Présentation
Jeanne-Baptiste de Bourbon est le type même d'une femme d'autorité, tant par son caractère que par sa filiation ce qui lui permet d'exercer pleinement ses nombreux pouvoirs, à la tête d'un ordre qui reste encore au XVIIe siècle, original et unique en France et dans lequel les hommes sont soumis aux femmes. Elle gouverne en « souveraine absolue », tenant sa puissance de ses deux protecteurs : la papauté et la monarchie, ce qui présente une seconde originalité de son ordre. Sa dépendance directe de Rome lui permet d'être autonome par rapport à l'Eglise de France. Toutes ces particularités méritent que l'on s'attache à l'étude de son abbatiat et à ses pouvoirs si singuliers.
Cette femme, grande, d'une nature solide, à l'air majestueux, au visage éclairé par des yeux vifs, douce et volontaire, aimant l'étude, très éloquente, a le sens du commandement. Elle met fin au conflit avec les religieux de l'ordre, mais subit un échec sérieux. Elle n'arrive pas à obtenir la béatification de Robert d'Arbrissel, fondateur de son ordre. Fervente religieuse, voire mystique, elle incarne l'idéal de la Réforme catholique. Elle laisse à la fois l'image d'une âme sensible, pieuse, et celle d'une femme puissante et inflexible, excellente administratrice, ayant accru le prestige et les privilèges de l'abbaye et ordre de Fontevraud et affermi les titres d'une abbaye royale, fidèle au rite romain.
Fille naturelle, du roi Henri IV et de Charlotte des Essarts, Jeanne–Baptiste de Bourbon naît le 22 février 1608. Trois mois après, elle est légitimée fille de France. Cette filiation et sa parenté avec Louis XIII (son demi-frère) demeurent toujours présentes à son esprit. À dix ans, elle entre à l'abbaye de Chelles pour y recevoir une éducation religieuse et une formation spirituelle dispensée par François de Sales lui-même. Louise de Bourbon-Lavedan, abbesse de Fontevraud, la réclame alors comme coadjutrice, à l'âge de seize ans, mais elle ne prend officiellement sa fonction qu'à dix huit ans. A la mort de l'abbesse (1637), elle lui succède avant même de recevoir sa propre bénédiction abbatiale (1639) et les signes de son pouvoir (la croix, l'anneau et la crosse) dirigeant l'ordre jusqu'à sa mort en 1670.
Filiation et généalogie
Henri de Navarre devient roi de France sous la nom d'Henri IV. Il règne de 1589 à 1610. Après l'annulation de son premier mariage avec Marguerite de Valois, il épouse Marie de Médicis dont il a six enfants (Louis, futur Louis XIII, Nicolas, Gaston d'Orléans, Elisabeth, future reine d'Espagne, Christine et Henriette future reine d'Angleterre).
Il est surnommé le Vert Galant en raison de sa vie sentimentale longue et mouvementée. Parmi ses nombreuses maîtresses, Charlotte des Essarts ne représente qu'une passade vers la fin de sa vie. Deux filles naturelles naissent de ces amours adultères : Jeanne-Baptiste et Marie Henriette, très vite légitimées filles de France (des bâtardes reconnues officiellement). Quant à Charlotte des Essarts, titrée comtesse de Romorantin, elle poursuit une vie amoureuse agitée. Parmi ses nombreux amants figurent outre ce monarque, un cardinal archevêque de Reims, en l'occurrence, Louis de Lorraine, cardinal de Guise, dont elle eut des enfants. Ensuite, elle se marie avec François de l'Hospital, maréchal de France.
Louis XIII, roi de France de 1610 à 1643, demi-frère de Jeanne-Baptiste, fait toujours preuve d'une grande sollicitude à son égard et apprécie son éloquence à chaque fois qu'elle vient défendre elle-même les causes de son ordre, à Paris.
Le fondateur : Robert d’Arbrissel
Fils de prêtre breton, né vers 1045, il devient en 1076 le bras droit de Sylvestre, l'évêque de Rennes. Mais, quand ce dernier est condamné pour simonie et suspendu de ses fonctions, Robert part à Paris, où il étudie. De retour à Rennes, après la réhabilitation de Sylvestre, Robert obtient la cure d'Arbrissel et aide l'évêque à appliquer la réforme pontificale de Grégoire VII.
