La réceptrice

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Contrat de religion d'Agnès Pasquier (cote 144H3), anonyme, novembre 1655, papier et encre, Angers, © Archives départementales de Maine-et-Loire. 

L'abbesse est la seule personne d'autorité, après consentement de l'ensemble de la communauté, à accepter ou non un nouveau membre. La règle précise les conditions d'âge au noviciat (à partir de 10 ans pour les sœurs et 15 ans pour les frères) ainsi que les conditions financières. Comme le contrat d'Agnès Pasquier ci-contre, les contrats de religion mentionnent toujours la clause restrictive de la règle pour justifier la demande de sommes d'argent lors de l'entrée en religion (pour la prise d'habit, la profession, le présent d'église dû à l'abbesse et la pension) et l'apport de biens personnels (meubles et habits). La dépositaire reçoit l'argent et le redistribue (un tiers à la communauté et "le vestiaire" à la religieuse).

L'abbesse reçoit les postulantes, selon un rituel très précis, les interroge et leur montre les difficultés d'une soumission totale et de la vie régulière. En cas d'inaptitude ou de refus, la famille récupère la moitié des sommes versées, mais en général les novices deviennent professes à partir de 14 ans et 18 ans pour les frères (en raison de leur sacerdoce).

La cérémonie se fait en deux temps ; l'un, en salle capitulaire, devant l'abbesse et la communauté réunie ; l'autre dans l'abbatiale, à l'issue de la messe, en public et en présence de la famille. Dans son interrogatoire l'abbesse insiste, sur la mise à l'épreuve de la novice, le sacrifice de sa vie séculière, symbolisant sa mort et finit par accorder la profession et sa bénédiction à celle qui fait "une holocauste d'elle-même" en l'honneur du Christ. Lors de la profession, après un noviciat plus ou moins long, sont prononcés des vœux de stabilité sous clôture, chasteté, pauvreté et obédience.

Le recrutement

Du temps de Jeanne-Baptiste de Bourbon (1637-1670), le nombre des religieuses de chœur s'élève à 230. Auparavant, sous l'abbatiat d'Eléonore de Bourbon (1575-1611), les effectifs de 300 moniales traduisent déjà la splendeur retrouvée par rapport au XIIe siècle et surtout la réussite de la réformation de l'ordre. Après, sous celui de Gabrielle de Rochechouart, ils varient entre 200 et 150 en 1699. Presque un siècle plus tard, en 1778, le père Besnard fournit une estimation de 160 à 180 religieuses. De 1740 à 1790, l'abbaye accueille 119 nouvelles postulantes (80 professes et 39 converses).

En ce qui concerne les religieux, au cours du XVIIe siècle, les chiffres varient entre 50 et 60 religieux. Ils sont de 38 vers la fin du XVIIIe (1780). Entre 1740 et 1780, 108 nouveaux religieux font leur profession (84 profès et 24 convers). Le graphique permet de distinguer des périodes d'affluence et de crise, mais au XVIIIe siècle, Fontevraud fait exception et ne ressent pas vraiment la crise générale de recrutement subie par la plupart des autres ordres et congrégations. Cependant, à la fin du XVIIIe siècle, l'évolution du recrutement des hommes correspond à celui des congrégations de Saint-Maur et des Dominicains. À l'abbaye-mère, les effectifs des religieux représentent la plupart du temps un quart de l'effectif des moniales.

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Evolution des effectifs de l'abbaye de Fontevraud aux XVIIe et XVIIIe siècles, Patricia Lusseau, 2005, graphique, © Musea.

L'origine sociale et géographique de ces femmes et de ces hommes diffère. Au temps de Jeanne-Baptiste de Bourbon, les religieuses de chœur appartiennent à la noblesse et les converses à la roture. Ce partage se perpétue depuis la création de l'ordre. Quant aux religieux, ils sont de condition sociale inférieure aux moniales, puisqu'ils sont roturiers.

Le recrutement géographique des Fontevristes de l'abbaye-mère est essentiellement régional : Anjou, Touraine, Poitou et une partie de la Bretagne, mais l'on constate aussi un apport conséquent de Paris. Dans les prieurés, les recrues viennent des diocèses locaux.

Les religieuses de chœur ou moniales contemplatives, dont le rôle premier est de prier, se font servir par les converses (affectées aux tâches matérielles). Les religieux sont divisés en deux catégories : prêtres (pour le service religieux) et convers (surtout pour l'aide dans la gestion du temporel). Cela correspond à la division du travail en vigueur dans presque tous les monastères.

