1944 : une victoire tardive
Par l'ordonnance du 21 avril 1944 sur l'organisation des pouvoirs publics à la Libération, signée par le général de Gaulle, les Françaises deviennent électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes. La décision est prise à l'issue d'un ultime débat le 24 mars 1944 par l'Assemblée consultative d'Alger mise en place par le général de Gaulle et dont le rôle est de représenter une espèce de continuité des institutions républicaines. Cette assemblée est composée à la fois de résistants et d'anciens élus de la IIIe République. La commission de réforme de l'État est présidée par François Giacobbi, ancien sénateur radical de Corse, notoirement hostile au vote féminin. Et le 24 mars, l'article 16 qu'il propose au vote n'envisage que l'éligibilité des femmes. Fernand Grenier, communiste, dépose alors un amendement en faveur de l'égalité complète des droits politiques qui est finalement adopté à une majorité de 51 voix contre 16 sur 67 votants après un débat très révélateur de la persistance des mentalités traditionnelles dans une assemblée pourtant chargée du renouveau des institutions.
Dès la Libération, le suffragisme est oublié. Le plus souvent, l'avènement de la citoyenneté féminine est vu comme la récompense du rôle tenu par les femmes dans la Résistance. Les jeunes femmes n'ont pas le sentiment d'avoir été exclues puis intégrées : les dernières élections remontent à 1936. Les associations militantes, autodissoutes en 1940, se reconstituent, très discrètement. Le premier vote des femmes est presque un « non événement ». Il aura fallu un recul de plus d'une cinquantaine d'années et le réveil d'un féminisme revendiquant à nouveau l'égalité politique dans les faits (la parité) pour que soit reconsidérée l'histoire du suffragisme français, ainsi que sa place dans la mémoire nationale.
L'ultime débat à Alger
Comme sous la IIIe République, l'hostilité est souvent masquée par des arguties procédurières. On s'inquiète, notamment du fait que les prisonniers et déportés ne sont pas encore rentrés. Il y aurait « deux fois plus de femmes que d'hommes », voire « deux fois et demi » (les estimations les plus vraisemblables portent à 62 % au maximum la part des femmes dans le corps électoral en 1945). Comment constituer les listes ? Éviter les fraudes? Surmonter le manque de temps ? Les défenseurs de l'amendement n'argumentent pas d'une manière féministe et justifient la citoyenneté comme récompense donnée aux résistantes. Jacques Duclos, l'un des dirigeants du Parti communiste, rend hommage aux « sacrifices » et au « courage » des femmes tout en affirmant que « les femmes des prisonniers et de ceux qui sont morts pour la Patrie remplaceront leurs maris » : on retrouve ici la notion de « suffrage des morts » défendue par Barrès pendant la Grande Guerre .
Pourtant, dès la Libération, les résistantes sont exclues des honneurs et de la mémoire officielle. Ainsi, elles ne sont que 6 sur 1 059 croix de la Libération. Aucune femme n'est commissaire de la République ou préfet, aucune n'est présidente de comité départemental de Libération. Les aspirations des résistantes apparaissent à la Libération assez diversifiées. Certaines estiment avoir pris goût à l'indépendance dans leur vie privée et professionnelle. Indiscutablement, dans l'action se sont révélés des tempéraments de femmes fortes qui contrastent avec l'image de l'épouse discrète et soumise entièrement dévouée à son foyer, image triomphante pourtant dans les années 1950. Mais « comment se faire entendre ? On paraissait ne plus nous écouter ». Sans contester cette régression, « la plupart d'entre elles [les femmes] redevinrent, au sein de leur famille, et dans la société, les individus de seconde catégorie qu'elles avaient été avant la guerre », écrit Célia Bertin.
Le féminisme postsuffragiste
Désorientées par leur victoire (l'ordonnance de 1944, puis la reconnaissance de l'égalité des sexes dans la Constitution de la IVe République), les associations suffragistes doivent se reconvertir. L'UFSF devient Union française des électrices (sous la houlette de Germaine Malaterre-Sellier) et l'UNVF Union nationale des femmes (toujours sous la direction de la duchesse de La Rochefoucauld). L'Union féminine civique et sociale, fondée en 1925 dans le giron du catholicisme social, prend un tournant féministe et incite les femmes à faire de la politique, au moins au niveau local. Le Conseil national des femmes françaises (Marguerite Pichon-Landry) reprend ses activités.
Mais les groupes les plus explicitement féministes ne sont plus sur le devant de la scène. Femmes catholiques et femmes communistes rivalisent d'ardeur, laissant peu de place aux héritières du féminisme de la IIIe République, attaché à l'égalité des droits, et militant désormais surtout pour la réforme du Code civil. Il faut attendre 1956 pour qu'un nouveau type de féminisme prenne forme, avec Maternité heureuse, préfiguration du Mouvement français pour le Planning familial.