La carte postale coloniale

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Danseuse arabe, n° 138 T, ND Phot (ed.), début du 20e siècle, carte postale, Montreuil, Musée de l'histoire vivante, © Musée de l'histoire vivante. 

Les cartes postales de cette exposition ont été produites à partir de photographies provenant de plusieurs fonds iconographiques distincts : Léon & Lévy (LL)Neurdein Frères (ND) et Geiser pour l'essentiel. Prises entre 1860 et 1910, les photographies, qui servent de points de départ aux cartes postales, sont des vues stéréoscopiques - colorisées ou non - ou des plaques de verre conservées en plusieurs formats qui ont été réalisées soit en studio, soit dans le cadre de "grandes expéditions photographiques" avec un matériel encore très encombrant : des appareils - en bois ou en métal - pesants, des optiques et des soufflets fragiles et un développement rendu aléatoire à cause de la chaleur.

Pour la plupart, les photographes présentés ici ont effectivement voyagé en Algérie, au Maroc ou en Tunisie pour rapporter, en Métropole, leurs propres clichés. A noter cependant que les firmes photographiques, chargées de rentabiliser les fonds, n'hésitaient pas à faire travailler des photographes indépendants qui ont ensuite disparu dans l'anonymat le plus total - ce qui peut rendre problématique l'identification réelle d'une photographie et de son auteur. Extrêmement bien préparées et conservées - car devant servir à la duplication massive des images - les plaques de verre étaient ensuite munies d'un bandeau titre translucide servant à indiquer une légende qui pouvait varier en fonction des besoins des studios. Ce sont ces images qui ont été, parfois à plus d'un siècle d'intervalle, les véritables supports du développement de l'industrie de la carte postale.

Cette carte postale de Danseuse arabe peut être considérée, de prime abord, comme représentative de la photographie orientaliste. La mise en scène propose en effet une vision globale et hétéroclite de l'Orient qui installe une « ambiance » exotique très typique de l'époque. Ici pourtant, le photographe propose une image décalée et un point de vue personnel car, au-delà du décor, c'est la posture du modèle – très « masculine » comme l'indique les jambes croisées et le poing sur la hanche – qui interpelle. Du portrait classique de la danseuse orientale « lascive », censée donner un avant goût des houris du paradis, on ne retrouve rien dans cette carte postale où le modèle semble calfeutré, jusqu'aux mains couvertes de rigides mitaines, dans une sorte d'armure de vêtements.

L'Orient comme décor : une mise en scène de "l’exotique"

Quand les photographies sont prises en studio, au Maghreb autant qu’en Métropole, il n'est pas rare que l'Orient soit simplement "convoqué" comme territoire privilégié de la féerie exotique. Pour ce faire, le  photographe utilise la panoplie classique d'accessoires censés prouver, de manière irréfutable, que la scène se passe bien en Orient.

Dans cette carte postale de Danseuse arabe, il est facile de démonter l'artifice de la "construction orientale" simplement figurée par le paysage en trompe-l’œil se trouvant derrière le modèle et par le mobilier, les tapis, le costume, les bijoux. L'Orient dépeint dans ce cadre devient simple composition hétéroclite - mélange d'éléments perses, arabes, turcs et méditerranéens - sans grande valeur ethnographique et sans lien véritable avec des sociétés orientales réelles souvent très éloignées de ces représentations occidentales archétypales.

Bibliographie indicative

> Charles Henri Favrod, André Rouvinez, Lehnert & Landrock. Orient 1904-1930, Paris, Marval, 1998.
> Malek Alloula, Leyla Belkaïd, Belles Algériennes de Geiser. Costumes, parures et bijoux, Paris, Marval, 2001.
> Jean-Michel Belorgey, Leïla Sebbar, Femmes d'Afrique du Nord. Cartes Postales (1885-1930), Paris, Bleu Autour, 2002.
> Christelle Taraud, Femmes orientales dans la photographie coloniale, 1860-1910, Paris, Albin Michel, 2003.