Elles aussi, elles ont fait l'Europe !
Agir pour les femmes en Europe
Au Parlement européen, les Françaises se distinguent par une présence et un travail plus réguliers que leurs collègues masculins. Elles n'ont souvent que ce mandat à exercer alors que beaucoup d'hommes sont en même temps maire d'une grande ville, député, etc. A Strasbourg et à Bruxelles, les élues françaises rencontrent d'autres députées européennes, elles aussi très présentes. D'où l'impression d'une grande place prise par les femmes alors qu'elles ne sont que 15 % des élus. Elles se retrouvent dans la lutte pour l'affirmation des droits des femmes, les échanges avec les femmes des pays du Nord de l'Europe ouvrant des horizons aux Françaises. Depuis 1976 (et jusqu'en 1991), paraît une publication dirigée par une fonctionnaire de la Commission européenne, Fausta Deshormes La Vallé : Femmes d'Europe.
Les députées françaises se font très vite remarquer en créant une nouvelle commission pour les droits des femmes en Europe, à la tête de laquelle la socialiste Yvette Roudy, joue un rôle décisif. De toutes parts, des initiatives sont prises pour favoriser l'appropriation de l'idéal européen par les femmes, en particulier la création en 1987 d'un prix "Femmes d'Europe".
Quelques députées européennes des autres Etats membres
Parmi les députées européennes des autres pays de la CEE, certaines se distinguent plus particulièrement. La benjamine du Parlement est l'Irlandaise Sile de Valera, 24 ans seulement, mais qui a appris la politique en faisant des tournées électorales avec son grand-père Aemon de Valera ; les radicales italiennes Emma Bonino et Maria-Antonietta Macciocchi : considérées comme des empêcheuses de tourner en rond toujours prêtes à pourfendre la sclérose du Parlement et le gaspillage financier. Toujours entre Strasbourg et Bruxelles où siège également le Parlement européen en dehors des séances plénières, Maria-Antonietta Macciocchi se définit comme une « femme à la valise » et Christiane Scrivener, se dit « atteinte d'une maladie qui pourrait s'appeler la "tendinite des valises"».
Barbara Castle, travailliste britannique et ancienne ministre des Transports, s'impose par ses remarques pertinentes sur la manière dont fonctionne la Communauté. Heidi Wieczorek, députée socialiste allemande et ancienne leader de mouvements d'étudiants, veut que chaque pays apporte à l'Europe ce qu'il a de mieux à proposer : une sorte de nivellement par le haut dans tous les domaines. La Néerlandaise Suzanne Dekker, juriste de 29 ans, croit fermement en l'Europe des femmes tout comme les Belges Anne-Marie Lizin, une autre « battante », et Antoinette Spaak, la fille d'un des pères fondateurs de l'Europe communautaire. Toutes oeuvrent pour que l'Europe fasse avancer les droits des femmes.
Une Commission pour les droits des femmes en Europe
La détermination des fonctionnaires de la Commission - Fausta Deshormes la Vallé et Jacqueline Nonon en tête - à faire valoir les droits des femmes est encouragée par l’élection au suffrage universel du Parlement européen en 1979. Immédiatement, elles sentent que les élues vont pouvoir relayer leur action et réalisent auprès d’elles un travail d’information et d’assistance. Nul doute qu’il y a là une contribution décisive à la création d’une nouvelle commission au sein du Parlement.
Lors de la session d’octobre 1979, à une très large majorité, les parlementaires décident la création d’une commission ad hoc pour les droits des femmes. Elle est chargée de préparer, avant les vacances parlementaires de 1980, un débat sur l’égalité des droits de l’homme et de la femme. Les Françaises ont joué un rôle important dans la création de cette commission. Dès la première session de juillet 1979, Yvette Roudy, connue pour avoir obtenu des avancées pour les femmes dans le PS français en tant que secrétaire nationale au droit des femmes, réclamait une commission pour les femmes. Elle est immédiatement persuadée que le Parlement européen est une enceinte où l’on peut travailler efficacement pour les femmes. En septembre, elle lance des « actions féministes » rapportées par la presse et trouve des alliés, chez les syndicalistes allemands notamment (source). Le 25 septembre, elle adresse une lettre à Simone Veil et le 27 dépose une proposition de résolution avec demande de discussion d’urgence. Le même jour, Simone Veil se dit favorable à la création d’une commission ad hoc qui vient s’ajouter aux commissions existantes.
