbatiale :
La cérémonie a lieu à l'issue de la grande messe, publiquement, la fenêtre de la grille ouverte, les religieuses à l'intérieur, vers le chœur et les religieux ainsi que la famille, éventuellement, au dehors, c'est-à-dire dans la nef de l'abbatiale. Le cérémonial du XVIIe siècle insiste sur la mise à l'épreuve de la novice, qui se fait à travers un bref interrogatoire de l'abbesse, répété cinq fois. Ainsi, après avoir sondé sa volonté, lui refusant toute excuse, si un jour elle cherche des dispenses aux mortifications de la religion, elle est reconduite à sa place. Là, agenouillée, le visage tourné vers l'autel, elle lit sa lettre de profession, en latin :
"Je, N, promets stabilité sous clôture, conversion de mes mœurs, chasteté, pauvreté et obédience selon les statuts de la Réformation de l'Ordre de Fontevraud, ordonnez en ce lieu par le décret du pape Sixte quatrième suivant la règle de Saint Benoît en l'honneur du Sauveur, de sa Mère et de Saint Jean l'Evangéliste, en votre présence, Mère Abbesse".
Puis, ayant signé cette lettre, elle reçoit le voile noir des mains de l'abbesse ainsi que sa bénédiction. De retour à sa place, tout en chantant, elle s'incline vers les quatre parties du chœur, représentant les quatre parties du monde. Etant prosternée, on l'encense, comme à des obsèques, pour symboliser sa mort au monde et à la vie séculière. L'abbesse, précédée de sa porte-crosse, l'asperge d'eau bénite, l'encense, lui touche la tête pour qu'elle se relève, puis lui accorde le baiser de paix. À sa nouvelle place dans le chœur, elle reçoit à nouveau la bénédiction de l'abbesse, qui lui pose la main sur la tête et l'autorise ainsi à s'asseoir.
Les trois jours suivant la profession, la nouvelle religieuse, sous la conduite d'une directrice spéciale, observe le silence et consacre son temps à la prière, l'oraison, la lecture sainte et la communion. Après ces trois jours, l'abbesse découvre le visage de la professe, en relevant son voile et lui donne un baiser de paix. La religieuse remercie l'abbesse et le couvent lors du chapitre. Pendant sa prosternation, l'abbesse lui recommande de garder secrètes les décisions capitulaires sous peine de sanction. Enfin, le cérémonial se termine par la prosternation de chaque religieuse devant la nouvelle moniale.
Autres professions
La cérémonie est identique pour les converses, mais leurs vœux sont écrits en latin et la Grande prieure remplace l'abbesse. Quant aux religieux, le texte de leur lettre de profession diffère quelque peu. Ils commencent par promettre de servir "aux Ancelles de Jésus-Christ, iusques à la mort avec la révérence de subiection deuë", puis ils reçoivent la chape des mains du prieur, mais après que l'abbesse a parlé.
Les convers prononcent leurs vœux en français devant la Grande prieure de la même façon que les religieuses converses. Les vœux de religion, prononcés par la novice : stabilité sous clôture, chasteté, pauvreté et obédience, définissent la vie claustrale.
- Par son premier vœu, la moniale s'engage à ne plus sortir du monastère, sauf cas exceptionnels (maladie, incendie, famine, guerre, bâtiments vétustes et dangereux). Elle ne peut plus voir sa famille, exceptée au parloir, seul lieu de communication, derrière une grille. Personne ne peut entrer à l'intérieur de la clôture. Toutefois, il existe une dérogation pour le roi, la reine, les princes du sang, les religieuses de l'ordre de passage, le visiteur, les religieux de l'ordre pour donner les sacrements au moment de l'enterrement, les ouvriers chargés des travaux des bâtiments mais sous contrôle strict (ils sont comptés matin et soir). Jeanne-Baptiste de Bourbon accorde aussi des dérogations à des personnes désireuses d'y prier et communier à condition que celles-ci versent une somme d'argent.
- Le deuxième vœu concerne la chasteté. La religieuse renonce à toute vie affective sauf celle du Christ. Elle doit aimer la chasteté du corps (en rejetant tous ses désirs) et de l'âme (en veillant sur ses pensées, dirigées uniquement vers le Christ).
- Le troisième engage toute religieuse à préférer la pauvreté à toute superfluité. Elle doit aimer la sobriété de l'esprit et du corps et fuir toute oisiveté. Elle ne possède aucun objet personnel sauf si l'abbesse le lui accorde.
- Enfin, le quatrième l'oblige à se soumettre à l'autorité de l'abbesse. Elle lui doit obéissance, sinon elle s'expose à des sanctions.