Scènes de chasse
Cette tapisserie fait partie d'une des plus anciennes tentures profanes médiévales conservées. Elle est composée de trois fragments assemblés tardivement mais formant probablement dès leur création un ensemble cohérent. Malgré le caractère exceptionnel de cet ensemble, le commanditaire, la date exacte de la réalisation et le lieu de tissage sont inconnus. A gauche, une femme agite un leurre pour rappeler un faucon en train de fondre sur un canard ; à droite, l'oiseau est nourri d'un morceau de sa victime, comme le préconisent les traités de chasse médiévaux ; la scène centrale semble sans rapport avec les deux précédentes et illustre un des lieux communs les plus fréquents de la littérature courtoise : la rencontre à la fontaine. Il n'est pas étonnant de voir ces personnages richement vêtus s'adonner à la chasse : celle-ci est une activité essentielle, voire distinctive, de l'aristocratie. En outre, Gace de la Buigne dans sonRoman de Déduit (vers 1354-1376), et Henri de Ferrière dans son Livre du Roi Modus (vers 1359-1375), soulignent que la volerie est particulièrement bien adaptée aux dames, la vénerie, plus rude, devant être réservée aux hommes.
Ainsi, Gace de la Buigne déclare :
Car les roÿnes, les princesses
Les ducesses et les comtesses
Et aussi toutes autres femmes
Qui sont damoiselles et damez
Püent du gre de leur seigneur
L'esprevier porter par honneur
Et en avoir le bon déduit
Que cy dessus je vous ay dit.
Gace de la Buigne, Roman des Déduits, Karlshamn, E. G. Johanssons Boktryck, 1951, vers 10407 à 10414.
La chasse est également pour bien des auteurs une métaphore de la conquête amoureuse. Cette tapisserie est donc doublement significative sur le désir de l'aristocratie : la chasse et l'amour dit « courtois » sont pour elle deux éléments constitutifs et identitaires.
La chasse amoureuse
Ce décor à l'iconographie purement profane orne une marge du bréviaire (livre de l'office divin recueillant les prières) d'un grand ecclésiastique du début du XIVe siècle : Renaud de Bar, évêque de Metz. Réalisé un siècle avant la tenture du Musée des Arts décoratifs, ce manuscrit est un bon exemple du raffinement auquel s'attache alors la noblesse dans les représentations qu'elle s'offre d'elle-même.
L’enlumineur a représenté trois élégants personnages dans un décor végétal : à gauche, une femme vue de dos joue de la vielle. A droite, un couple s’adonne aux plaisirs de la chasse, et plus particulièrement de la volerie. Tous deux tiennent un oiseau de proie d’une main, et de l’autre un leurre (agité lorsque le faucon a attrapé sa victime pour le faire revenir). La dame porte un gant pour se protéger des serres de l’animal, mais le personnage masculin n’en porte pas : celui posé par terre est peut-être le sien.
Cette scène de chasse n’en est pas véritablement une : aucune proie potentielle n’est représentée, seuls quelques passereaux étant figurés. La présence des faucons signale surtout la qualité aristocratique des personnages. Mais comme dans la tapisserie du Musée des Arts décoratifs, la chasse est peut-être ici métaphorique. La littérature courtoise du temps nous permet de suggérer quelques pistes. Les auteurs identifient en effet souvent la proie ou/et la victime à l’un des membres du couple : sans gant, les mains de l’amant sont déchirées par les griffes de l’oiseau comme par son amour pour la dame. En outre, les leurres que tiennent les deux protagonistes avertissent peut-être sur la vanité de l’amour, ce qui ne serait guère étonnant dans un recueil de prières commandé par un évêque.
Ce type de lecture interprétative des représentations cynégétiques est séduisant mais difficilement vérifiable. Quelques éléments nous indiquent toutefois qu’elle doit retenir l’attention du spectateur contemporain. L’inventaire des tapisseries de la maison ducale de Savoie, dressé en 1440, signale en effet Duo tapissia, unum de venacione amorosa… (trad. : deux tapisseries, une représentant une chasse amoureuse...).