La « Belle Epoque » du suffragisme
La Belle Époque est réputée être "l'âge d'or" du féminisme, devenu une "question de société", notamment dans les médias. Marguerite Durand parvient à créer en 1897 un quotidien féministe. Un Conseil national des femmes françaises (CNFF) se forme en 1901, pour rassembler la plupart des groupes féminines et féministes ; il crée une section « suffrage » en 1906. Une association suffragiste bien structurée, d'envergure nationale est fondée en 1909 : l'Union Française pour le Suffrage des Femmes (UFSF) associé à l'hebdomadaire La Française . La France est désormais en mesure de participer au mouvement international : le CNFF rejoint le CIF (Conseil international des femmes) et l'UFSF rejoint l'AISF (Association internationale pour le suffrage des femmes). La vieille Ligue française du Droit des Femmes porte également la cause du suffrage avec, à sa tête, Maria Vérone.
Un féminisme plus radical dans la demande d'égalité politique, sociale, morale et sexuelle se constitue, incarné par Madeleine Pelletier.
Au total, entre 1868 et 1914, on dénombre 112 groupes, associations et ligues féministes et, de 1880 à 1914, 44 titres de périodiques. Autant de nuances dans la nébuleuse féministe : on parle de « féminisme chrétien » de « féminisme maternel », de « féminisme protestant », « philanthropique », « abolitionniste », « néo-malthusien ». Sans qu'il soit possible de les qualifier de « féminisme lesbien », ce sont bien les valeurs du féminisme qui inspirent les artistes du salon de Natalie Clifford Barney qui honore les amours saphiques (poésie de Renée Vivien notamment).
Cette effervescence bénéficie à la cause suffragiste, auprès des parlementaires, qu'il faut convaincre, mais aussi dans l'opinion publique. La première manifestation de rue d'importance a lieu à Paris le 5 juillet 1914 et fleurit la statue de Condorcet, philosophe qui a, pendant la Révolution, défendu pour les femmes le « droit de cité ».
Marguerite Durand (1864-1936)
La Belle Époque du féminisme est marquée par l'expérience du journal La Fronde, entièrement conçu, écrit, fabriqué et vendu par des femmes, et par la personnalité de sa fondatrice, Marguerite Durand. D'abord actrice (à la Comédie française, où elle entre en 1881), elle se rapproche de la politique en se mariant avec le socialiste Georges Laguerre : elle participe à l'aventure du boulangisme, et collabore au Figaro à partir de 1896.
C'est en tant que journaliste qu'elle assiste au Congrès féministe international de 1896. Dès lors, « convertie » à la cause, elle ne cessera plus de défendre les droits des femmes, en particulier dans le domaine du travail. Ses relations, son charme rayonnant – une beauté blonde souvent mentionnée par ses contemporains comme un atout -, son pragmatisme rendent de grands services. À partir de la documentation réunie pour La Fronde, elle augmente ses collections de livres et d'archives et convainc la ville de Paris de fonder la bibliothèque qui porte son nom, en 1931.
1901 : naissance du CNFF
Cette carte postale éditée avant 1914 par le Conseil national des femmes françaises déroute nos représentations du combat féministe. Elles paraissent sages et graves, ces deux femmes qui symbolisent l'action du CNFF, à mille lieues des femmes-fleurs de la Belle Epoque. Elles se distancient aussi de la caricature des " suffragettes ". Est-ce la crainte de la dérision, arme privilégiée par les antiféministes, qui pousse les féministes réformistes à cultiver un tel sérieux ? Ou l'influence de leur morale qui nimbe ce tableau d'une certaine religiosité ? La provocation et l'humour, ce sera pour plus tard, quelque 70 ans plus tard.
Ghénia Avril de Sainte-Croix, veuve d'un magistrat et femme de lettres discrète (utilisant le pseudonyme de Savioz), découvre le féminisme grâce à une correspondance avec Joséphine Butler qui l'encouragea en 1896 à lutter contre la prostitution : elle crée en 1900 l'œuvre libératrice, puis la Section Unité de la morale au sein du CNFF. Elle est reconnue par les pouvoirs publics au niveau national et au sein de la Société des Nations et du Bureau international du Travail comme une experte dans le domaine de la prostitution, de la traite des blanches et de la prophylaxie des maladies vénériennes. Elle organise des asiles et des foyers pour les jeunes filles et les femmes en difficulté et n'hésite pas à ouvrir sa porte à celles qui sont dans le besoin. Son autorité morale s'impose au sein du CNFF dont elle est secrétaire générale (1901-1922), présidente (1922-1932) puis présidente d'honneur jusqu'à sa mort. Son activité est reconnue par la grande médaille d'or de l'Assistance publique et de l'Hygiène et par le grade de Commandeur de la Légion d'Honneur.
Jane Misme (1865-1935)
Jane Misme, d'origine modeste, mène parallèlement à sa carrière de journaliste et de femme de lettres, diverses activités féministes. Elle devient secrétaire en 1896 de l'Avant-Courrière, crée en 1906 l'hebdomadaire La Française dont elle s'occupera pendant de longues années. Vice-présidente de l'UFSF de 1909 à 1935, elle est aussi active au CNFF où elle préside la section Presse, Lettres et Arts.
