Images de l'amour courtois aux XIVe et XVe siècles

Coordination scientifique : Nicolas Coutant

Penthésilée, reine des Amazones

Cette tapisserie représente sur un banal fond de mille-fleurs Penthésilée, reine des Amazones, qui lors de la guerre de Troie se rangea contre les Grecs. L'inscription qui court au-dessus de sa tête rappelle qu'elle est l'égale des grands guerriers :

 Au grant siège de Troie Diomède requit
 A terre l'abatis tant qu'il est en mémoire
 Avec mon armée tant d'honneur ai acquit
 Que entre les princes suis en bruit triomphatoire.

L'existence d'une pièce stylistiquement très proche figurant Sémiramis à l'Academy of Arts d'Honolulu permet de voir dans ces deux tapisseries les fragments d'une tenture illustrant le thème des neuf Preuses.

Le début du XIVe siècle avait vu apparaître le thème des neuf Preux. La fin du siècle, elle, crée celui des neuf Preuses, qui trouve probablement son origine littéraire dans le Livre de Leësce de Jehan Le Fevres, vers1373. La liste comprend des héroïnes grecques : Déiphile (mère de Diomède), Sinope (reine illyrienne), Hippolyte (reine des Amazones), Sémiramis (reine de Babylone), Ethiope (reine africaine), Lampedo (Amazone), Tomyris (reine des Scythes), Teuta (maîtresse de l'Illyrie) et Penthésilée (reine des Amazones).

Le thème des neuf Preuses atteste un nouveau regard porté par la littérature et les arts sur les femmes. Le texte qui accompagne la Penthésilée d'Angers, comme celui de son pendant d'Honolulu, met l'accent sur ses qualités guerrières. La reine de Babylone est en outre figurée cuirassée et armée d'une épée. L'inscription souligne qu'elle combattit aux côtés des meilleurs guerriers et qu'elle tua même Diomède. Elle incarne donc avant tout, avec les huit autres Preuses, les vertus chevaleresques et un idéal guerrier. L'aventure de Jeanne d'Arc et les traductions des Triomphes de Pétrarque jouèrent probablement un rôle dans le succès grandissant qu'eurent les Preuses dans les arts durant tout le XVe siècle. Plus qu'une nouvelle image de la femme, ce succès témoigne probablement d'un nouveau fantasme aristocratique que l'idéal courtois ne pouvait plus satisfaire.

Femmes illustres : saintes et guerrières

Le thème des neuf Preuses se retrouve essentiellement en France et dans les régions francophiles, comme l’Italie du Nord (le château de la Manta, dans le Piémont italien, en atteste). Mais ce thème connut d’autres variantes, notamment dans les régions germaniques.

Alors que les Preuses des régions francophones représentent des idéaux chevaleresques et des figures génériques, les suites de femmes célèbres du monde germanique illustrent des valeurs très différentes : « castitas, virtus et sanctitas ». Schroeder avait déjà isolé un premier groupe, selon lui propre au monde germanique, qui reprenait la tripartition des Neuf Preux entre lois païenne, juive et chrétienne : Lucrèce, Veturia (la mère de Coriolan), Virginie, Esther, Judith, Jael, sainte Hélène, sainte Brigitte de Suède et sainte Elisabeth de Thuringe.

Le Museum of Fine Arts de Boston conserve quelques fragments d’une tenture tissée vers 1480 représentant une série des femmes illustres. Une description précise nous est toutefois parvenue grâce à une description anonyme rédigée vers 1750. On sait ainsi que l’ensemble s’ouvrait sur une tapisserie représentant la Chasteté trônant sous un dais. Venaient ensuite neuf pièces relatant les histoires de Lucrèce, Pénélope, Virginie, Didon, Suzanne, des femmes Cimbres, des femmes de Spartes, d’Hippo d’Athènes et de Judith. Cet ensemble un peu isolé mettait l’accent sur la chasteté, observation peu étonnante quand on sait que cette tenture fut commandée par un grand ecclésiastique, le cardinal-évêque de Tournai Ferry de Clugny.

D’autres variantes existent, notamment autour des Triomphes de Pétrarque. Mais ces deux exemples soulignent l’originalité du thème des neuf Preuses antiques. Représentant une vision fantasmée et chevaleresque de la femme, il s’oppose assez nettement au modèle de sainteté de la tradition germanique et de celui proposé par  la tenture de Ferry de Clugny. Il prend également le contrepoint du thème satirique et moralisant du pouvoir des femmes, qui se développe dans les arts au XVe siècle.