L'après-guerre ou l'espoir déçu

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Nos pancartes de propagande, Société pour l'amélioration du sort de la femme et la revendication de ses droits, début des années 1920, Paris, BMD, © BMD. 

La campagne suffragiste reprend dès la signature de l'armistice, avec l'espoir de voir le civisme féminin récompensé. Ainsi, en Angleterre, les femmes (de plus de trente ans) deviennent électrices et éligibles juste avant la fin de la guerre. Le droit naturel des femmes à être citoyennes ne s'impose pas comme une évidence. Souvent, les féministes sont amenées à utiliser d'autres arguments, fondés sur le mérite des femmes (comme les services rendus à la patrie) ou sur l'utilité sociale du vote féminin. Ce discours suffragiste considère qu'il y a une spécificité féminine, très visible dans le militantisme féminin pour la paix.

Comme le montre cette carte postale des années 1920, la Société pour l'amélioration du sort de la femme et la revendication de ses droits ne manque pas d'arguments en faveur du droit de vote, présenté comme la solution aux fléaux sociaux. Les femmes seraient, du fait de leur expérience ou de leur " nature ", plus sensibles que les hommes aux questions sociales. Les trois grandes tendances (réformiste, radicale et modérée) qui structurent le féminisme de l'entre-deux-guerres ont en commun cette conviction.

La reprise de la campagne suffragiste dans les années 1920

Les Françaises descendent rarement sur le pavé. Elles préfèrent à la manifestation d'autres moyens d'action : le lobbying, la conférence publique, la tribune féministe dans la presse générale, etc. Les volontaires pour aller manifester dans la rue, « comme les Anglaises », sont donc peu nombreuses. Il faut dire que les autorités ne les encouragent pas puisqu'elles leur refusent les autorisations. Difficile pourtant d'alléguer un « trouble à l'ordre public » lorsque l'on voit ces petits groupes de suffragettes au comportement parfaitement calme…

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Savoir trébuche Ignorance, Comité d'éducation féminine, 1925, timbre, Paris, BMD, © BMD.

L'utilité sociale du vote des femmes

Les suffragistes mettent en avant dans leur campagne l'utilité sociale du vote des femmes : elles affirment par exemple que dans les pays qui ont reconnu aux femmes des droits politiques, des campagnes de prévention sont menées, des mesures sanitaires sont prises pour lutter contre divers fléaux sociaux au premier rang desquels elles placent la syphilis et l'alcoolisme. Ce discours aux accents parfois patriotiques est susceptible d'emporter l'adhésion de certains conservateurs.

Lutter contre les maladies vénériennes

Ce timbre, édité en 1925 par le Comité d'Éducation Féminine (CEF) de la Société de prophylaxie sanitaire et morale, illustre l'action menée par les féministes en faveur de la prévention et de l'information des jeunes filles et des femmes concernant les maladies vénériennes. Le tabou sur la sexualité est alors très pesant, mais les femmes, de plus en plus nombreuses dans les professions de la santé (infirmières, doctoresses) contribuent à le lever, progressivement.

Lutter contre l'alcoolisme

Née en 1916, l'Union des Françaises contre l'alcool mène campagne contre les ravages de l'alcoolisme, " fléau social " accusé d'affaiblir la nation (alors en guerre) mais aussi de générer des violences domestiques. Malgré son dynamisme, cette campagne menée par des féministes et des philanthropes échoue, face au lobby influent des producteurs et distributeurs d'alcool, mais aussi face à une opinion publique peu séduite par la perspective du régime sec.

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Hors de France alcool maudit!, B. Chavannaz, Union des Françaises contre l'alcool, 1918, 80 cm x 177 cm, Paris, BMD, © BMD.

La tendance réformiste

Le féminisme réformiste domine. C'est une tendance républicaine, laïque, radicale ou socialisante, qui s'attache à la conquête de l'égalité juridique. Sa priorité est le droit de vote qu'elle revendique assez sagement par des pressions auprès des hommes politiques et une mobilisation de l'opinion publique (notamment par des meetings nombreux, qui attirent en moyenne 400 à 600 personnes ; mais aussi par la presse).

La routine suffragiste est mise en cause de l'intérieur par la plus radicale des associations de cette tendance, la Ligue française du Droit des femmes, animée par l'avocate Maria Vérone. Elle est l'organisatrice de manifestations interdites par les autorités devant le sénat. Des suffragistes plus hardies s'aventurent également dans l'hémicycle, pour y crier leurs slogans, distribuer leurs tracts ou s'enchaîner sur les bancs. Ces initiatives d'action directe ou de manifestations de rue répugnent aux autres militantes, attachées à la modération et au légalisme.

L'image de cette tendance est plutôt bourgeoise. Des dirigeantes d'associations peuvent consacrer tout leur temps au bénévolat ; d'autres travaillent, comme l'avocate Maria Vérone, d'origine modeste. La sociologie des adhérentes est plus diversifiée, mais il est vrai que les femmes de milieu populaire y sont rares. Dans l'ensemble, les hommes sont peu nombreux, mais ont un rôle actif dans certains groupes comme la LFDF qui aime à rappeler que Victor Hugo fut un de ses présidents d'honneur. Les caractéristiques les plus importantes des militantes de cette tendance sont finalement un niveau d'instruction élevé des militantes) et le fait qu'elles sont issues des milieux protestants et juifs.

