Elles aussi, elles ont fait l'Europe !
Vers la parité aux élections européennes
L'organisation et la mobilisation des femmes en faveur de la parité au niveau européen se traduit par des actions concrètes dont « Votez équilibré » est une des plus poussées. Lors de la campagne pour les élections européennes de 1994, il s'agit de convaincre les électeurs et les électrices de voter pour des listes présentant autant d'hommes que de femmes. D'où, un kit de campagne très suggestif… mais qui aura finalement peu d'échos médiatiques et aura bien du mal à toucher sa cible.
Néanmoins, l'échéance de 1994 est propice à faire avancer la parité. Dès l'automne 1993, Michel Rocard, premier secrétaire du PS, arrête le principe d'une liste socialiste paritaire. D'autres formations vont l'imiter, non sans l'avoir taxé auparavant de démagogie. Par ailleurs, les féministes sont tentées par l'aventure européenne. Le Parlement européen leur semble une enceinte où l'on peut faire avancer les droits des femmes. Présentes sur beaucoup de listes, elles s'affrontent sans complaisance. Les résultats des élections enregistrent une progression de la féminisation de la représentation française au Parlement européen. Les élections de 1999 confirment cette tendance : les femmes sont désormais 40 % des eurodéputés français.
La liste « Chabadabada » des socialistes
Ce nom qui fait référence au film Un homme, une femme de Claude Lelouch, n’est évidemment pas le nom officiel de la liste, il ne plaisait d’ailleurs pas du tout à Michel Rocard. Lors du congrès du PS du Bourget en octobre 1993, dans son discours de clôture, le premier secrétaire du parti annonce qu’il ne prendra la tête de la liste socialiste pour les élections européennes que si celle-ci est « composée à stricte égalité de femmes et d’hommes » et ce « du début à la fin de liste ». Alors que les femmes se lèvent et applaudissent, les hommes restent assis : « sur leurs visages se lit la consternation » (source).
Pensant que jamais une telle décision ne pourrait être prise au sein du parti, poser comme condition à sa présence à la tête de la liste socialiste 50 % de femmes était selon Michel Rocard la seule manière d’imposer la parité ; le type de scrutin des élections européennes lui semblant propice à cette avancée alors que pour les élections législatives les obstacles sont toujours bien plus nombreux. Le premier secrétaire n’est pas arrivé à cette décision seul. Ses conseillers ont joué un rôle comme les sondages montrant que la liste socialiste pouvait tirer un avantage de la parité. Et n’oublions pas les femmes du PS qui se sont mobilisées pour être prises en compte lors de ces élections.
Comme au sein de la majorité de droite où l’on peine à trouver une femme pouvant figurer en n° 2 derrière Dominique Baudis – ce sera finalement Hélène Carrère d’Encausse – la constitution de la liste socialiste est problématique. Les données de la question sont les suivantes : « un homme, une femme, un homme, une femme… Un rocardien, un fabiusien, un jospiniste, un poperéniste, un représentant de la Gauche socialiste… et on recommence », sans compter l’intégration de personnalités hors courants (Elisabeth Guigou notamment) et de personnalités extérieures au PS dont Bernard Kouchner (en savoir plus). Sans oublier la nécessité d’un certain rajeunissement alors que les battus des élections législatives de 1993 se bousculent pour figurer en position éligible. Evidemment, à ce jeu, il y a beaucoup de perdants et de perdantes dont Marie-Claude Vayssade, élue à Strasbourg depuis 1979 et qui a réalisé un important travail, et Martine Buron qui siège depuis 1988 et qui s’est aussi totalement investie à Strasbourg. Les deux femmes en seront très meurtries, mais trouveront d’autres manières de continuer à s’intéresser à l’Europe : la CLEF pour Marie-Claude Vayssade, le Conseil des régions d’Europe pour Martine Buron (source).
La tentation européenne des féministes
« Pour la première fois en France, des femmes sont sollicitées pour les élections européennes par des partis, en tant que féministes connues et reconnues […] ».