À la mort de l'évêque, ayant suscité jalousie et hostilité, il quitte Arbrissel. Retiré en forêt de Craon, il vit, déjà quinquagénaire, en ermite, pratiquant la pénitence et l'ascèse. Il attire les disciples et fonde l'abbaye de la Roë. Connu pour son éloquence et son charisme, le pape Urbain II le charge d'une mission de prédication. Il repart, avec joie, sur les routes. Une foule d'hommes et de femmes le suit, mais cette troupe errante, hétéroclite suscite de nombreuses critiques. Robert pratique le synéisaktisme pour obtenir son salut. Il installe sa communauté à Fontevraud, respectant plusieurs principes évangéliques : égalité, accueil des pauvres, des malades et en référence aux dernières paroles du Christ confiant saint Jean à la Vierge, il nomme une femme à la tête de cet ordre double. À sa mort, à Orsan, la possession de son corps approprié par l'abbesse devient un véritable enjeu de pouvoir.
Désormais, il repose dans le chœur de l'abbatiale, ce qui évite tout culte de reliques. Robert homme original et complexe, permet une multiplicité d'interprétations : promoteur de la réhabilitation de la femme (Michelet), défenseur des humbles (les marxistes), partisan d'une soumission des religieux aux sœurs comme moyen d'ascèse et d'humiliation suprême pour obtenir le salut de l'âme (J-M Bienvenu) ou homme ni révolutionnaire social ni féministe, mais prisonnier de l'individualité et de la conscience, revivant la passion du Christ comme une rédemption (Dom J. Dubois). Son action s'inscrit dans une période de regain érémitique du XIe siècle et inaugure une nouvelle spiritualité.
Le tombeau de Robert d’Arbrissel
Un dessin de la collection Gaignières conservé à la BNF (cote EST VA-408-FT 4) représente l'autel et le gisant de marbre réalisés sur commande de l'abbesse Louise de Bourbon-Lavedan, en 1621. Son objectif est de faire construire un bel autel pour décorer l'église abbatiale. Elle passe commande à un architecte du Mans, Gervais de la Barre ainsi qu'à son collaborateur Michel (appartenant à l'école mancelle des terracottistes de la première partie du XVIIe siècle) d'un tombeau monumental pour la sépulture du fondateur.
Celui-ci, surmonté d'une arcade en plein cintre reposant sur deux cloisons posées de part et d'autre de l'autel, est décoré devant par deux pilastres cannelés portant un entablement orné d'une frise sur laquelle alternent triglyphes et têtes d'angelots. Au-dessus, un fronton à volutes encadre un acrotère sur le devant duquel se trouve une épitaphe, rédigée par l'évêque du Mans Hildebert, contemporain de Robert d'Arbrissel, tandis qu'un petit fronton triangulaire avec un pot enflammé termine la composition monumentale. Le fond de cet ensemble comporte six colonnettes à chapiteaux ioniques supportant deux petits arcs en plein-cintre.
Au centre de ce décor, on aperçoit un cœur percé, entouré de la couronne d'épines, deux des attributs de la Passion,et des têtes de chérubins en relief sur l'intrados de l'arcade. Le 10 juin 1624, on dépose sur l'autel, surmonté d'une table en marbre noir, l'effigie de Robert d'Arbrissel, en marbre blanc, le représentant vêtu de ses vêtements sacerdotaux, les mains croisées sur sa poitrine, avec son tau (bâton pastoral) le long de son corps, les pieds nus et la tête reposant sur un coussin.
Des inscriptions en lettres d'or sur une plaque de marbre noir couvrent le soubassement du tombeau. Selon Gaignières, ce dernier se situe du côté de l'Evangile (bible posée près de la Croix), donc au nord du maître-autel, ce qui est parfois contesté par d'autres auteurs qui le localisent au sud. Toutes ces constructions occasionnent de fortes dépenses, presque 8 500 livres dont 800 livres pour cette statue, réalisée à la manière médiévale en plein XVIIe siècle.
Les signes de son pouvoir
Le portrait de Jeanne-Baptiste de Bourbon la montre vêtue de sa guimpe recouverte de la coule noire, c'est-à-dire en "habit de Coeur", tenant les symboles de son pouvoir et de l'ordre. Elle tient dans sa main droite une crosse, bâton pastoral remis lors de la bénédiction abbatiale. Sa forme, recourbée à son extrémité supérieure, rappelle la houlette des bergers. Elle a charge d'âmes et doit veiller sur son troupeau. Ce bâton est un des plus anciens symboles de l'autorité des abbés. L'index de sa main gauche porte l'anneau pastoral, bague sans doute avec un sceau et portée en signe de sa charge. Elle tient aussi dans cette main gauche un crucifix. Cette croix, symbole de la manifestation de la foi chrétienne, évoque les origines de l'ordre, le lieu auquel se réfère Robert d'Arbrissel pour instituer l'abbesse à la place de Marie, en ayant tout pouvoir sur les religieux. Parmi ces attributs de l'autorité abbatiale (crosse, anneau et croix), le troisième lui confère une véritable autorité spirituelle sur les hommes de son ordre, rappelant aussi les fondements de l'ordre avec les dernières paroles du Christ sur la Croix.