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Portrait de Gabrielle Duchêne.Femmes. Revue éditée par le Comité mondial des femmes contre la guerre et le fascisme, 1937, Nanterre, BDIC, © BDIC.

Comme le montrent les Etats généraux du féminisme organisés à Paris en 1929, autour des grandes associations suffragistes gravitent bien d'autres associations féminines spécialisées et le droit de voter n'y est qu'une revendication (la plus importante certes) parmi d'autres. La tendance réformiste élabore en effet un programme qui envisage ce que pourrait être l'apport spécifique des femmes dans la vie politique : contre la misère et la guerre, contre les fléaux sociaux, puis, dans les années 1930, pour une politique propre, à l'image des maisons bien tenues par les ménagères. Ce projet se présentant comme une alternative à la mauvaise gestion masculine, n'a d'original que son caractère féminin autoproclamé. Il est assez proche de celui des associations d'anciens combattants (particulièrement importantes entre les deux guerres). Il témoigne d'un attachement profond aux valeurs de la République et de l'assimilation des méthodes « masculines » en matière d'organisation. En 1938 est fondée l'Association des femmes décorées de la légion d'honneur, pour prouver le civisme de l'élite féminine du pays.

La tendance radicale

Pour les féministes radicales, le féminisme va au-delà de l'égalité juridique. Il doit dénoncer toutes les facettes du masculinisme, en particulier dans la famille et la sexualité. Il est aussi nécessairement anticapitaliste, en raison de l'exploitation spécifique des travailleuses. Les féministes radicales sont en général aussi des révolutionnaires et des pacifistes convaincues, très attachées à l'internationalisme. Elles sont hostiles à la religion, institution masculiniste accusée de maintenir la servitude et la passivité des femmes. Madeleine Pelletier, Hélène Brion, Nelly-Roussel ont par leurs conférences, leurs ouvrages, leurs articles dans divers journaux défendu ces idées, relayées par La Voix des femmes. Elles influencent également les Groupes féministes de l'enseignement laïque. L'opposition avec les autres tendances féministes se cristallise sur la loi de 1920 (contre la contraception, l'avortement et le néo-malthusianisme) qu'elles combattent et sur le nationalisme explicite ou implicite des grandes associations, vivifié par la guerre.

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Portrait d'Edmée de la RochefoucauldMinerva photographie de Piaz, 1935, Paris, BMD, © BMD.

Entre les deux guerres, la tendance radicale s'affaiblit pour plusieurs raisons. Elle ne s'appuie plus sur des associations, et surtout, disperse ses efforts : certaines militantes sont absorbées par le pacifisme, comme Madeleine Vernet, et surtout Gabrielle Duchêne, qui anime la section française de la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté (1919). D'autres préfèrent la politique, mais le Parti communiste les déçoit rapidement. Les unes et les autres n'ont pas transmis le flambeau aux plus jeunes. Madeleine Pelletier, la théoricienne du féminisme égalitaire, ne s'étonne pas des lenteurs, ni des régressions, de la marche vers l'égalité des sexes qu'elle juge néanmoins inéluctable. Les vies des féministes radicales sont marquées par une certaine souffrance. Hélène Brion et Lucie Colliard ont connu la prison ; Madeleine Pelletier les brimades professionnelles, puis l'arrestation, à la suite d'une dénonciation, pour pratique d'avortement, et finalement l'asile. Dans les années 1930, c'est dans les luttes antifascistes ou bien ultrapacifistes qui s'investissent les militantes vieillissantes.

La tendance modérée

Le féminisme s'élargit aux femmes catholiques avec la création en 1920 de l'Union nationale pour le vote des femmes. L'association n'est certes pas confessionnelle – le terrain est d'ailleurs déjà occupé – mais son féminisme se veut modéré et ses dirigeantes ne cachent pas leurs sympathies pour les partis de droite (Alliance libérale, Fédération républicaine, voire Jeunesses patriotes). Sa définition de l'identité féminine reste traditionnelle (la femme est « née pour être mère »), ce qui ne l'empêche pas de « demander pour les femmes une partie des droits que les hommes se sont accordés entre eux au cours des siècles, droits juridiques, professionnels, politiques, droit de posséder, de s'instruire, de s'associer, etc. » (Edmée de la Rochefoucauld, 1939). Cependant, précise bien la duchesse de la Rochefoucauld, « nous ne voulons en aucune occasion nous départir de la plus haute courtoisie et nous désirons garder à nos actes la modération parfaite qui convient à notre sexe et aux peuples civilisés ». Pour le droit de vote, elle mène une campagne dynamique, attachée à la formation civique des adhérentes (100 000 déclarées dans les années 1930) et des futures électrices, et à la persuasion des élites masculines du pays. La déclaration du pape Benoît XV en faveur du suffrage des femmes, en 1919, autorise leur engagement. La conviction de l'inéluctabilité du vote des femmes amène également les partis de droite à évoluer, en espérant beaucoup de ces futures électrices que l'on suppose plutôt cléricales. Mais la masse des femmes catholiques reste indifférente, voire hostile au féminisme.