C’est par ces mots que commence une lettre d’explication de Monique Dental, à propos de sa présence en 14e position sur la liste des Verts conduite par Marie-Anne Isler-Béguin pour les élections européennes de 1994. Militante depuis les années 1960, Monique Dental a créé en 1984 le collectif de pratiques et de réflexions féministes « Ruptures » qui est partie prenante de la CLEF dès sa création en 1991. C’est bien en tant que féministe que Monique Dental figure sur cette liste : « je souhaite, en tant que féministe, que nous puissions nous exprimer sur nos objectifs, nos choix, dans le respect de la pluralité d’opinions, car l’Europe rassemble vers un même idéal, les différences qui firent la richesse du Mouvement des Femmes » (source). Cet appel à une certaine unité des féministes engagées n’est pas superflu car de fortes personnalités très diverses, voire antagonistes, sont présentes dans ce combat politique.
Sur la liste « L’autre politique » menée par Jean-Pierre Chevènement, Gisèle Halimi figure en deuxième position. Avocate engagée, elle a défendu la cause des femmes à partir des années 1960. Le procès de Bobigny est le plus emblématique de ses combats. Co-fondatrice du mouvement « Choisir » dont elle est la présidente, elle est de tous les débats féministes. C’est bien sûr en tant que féministe qu’elle seconde Jean-Pierre Chevènement dont un des objectifs est d’inscrire dans la constitution française la parité hommes/femmes. Bien que critiquant la « liste Chabada-bidon » de Michel Rocard, Jean-Pierre Chevènement va construire la sienne sur le même modèle.
La présence d’Antoinette Fouque sur la liste « Energie radicale » menée par Bernard Tapie est incontestablement celle qui suscite le plus de curiosité, voire d’incompréhension. Beaucoup ne comprennent pas comment la co-fondatrice du MLF, directrice des Editions des Femmes, fondatrice et présidente de l’AFD, puisse se retrouver sur la liste de Bernard Tapie, suspecté de machisme. Présentant sa liste pour les européennes, Bernard Tapie soutient qu’avec Christiane Taubira-Delannon (députée radicale de Guyane) : « je suis sûr de faire la couverture de Match ». A sa manière, Le Canard Enchaîné relève qu’Antoinette Fouque a réponse à toutes les critiques.
En 1999, Geneviève Fraisse, philosophe et historienne, est placée en deuxième position sur la liste d’ouverture présentée par le PCF. Sans être membre du PCF et après avoir été une éphémère déléguée interministérielle aux Droits des femmes du gouvernement Jospin, Geneviève Fraisse s’engage comme intellectuelle et parce que « Robert Hue a promis d’ouvrir sa liste aux féministes, et pas seulement aux femmes » (source). Dans toutes ses interventions Geneviève Fraisse se présente comme une féministe et une européenne convaincue (qui a voté "oui" au référendum de 1992). Pour elle, ces deux dimensions sont liées : il ne fait pas de doute que l’Europe est une chance pour les femmes et que « la parité fait partie des grands combats européens ».
La féminisation progressive du Parlement européen
La délégation française au Parlement européen comptait 26 femmes en 1994 sur 87 députés (29,9 %) ; c'est un progrès sensible par rapport aux trois premières élections. Mais ce nombre passe à 35 avec le scrutin de 1999 pour lequel tous les « grands partis » ont présenté entre 49 et 55 % de candidates. Il y a donc désormais 40 % de femmes parmi les représentants français. « La progression est particulièrement nette » et « mérite d'être saluée » selon l'Observatoire de la parité. Un seuil a été franchi. La France participe donc d'une manière non négligeable à la féminisation du Parlement européen qui s'élève désormais à près de 30 % (26,5 % dans la législature précédente). Derrière la Suède et la Finlande qui envoient respectivement 50 % et 43 % de femmes, la France compense un peu son image de pays où la politique est réservée aux hommes…
Les femmes élues députées européennes en France depuis 1970
Nombre de femmes élues
|
% de femmes
parmi les élus |
|
1979
|
18
|
22,22
|
1984
|
17
|
20,98
|
1989
|
18
|
22,22
|
1994
|
26
|
29,88
|
1999 |
35
|
40,23
|
Comme dans les législatures précédentes, les député-e-s représentent la France de manières bien différentes les unes des autres. Jean-Louis Bourlanges, élu européen depuis 1989, analyse la situation en témoin et en homme politique, mais aussi en professeur de science politique.