L'association internationale pour le Suffrage des femmes
Dès 1884, Hubertine Auclert demande aux suffragistes américaines Susan B. Anthony et Elizabeth Cady Stanton de venir en aide aux Françaises en organisant un congrès universel pour le suffrage des femmes à Paris. Mais le Conseil international des femmes, fondé en 1888 aux Etats-Unis, est divisé sur cette question des droits politiques. Ses atermoiements provoquent la création en 1904 d'une association spécifiquement dédiée à leur conquête. C'est encore une Américaine, Carrie Chapman-Catt (1859-1947) qui en est à l'initiative. L'Union française pour le suffrage des femmes, fondée par Jeanne Schmahl, d'origine anglaise, rejoindra l'AISF en 1909. En 1913, Budapest accueille le congrès suffragiste international. Sollicitées pour organiser le suivant, les Françaises refusent, considérant que la question n'est pas assez mûre dans leur pays.
Maria Vérone (1874-1938)
Issue d'un milieu modeste et libre-penseur, Maria Vérone entre dans la vie active et militante très jeune. Elle défend la laïcité dans ses conférences, collabore à La Fronde et adhère à la Ligue française pour le droit des femmes en 1900. Elle reprend ensuite des études, passe le baccalauréat et devient avocate en 1907. Elle se remarie en 1908 avec l'avocat Georges Lhermitte, lui aussi militant à la LFDF (qu'il présidera à la mort de son épouse). Sa carrière d'avocate (et son rôle dans la création des tribunaux pour enfants) est un modèle pour les féministes.
Elle met sur pied l'Union nationale et internationale des avocates. Mais pour l'essentiel, elle se consacre à l'émancipation politique et civile des femmes. Secrétaire générale (1904) puis présidente de la LFDF (1919-1938), elle emploie des méthodes énergiques et participe aux manifestations devant le Sénat, interdites par les autorités. Elle est aussi active au CNFF dont elle préside dans les années vingt les sections Suffrage et Législation et représente la France au Conseil international des femmes. Elle inspire le travail qui aboutit en 1927 à la réforme de la nationalité de la femme mariée (qui obtient alors le droit de garder sa propre nationalité). Plus radicale que les militantes de l'UFSF, Maria Vérone sera décorée tardivement (1936) de la Légion d'honneur.
Madeleine Pelletier (1874-1939)
La jeune doctoresse Madeleine Pelletier prend la direction de la Solidarité des femmes en 1906. Cette association créée par Eugénie Potonié-Pierre en 1891, dirigée par Maria Martin, puis Caroline Kaufmann, attire des femmes aux idées « avancées », de sensibilité socialiste. Parmi elles, de nombreuses franc-maçonnes.
Les ambitions de Madeleine Pelletier son vastes : donner la priorité au suffragisme, créer de vastes organisations féministes, faire de l'entrisme dans les partis politiques.
Elle s'investit, parallèlement à ses activités féministes et maçonniques, à la SFIO.
Mais on est loin, à Paris, des exploits des suffragettes anglaises qu'admirent les féministes radicales. Les manifestations lancées par Madeleine Pelletier attirent peu de monde. Elle tente l'action directe en cassant les vitres d'une salle de vote, organise un lâcher de tracts à la chambre des députés, et surtout se présente aux élections. La SFIO lui concède le VIIIe arrondissement en 1910.
En 1912, elle est à nouveau candidate pour les municipales. Madeleine Pelletier fait progresser la cause du suffrage à gauche. C'est grâce à elle que le parti socialiste intègre le droit de vote dans son programme. Dans ses publications (ses livres et sa revue, intitulée La Suffragiste) et dans ses actions, elle élabore un féminisme égalitaire exigeant des femmes une virilisation de leur comportement. Trop radicale, née « trop tôt », pense-t-elle, Madeleine Pelletier reste isolée et représente une figure atypique du féminisme en France.
La campagne du Journal en 1914
Si les manifestations publiques ne rassemblent que quelques milliers de personnes, le référendum organisé par le quotidien Le Journal du 26 avril au 3 mai 1914 sous le nom de " vote blanc " – en parallèle aux élections législatives – est un succès, puisqu'il recueille 500.000 voix favorables au suffrage des femmes.
Dans le matériel de propagande diffusé par Le Journal à l'occasion de la campagne suffragiste de 1914, figurent des objets originaux comme cet éventail suffragiste et ces brassards. Les porter exige un certain courage, car les manifestantes subissent d'incessantes moqueries.
1914 : la campagne suffragiste
Le 5 juillet 1914, 2 400 suffragistes vont fleurir la statue de Condorcet qui défendit pendant la Révolution le droit de vote des femmes. La manifestation est organisée par la journaliste Séverine. La faible participation montre à quel point la manifestation de rue intimide les Françaises qui craignent d'être comparées aux énergiques " suffragettes " anglaises. Dans le contexte français, cette marche est néanmoins considérée comme une réussite.
Trois semaines plus tard, l'élan suffragiste est brisé par le déclenchement de la guerre.