Le contrat d'Agnès Pasquier

Ce contrat sur papier est composé de deux folios. Il a été passé devant Pierre de la Fousse, notaire à la Flèche et signé par la prieure Sœur Catherine Guillet, les sœurs Agnès Malidor et Pasquier, Madeleine Hibon, Sébastienne du Port, Gabrielle Louet, Louise Hibon, Marie Morabin, Jeanne Boimizeau et Villars, Anne Pasquier, Madeleine Pasquier.

Comme les autres contrats de profession, il obéit à une certaine codification, avec des formules de préambule et de clôture, un contenu financier, un contenu religieux et des garanties. Le préambule commence toujours par « Saichent tous présent et advenir… » avec la présentation des parties contractantes (famille de la postulante et abbesse, dirigeante de l'Ordre)  ; la formule de clôture indique le lieu (ici la grille du parloir) et comprend les signatures des témoins, des représentantes du monastère (abbesse ou prieure et officières), de la famille, de la future religieuse et du notaire.

Le contenu financier concerne les différents apports divisés en cinq parties : quatre sommes d'argent distinctes (pour la prise d'habit, la profession, le présent d'église destiné à l'abbesse et, après la profession la dot ou pension viagère) et une partie appelée meubles et habits (lit, draps, serviettes, tissu pour faire les vêtements de religieuse, couverts …).

Dans ce contrat, la famille s'engage à verser la somme de 3 300 livres pour la dot d'Agnès Pasquier trois ans après sa profession, mais avec déjà un premier versement de 300 livres en louis d'argent pour son entrée ou prise d'habit, puis les intérêts des 3000 livres, soit 150 livres par an, jusqu'à la profession (cela correspond au présent d'église et à la profession) et à partir de celle-ci, annuellement, les intérêts jusqu'à la somme de 3 000 livres, constituant ainsi une pension viagère à hauteur de cette somme. Elle apporte aussi ses meubles et habits (un lit garni et châssis, paillasse, matelas, traversin, oreiller…).

Normalement la règle affirme qu'ilne faut refuser l'entrée à aucune, qu'elle soit pauvre ou riche. Cependant une clause restrictive est prévue, si le nombre de personnes dépasse la quantité du revenu nécessaire à leur entretien. Alors, on peut demander une somme de 20 livres parisis. L'étude des contrats de religion, comme celui-ci, nous montre que l'abbesse l'invoque régulièrement pour ne pas porter préjudice à la communauté. Cela implique, par conséquent, admission contre remise d'argent. Au XVIIe siècle, le montant de la prise d'habit s'élève de 200 à 400 livres (répartie pour moitié lors de l'entrée au noviciat et l'autre moitié à la profession), celui du présent d'église de 100 à 200 livres et de la pension de 70 à 150 livres et 10 à 15 livres pour les converses. Sur cette dernière somme d'argent, la dépositaire en reverse une partie au commun et l'autre (appelée vestiaire) à la moniale pour ses besoins personnels, mais uniquement après autorisation de l'abbesse.

Ces sommes d'argent sont importantes. Le contrat est daté de 1655, or en 1656, un journalier travaillant dans les vignes de l'abbaye gagne 5 à 7 sols par jour. Au milieu du XVIIe siècle, un ouvrier non spécialisé gagne 6 à 10 sols par jour effectif de travail, un ouvrier spécialisé 20 sols, un manouvrier à la campagne 5 à 6 sols avec son repas du midi, un curé de paroisse gagne 300 à 400 livres par an soit 20 sols par jour. Le coût de la vie peut être aussi évalué autrement. Un cheval coûte environ 60 livres et un veau de boucherie 5 à 6 livres.

Le contenu religieux de ce contrat évoque la période du noviciat, en général un an, après la date d’entrée en religion et qui se termine le plus souvent par la profession.

Enfin, des garanties sont envisagées dans deux cas précis, le décès et la sortie. Le contrat stipule que si Agnès Pasquier décède pendant son noviciat, le couvent peut conserver les 300 livres et ses meubles pour les frais occasionnés lors de sa prise d'habit, et pour le paiement des médicaments et de la sépulture. Par contre, si elle sort pour raison de santé ou d'inaptitude, l'abbaye n'en garde que 200 livres.

Pour s'assurer le versement des pensions et des dots, l'abbesse oblige en général les familles à les assigner sur leurs biens, meubles et immeubles présents et futurs. Certains contrats mentionnent même les titres de propriété à hypothéquer plus particulièrement.