Femmes orientales dans la carte postale coloniale

Coordination scientifique : Christelle Taraud

Juives de la médina : population de l'entre-deux

Femme Juive (costume de ville), Scènes et types n° 6372

Femme Juive (costume de ville), Scènes et types n° 6372, LL (ed.), début du 20e siècle, carte postale, Montreuil, Musée de l'histoire vivante, © Musée de l'histoire vivante. 

"La femme juive a tantôt éveillé chez les photographes un regard de piété (les madones juives de Lehnert et Landrock), tantôt nourri une verve caustique sans doute non exempte, on peut le redouter, d'un certain antisémitisme : les "grosses juives tunisiennes" (…) et quelques autres femmes incarnent assez bien les "horribles juives" dont il est question dans "Les Fleurs du mal" écrit ainsi Jean Michel Belorgey dans sa postface de Femmes d'Afrique du Nord. Cartes postales (1885-1930).

Des femmes juives séfarades présentées ici, on retient surtout la "proximité" avec les portraits de "Mauresques" déjà évoqués. "Proximité" qui dit l'histoire commune - notamment depuis la chute d'Al Andaluz et le retour des megorashim vers le Maroc - et la participation évidente à une culture urbaine conjointement partagée. Bien que "protégées" en Dâr al Islam par leur statut de dhimmi, les populations juives séfarades du Maghreb ont toujours été considérées comme "minoritaires" et, en tant que telles, ont été cantonnées, à l'intérieur des médinas traditionnelles, dans des quartiers spécifiques appelés mellahs. L'existence réelle de ces "ghettos" juifs ne doit cependant pas faire oublier la complexité et la diversité de riches relations intercommunautaires inscrites dans la longue durée et la solidarité réelle qui a pu exister, avant et pendant la colonisation, entre les femmes juives et musulmanes.

Le costume d'intérieur des femmes juives

Il y a, en effet, une grande "proximité" entre les tenues portées à la maison par les femmes musulmanes et par les femmes juives - une sorte de profil judéo-arabe que l'on retrouve notamment dans la carte postale Femme juive (costume de ville).

D'une manière générale, le costume traditionnel des femmes juives est composé d'un séroual bouffant ou d’un caleçon - auquel peuvent être adjointes des guêtres imposantes en tissu damassé - d'une tunique large souvent assortie de glands frangés, de mules brodées et d'un chapeau conique très spécifique de l'appartenance confessionnelle. Parfois, la tenue peut aussi être agrémentée d'un gilet brodé (ghlila), d'une chemise à manches vaporeuses et d'une fouta - sorte de grande étoffe qui recouvre totalement la femme de la taille jusqu'aux genoux.

Mellahs : "ghettos" juifs des médinas traditionnelles

Mellah vient du mot arabe mehl qui veut dire sel - à Tunis, le mellah portait le nom de hara qui signifie simplement "quartier" en arabe - . Le terme désigne donc d'abord l'impôt qui frappait les Juifs en Dâr al islam, puis, par extension, le quartier de la médina où le makhzen les avait autorisés à vivre. A l'origine, en effet, les Juifs n'avaient pas le droit de résider à l'intérieur des villes, ils y venaient seulement la journée pour commercer. Le soir venu, ils devaient regagner le mur d'enceinte où ils logeaient. Pris sous la protection du Sultan, ils ont ensuite été autorisés à s'installer à l'intérieur des médinas et à y disposer de leur propre quartier.

Femme juive en costume d'intérieur, Scènes et types n° 6395

Femme juive en costume d'intérieur, Scènes et types n° 6395,  LL (ed.), début du 20e siècle, carte postale, Montreuil, Musée de l'histoire vivante, © Musée de l'histoire vivante.

Au Maroc, le premier mellah a été fondé à Fès, sous les Mérinides, en 1438. Avec la colonisation et la fin du statut de dhimmi, les Juifs aisés ont pu quitter les mellahs pour se fondre, en s'occidentalisant, dans la ville européenne où ils côtoyaient les Français, les Espagnols et les Italiens, leurs voisins. Désertés par la classe supérieure de la population juive, la grande précarité urbaine, économique et sociale qui sévissait, avant la colonisation, dans les mellahs s'est alors encore accrue faisant d'eux des espaces en déshérence où se côtoyaient populations pauvres et groupes marginalisés comme le montre Nine Moati dans son livre Belles de Tunis.

Bibliographie indicative

> Paul Sebag, Histoire des Juifs de Tunisie des origines à nos jours, Paris, L'Harmattan, 1991.
> Joëlle Bahloul, La Maison de mémoire. Ethnologie d'une demeure judéo-arabe en Algérie (1937-1961), Paris, Métailié, 1992.