Femmes noires : objet érotique ou sujet domestique

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Négresse, Algérie n° 404, Collection Idéale P.S, anonyme, début du 20e siècle, carte postale, Montreuil, Musée de l’histoire vivante, © Musée de l’histoire vivante. 

Doublement stigmatisées, dans les sociétés maghrébines traditionnelles par leur statut servile et, dans le contexte colonial, par la couleur de leur peau, les femmes noires du Maghreb sont systématiquement associées à une condition sociale précaire - visible à la pauvreté des vêtements et des bijoux figurés dans les cartes postales - et à des activités économiques perçues et considérées comme peu valorisantes.

Lorsque les femmes noires sont "érotisées" - c'est-à-dire, dans l'esprit des photographes, dénudées" - c'est toujours pour montrer le « primitivisme » de leurs mœurs et la "sauvagerie" de leur sexualité. A partir du début du XXe siècle pourtant, on assiste à une véritable "domestication" de ces femmes qui se traduit, dans les représentations, par une certaine exigence de "civilisation". La nudité, très commune jusqu'alors, disparaît au profit de la "tenue décente" comme le montre la carte postale Négresse.

Dans le cas des femmes noires, l'imaginaire colonial fonctionne donc d'une manière inversée par rapport au traitement appliqué aux "Mauresques". Comme le souligne justement Eric Saverese :

"[…] ces deux représentations relèvent pourtant de la même logique : à une femme noire "découverte" dénudée et qui fascine mais inquiète, correspond une volonté de la vêtir, tandis que la "Mauresque", vêtue et perçue comme pudique, fascine mais intrigue : d'où la volonté de la dévêtir."

L'esclavage des "négresses" dans le Maghreb pré-colonial

La vente des proches était, notamment dans les périodes de crise économique, une pratique courante des couches pauvres nord-africaines. Au Maroc, au moment de la grande famine de 1878-1879, le Sultan écrit ainsi au pacha de Taroudant : "Les gens dans le Sous sont, ainsi que Dieu le veut, du fait de la disette. Ils vendent leurs enfants et en mangent le prix."

Des femmes pour le sexe et les travaux ménagers

La question de l'esclavage, et par extension de son rôle dans la régulation de la sexualité masculine, est donc déterminante au Maghreb. Dans les couches les moins aisées de la population, ce sont souvent les "négresses" qui cumulent les fonctions de servantes et de concubines. Dans la plupart des cas - si on excepte les concubines-esclaves peuplant les harems des grands princes musulmans - les femmes noires sont perçues à travers une sexualité supposée "débridée" et sont réduites à des tâches domestiques subalternes. Ce sont d'ailleurs elles qui forment l'essentiel de la masse servile féminine. Comme le signale Mohamed Ennaji, l'esclave noire : "[…] acquise dans des demeures plus proches de la pauvreté que de l'aisance, était tout à la fois ménagère, souffre-douleur et factotum puisqu'elle allait jusqu'à consentir au mari des faveurs que l'épouse ne voyait pas d'un bon œil". Tahar Ben Jelloun a brossé, dans son livre Moha le fou, Moha le sage, un portrait poignant et terrifiant de la condition d'une de ces femmes esclaves.

Extrait de Tahar Ben Jelloun, Moha le fou, Moha le sage, Paris, Le Seuil, 1978, pp 52 à 55, © Le Seuil.

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Négresses faisant le couscous, Algérie n° 497, Collection Idéale P.S, anonyme, début du 20e siècle, carte postale, Montreuil, Musée de l'histoire vivante, © Musée de l'histoire vivante.

Jusqu'au début du XXe siècle, rares sont les cartes postales montrant des femmes noires avec des enfants. La représentation de la "sauvage", soumise à des "mœurs archaïques", n'est pas alors considérée comme compatible avec celle de la mère aimante et attentive. Progressivement pourtant, apparaissent des images dépeignant un rapport "affectif" - les femmes tiennent les enfants dans leurs bras ou sur leurs genoux - et une prise de conscience des "devoirs maternels".

Il s'agit alors, pour le colonisateur, de mettre en avant, en exemplifiant cette « évolution », le rôle fondamental de l'action coloniale et de la "mission civilisatrice" françaises. Ce "nouveau" rapport affectif et maternel n'exclut pas cependant, comme le souligne avec justesse Eric Saverese, l'image d'une Africaine soumise à des conditions de vie difficiles dans une nature âpre et austère - "bêtes de somme" portant les enfants sur le dos pour ne pas gêner le travail domestique (ramasser le bois, puiser l'eau, tisser la laine ou rouler la graine de couscous).

Bibliographie indicative
> Eric Savarese, "La femme noire en image. Objet érotique ou sujet domestique", Pascal Blanchard, Stéphane Blanchoin, Nicolas Bancel, Gilles Boëtsch, Hubert Gerbeau (dir), L'Autre et nous. Scènes et types, Paris, Syros, 1995, p.78- 84.