Visages du suffragisme français

Coordination scientifique : Christine Bard Valérie Neveu

Le suffragisme en temps de guerre

Couverture de l’ouvrage de Léa Bérard, Au service de la France. Les décorées de la Grande Guerre

Couverture de l’ouvrage de Léa Bérard, Au service de la France. Les décorées de la Grande Guerre, anonyme, 1919, papier imprimé, Paris, BMD, © BMD. 

L'illustration en couverture de ce livre écrit par la féministe Léa Bérard en 1919 rend un hommage solennel au dévouement des femmes, laïques et religieuses, pendant la Grande Guerre. Mais les décorées restent au seuil du Panthéon qui réserve aux " grands hommes " l'" hommage de la patrie reconnaissante ". Alors que dans les pays voisins, la participation des femmes à l'effort de guerre facilite la réalisation de l'égalité politique entre les sexes, en France, l'hostilité au suffragisme l'emporte.

Pacifistes avant la guerre, les féministes se rallient dès le début du conflit à l'idée que la guerre est défensive et donc légitime. Une partie du territoire est envahi, les réfugiés affluent, l'aide aux civils s'impose à elles, de même que le soutien aux soldats. A l'arrière, les femmes en âge de travailler sont appelées à jouer un rôle majeur dans tous les secteurs où elles remplaceront les absents. La guerre totale les implique aussi. Leur adhésion à l'Union sacrée ne doit pas surprendre ; elle est d'ailleurs moins spectaculaire que celle des socialistes qui étaient plus véhéments dans leur opposition à la guerre (contre laquelle ils pensaient lutter avec l'arme de la grève générale internationale simultanée) et pour certains leur antimilitarisme. Elle laisse libre cours à l'expression du patriotisme, voire du nationalisme, le chauvinisme restant très exceptionnel. Les circonstances les décident à différer les luttes pour les droits des femmes, en particulier pour le vote, au profit des « devoirs » s'imposant aux « braves Françaises ». Elles suppléent l'Etat dans toutes sortes de tâches d'intérêt collectif à l'arrière, prenant une part active dans le recrutement de la main d'œuvre féminine, par exemple. Leur dévouement dans des œuvres de guerre sera reconnu par différents types de récompenses.

Très surveillé et combattu par les autorités, le pacifisme n'est toutefois pas complètement étouffé, même s'il reste, en France, extrêmement faible. La modération des féministes majoritaires a pour conséquence le réveil d'un féminisme radical réclamant le suffrage intégral.

Lucie Colliard, dans un studio de photographe

Lucie Colliard, dans un studio de photographe, anonyme, Sur la tablette est posée La Vague 1918, Paris, BMD, © BMD.

Le réveil d'un suffragisme radical

Alors que les féministes réformistes, partie prenante de l'Union sacrée, renoncent temporairement à réclamer le suffrage des femmes, des féministes radicales s'organisent. Aux réunions d'un nouveau groupe, l'Action des femmes, une socialiste, Monette Thomas réclame "une représentation proportionnelle des femmes au parlement", l'égalité étant garantie par deux candidats, un homme, une femme, dans chaque circonscription.

La branche radicale du féminisme, au contact de la minorité contestataire du mouvement ouvrier, se renforce, malgré la répression en 1917-1918. De journaux importants voient le jour : La Voix des femmes et La Vague, où brillent les promesses de la Révolution russe. La guerre aura profondément divisé le féminisme, ici comme ailleurs. Le pacifisme détournera à son profit une bonne partie des énergies féministes, entre les deux guerres, dans toutes les tendances de cette nébuleuse, du pacifisme internationaliste plus ou moins contrôlé par le PC, à l'ultrapacifisme cher aux anarchistes et à certains syndicalistes. La loyauté à la République restera,  pour les zélatrices de l'Union sacrée, la ligne à ne pas franchir, limitant leurs ambitions.

Lucie Colliard (1877-1961) est une des principales figures du féminisme radical et pacifiste. Comme Hélène Brion, son amie, c'est par le syndicalisme des instituteurs qu'elle rejoint le pacifisme militant, qui l'éloigne du féminisme réformiste (elle était déléguée de l'UFSF pour la région du Lac Léman avant 1914). En mars 1918, elle est condamnée à deux ans de prison par le conseil de guerre de Grenoble. Elle rejoint le Parti communiste en 1920 et est élue en 1921 secrétaire de l'Internationale des femmes communistes. Après son exclusion en 1929, elle militera dans les rangs de l'extrême gauche. C'est avec le titre de « résistante » qu'elle est élue, à la Libération, maire-adjointe de Clichy.