Les danseuses Ouled Naïls et le Djebel Amour

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Ouled Nayls de Biskra, Algérie n° 50, Collection idéale P.S, anonyme, début du 20e siècle, carte postale, Montreuil, Musée de l’histoire vivante, © Musée de l’histoire vivante.

Figures classiques de l'Orientalisme et de l'imaginaire colonial, les Ouled Naïls représentent la quintessence de la "femme fatale" orientale comme le montre avec passion et talent Emile Masqueray. Considérées dès le début de la colonisation de l'Algérie comme des "tentatrices" à la beauté "sauvage" et aux mœurs étranges, les Ouled Naïls sont surtout connues pour la dextérité ensorcelante de leurs danses et la luxuriance de leurs parures composées de somptueux diadèmes (arsa) surmontés de plumes d'autruche, de coiffes agrémentées de broches circulaires en forme de soleil (chemmassa), d'imposants colliers de louis d'or (chentouf louiz), de lourds bracelets ciselés recouverts de clous pointus (dhouh), de fibules en argent à la taille impressionnante…

Très apprêtées, les danseuses Ouled Naïls sont aussi très fardées : yeux noircis de khôl, mains ocrées de henné, corps parfumés de bkhûr. Les visages, dessinés par l'ushâm (tatouage) sont parfois recouverts de poudre de riz (bulbu). Dans cette blancheur artificielle se dégagent d'ailleurs les pommettes rehaussées par l'utilisation d'un fard rouge (akkar hmimiqa) très prisé des danseuses.

Bibliographie indicative
> Emile Dermenghem, Le Pays d'Abel. Le Sahara des Ouled Naïls, des Larbaa et des Amour, Paris, Gallimard, 1960.
> Mathéa Gaudry, La Société féminine au Djebel Amour et au Ksel. Etude de sociologie rurale nord-africaine, Alger, Société algérienne d'Impressions diverses, 1961.

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Carte de la région du Djebel Amour, extrait de Emile DERMENGHEM, Le Pays d’Abel : le Sahara des Ouled Naïl des Larbaa et des Amour, 1960, Gallimard, collection l’espèce humaine, p. 22-23, anonyme, date inconnue, © droits réservés.

Les Ouled Naïls

Issues d'une confédération de tribus de la région du Djebel Amour, les femmes connues sous l'appellation d'Ouled Naïls viennent de fractions claniques différentes : Thou'aba, Ouled Si Ahmed, Ouled Reggad, Abbaziz...

Dans la carte postale Femmes des Ouled Naïls, ce qui frappe au-delà de la mise en scène orientaliste soignée, c’est le fantasme récurrent du harem matérialisé par le topos du « couple de femmes » toujours à la disposition, puisque en attente, de l’homme.

Vivants aux marges du Sahara, les danseuses Ouled Naïls ont souvent été associées à lui. Dans cette carte postale la présence du palanquin rappelle la prégnance, dans la région, de la « civilisation du désert » et du commerce transsaharien. Souvent associées à un monde de l’occulte perçu comme « étrange » et « dangereux », les Ouled Naïls sont aussi parfois assimilées à l’islam populaire comme le montre cette carte postale où le modèle pose devant la kouba (le mausolée) d’un marabout (un saint) local.

'Chez les Aoulâd Naïel', dans Souvenirs et visions d'Afrique (p. 94-97), Emile Masqueray, 1894, PDF (87 ko), © droits réservés.

De Emile Masqueray à Paul Mink

Emile Masqueray : orientalisme

Emile Masqueray est né à Rouen en 1843 et est mort à Saint-Etienne-du-Rouvray en 1894. Agrégé d'histoire de l'Ecole Normale, il est ensuite nommé, en 1872, professeur au lycée d'Alger - poste qu'il quitte en 1880 pour la chaire d'histoire et d'antiquités d'Afrique à l'Ecole supérieure des Lettres d'Alger dont il assure, par ailleurs, la direction. Créateur du Bulletin de Correspondance Africaine, il est l'auteur de nombreux articles et ouvrages - dont sa thèse, La Formation des Cités, publiée en 1886.
Ses Souvenirs et visions d'Afrique, dans lesquels il dresse un portrait atypique de la danseuse Ouled Naïl Khamissa, datent de 1894.

Paul Mink : une vision coloniale

Très éloignés du texte d'Emile Masqueray, les articles de Paul Mink - publiés dans Coup de feu en 1886 - ont ceci en commun d'être totalement imprégnés par l'idéologie coloniale. Tous les thèmes récurrents de cette dernière - les peuples à l'état d'enfance, la femme algérienne animal domestique et jouet sexuel, l'appétit charnel des Arabes…- sont là pour dresser un portrait de la société algérienne et des rapports sociaux de sexe affligeant de clichés.

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Danses d'Ouled Naïls, Scènes et types,  LL (ed.), début du 20e siècle, carte postale, Montreuil, Musée de l'histoire vivante, © Musée de l'histoire vivante.

Cette "adaptation", largement figurée par la carte postale coloniale, est particulièrement visible dans l'évolution technique et esthétique de leur danse comme l'ont souligné de nombreux témoins de l'époque et Barkahoum Ferhati dont le sujet de thèse porte précisément sur les "danseuses-prostituées" Ouled Naïls : "La danse saâdaoui, dite aussi naïli, est accomplie par deux femmes qui vont et viennent en une démarche glissante et légère, scandée par des balancements de bras et des flexions des mains ; puis, continuant à avancer de front, elles unissent leurs mains sur lesquelles elles balancent, en une modulation douce, leurs bras demeurés libres. La littérature qualifiait cette danse de hiératique. La carte postale a fixé l'image de la "danse de la bouteille", qui fit son apparition pour la première fois au quartier réservé, où la danseuse portait une bouteille d'alcool en équilibre sur sa tête. Il est une autre danse étrangère à la tradition locale, la "danse nue". Emile Dermenghem la qualifiait d'hérésie. Elle était exécutée en seconde partie du programme de la soirée, moyennant un supplément. On remarque que, lorsque les demoiselles dansaient nues, les musiciens se retournaient sur leurs tabourets et jouaient le nez contre le mur".

Bibliographie indicative
> Barkahoum Ferhati, "La danseuse prostituée dite "Ouled Naïl", entre mythe et réalité (1830-1962). Des rapports sociaux et des pratiques concrètes", Christine Bard, Christelle Taraud (dir), Clio. Histoire, femmes et sociétés n° 17, Toulouse, PUM, printemps 2003, p.101-113.
> Barkahoum Ferhati, Lecture d'histoire sociale de la prostitution. Le cas de la prostitution dite "Ouled Naïl" à Bou Saâda, thèse de doctorat, EHESS, avril 2002.