Jeanne-Baptiste de Bourbon, 31e abbesse de Fontevraud

Coordination scientifique : Patricia Lusseau

L’échec de la canonisation du fondateur

Reliquaire

Reliquaire, anonyme, 17e siècle, cuivre argenté, 14,5 x 9 x 5,5 (cm), Martigné Briand, Monastère de la Barre, © Musea. 

Jeanne-Baptiste est la première et la seule abbesse de Fontevraud à tout mettre en oeuvre pour faire béatifier Robert d'Arbrissel. Celle qui se veut le chantre de ce fondateur, si souvent critiqué, à cause de son attirance pour les femmes, n'est autre qu'une fille naturelle, d'un roi, il est vrai surnommé le Vert Galant, et d'une femme aux multiples amants. Elle a besoin de cette canonisation pour renforcer le prestige de son ordre (le seul dont le fondateur n'est pas considéré comme un saint) et son pouvoir sur les hommes qui en dépendent.

Elle mène donc activement des démarches en vue de la canonisation soit en faisant rédiger de nombreux récits hagiographiques, soit en intervenant directement auprès du pape pour pouvoir célébrer l'office de saint Robert, soit en récupérant le cœur de Robert, resté à Orsan. Conservé dans un reliquaire de cuivre argenté, ce cœur est rapporté à Saint-Jean de l'Habit pour satisfaire les religieux. Tout semble aller pour le mieux, quand des épîtres de Marbode et de Geoffroi de Vendôme, critiquant entre autres l'ascèse sexuelle de Robert, sont publiées. Elle fait subtiliser les originaux du XIIe siècle, si compromettants, et poursuit son action en faisant inclure des miracles dans les deux Vitae de Robert. Elle recourt à l'exaltation du fondateur afin de renforcer son autorité pour régler le conflit en cours avec les religieux de l'ordre.

Ses nouvelles interventions auprès du Saint-Siège n'obtiennent aucun succès, tant est grande et gênante la singularité du fondateur et peut-être celle de Jeanne-Baptiste, tante de Louis XIV. Elle meurt avant d'avoir réussi son dessein.

Tout mettre en oeuvre

Jeanne-Baptiste de Bourbon, pleine de zèle dans cette entreprise, utilise toutes les relations possibles pour tenter d'obtenir la canonisation du fondateur.

Elle recourt à des ecclésiastiques, à des spécialistes hagiographiques, et en fait même une affaire de famille, constituant ainsi un quasi groupe de pression. Elle commence par établir avec l'aide du chapitre de Candes, un culte immémorial rendu à Robert, afin d'obtenir de Rome l'autorisation d'y dire un office et une messe, dans l'espoir d'une canonisation. En effet, un décret du pape Urbain VIII prévoyait la béatification et canonisation des saints honorés comme tels d'un culte immémorial. Par ailleurs un Jésuite, Honorat Niquet, hagiographe de Robert et apologiste de l'ordre, auteur d'une "Histoire de l'Ordre de Font Evraud" contenant la vie et les merveilles de la sainteté de Robert d'Arbrissel et l'histoire chronologique des abbesses (1641), se déplace à Rome et l'appuie dans ses démarches. Sébastien Ganot, religieux fontevriste rédige un ouvrage sur "Les gloires ou les éminentes vertus de Robert d'Arbrissel" (1648) et le dédie à la reine Marie-Thèrese d'Autriche, épouse du roi.

Louis XIV, lui-même, autorise, Baltazar Pavillon, à écrire une "Vie du Bienheureux Robert d'arbrissel, patriarche des solitaires de la France et instituteur de l'Ordre de Fontevrault" (1666). La veuve de Louis XIII, Anne d'Autriche, les demi-sœurs de l'abbesse, Christine de Savoie, les reines Elisabeth d'Espagne et Henriette d'Angleterre interviennent, envoyant des suppliques directement auprès du Saint-Siège. Enfin, Jean Lardier rapporte du prieuré d'Orsan, dans le reliquaire de cuivre argenté exécuté à ses frais, la relique du cœur de Robert d'Arbrissel.

Malgré toutes ces actions concertées, l'affaire demeure en suspens. L'abbesse doit renouveler suppliques et récits hagiographiques, mais en vain : la canonisation reste une chimère. Le fondateur n'a que le titre de bienheureux. Toutes les biographies édifiantes commandées par l'abbesse ne peuvent pas remplacer l'absence de miracles sérieux nécessaires à la canonisation. La rumeur de sainteté n'arrive pas à effacer les échos des scandales d'antan. Cet insuccès se confirme, d'ailleurs, à deux reprises au XIXe siècle (en 1853 et en 1863) car aucun miracle au tombeau ne vient signaler la sainteté du fondateur de l'ordre de Fontevraud.

L’échec de la canonisation du fondateur