Au sein du Parlement, un premier grand débat est organisé en juin 1980 autour du rapport concernant le travail féminin. L’absentéisme des hommes est remarquable et remarqué puisqu’au cours de ce « débat lancé dans une quasi-indifférence », seuls trois hommes prennent la parole sur une vingtaine d’intervenant-e-s, ce qui provoque l’ironie de Maria-Antonietta Macciocchi et la colère d’Antoinette Spaak.
En février 1981, le rapport final de la commission est discuté au Parlement. Il est un peu décevant car résultant d’un bon nombre de compromis entre toutes les tendances politiques de la commission. Le rapport est adopté le 11 février. Sur 298 votants, 173 se sont prononcés pour, 101 contre et il y a eu 24 abstentions. C’est le paragraphe sur l’avortement qui a suscité le plus d’oppositions. Il préconise que la Commission européenne insiste auprès du Conseil des ministres pour qu’au niveau communautaire, les règles et les lois soient les mêmes partout et qu’elles permettent aux femmes de pouvoir se faire avorter. Selon Marie-Claude Vayssade, députée européenne socialiste, ce travail « est resté un rapport de base intéressant, voté par tous les groupes. Il y avait deux phrases autour des problèmes de l’avortement, qui ont suscité quelques insultes, mais ça n’a pas été jusqu’au niveau de celles proférées contre Simone Veil en France en 1975 » (source). Après la victoire à l’élection présidentielle de François Mitterrand en mai 1981, Yvette Roudy quitte le Parlement européen pour intégrer le gouvernement de Pierre Mauroy dans lequel elle est chargée, comme ministre déléguée, des Droits des femmes. Son expérience européenne lui sera précieuse.
Lors des élections européennes de 1984, Simone Veil mène une liste d’union de la droite (UDF et RPR) tandis que les socialistes désignent 21 femmes sur leur liste, autant de « chances pour l’Europe ». Encore davantage qu’en 1979, les femmes sont mises en avant pendant la campagne, les électrices sont sollicitées par les uns et par les autres pour obtenir leurs voix. Si les femmes sont des chances pour l’Europe, l’Europe est également une chance pour les femmes, pour faire avancer leurs droits.
Le prix « Femmes d’Europe »
En 1987, le quarantième anniversaire de la création de l'UEF est l'occasion de lancer des initiatives en direction du « grand public ». C'est ainsi qu'est créé un prix « Femmes d'Europe » visant à « mettre en valeur l'action d'une Européenne – ou d'un groupe d'Européennes – ayant contribué à accélérer l'intégration européenne, ou à accroître chez tous les citoyens européens le sentiment d'appartenance à une communauté de destins ». Dans son discours de présentation du prix, la Belge Angèle Verdin rappelle que c'est en Belgique que le projet a été lancé cinq ans plus tôt et que Fausta Deshormes, du Bureau d'information femmes de la Commission, a joué un rôle important pour qu'il aboutisse à l'échelle de la Communauté. "Trop peu de femmes s'intéressent à l'Europe", constate Angèle Verdin, « nous voulons renverser cette situation et rendre les femmes conscientes que ce sont les hommes et les femmes ensemble qui construisent l'Europe ». Ensuite, le prix doit combler « l'ignorance du rôle que de nombreuses femmes jouent en faveur de l'intégration européenne ».
Au sein de chaque Etat membre, un comité élit une lauréate nationale qui concourt ensuite pour le prix européen décerné par un jury composé pour un tiers de personnalités et pour les deux tiers de journalistes. La « Femme d’Europe » élue reçoit un « bijou symbolisant l’action des femmes construisant l’Europe ».
Pour la première édition du prix (1987), la lauréate française est Danièle Senet, présidente de l'association Europe Anjou. Le choix du comité est motivé ainsi : « Elle réussit après en avoir pris connaissance, au travers des accords de Lomé, à établir des relations exemplaires avec les femmes d'un village du Mali. Construisant, après avoir réuni des fonds considérables, une pompe solaire, puis une garderie et une école ».
Après Danièle Senet, des Françaises aux profils très différents obtiendront ce prix et chacune des éditions s'est accompagnée de davantage de médiatisation :
« Ainsi, l'opinion publique reconnaîtra que
si l'Europe a pu voir le jour grâceà ses Pères fondateurs,
l'Europe des citoyens qui s'élabore et se fortifie,
de nos jours bénéficie de l'action de femmes imaginatives :
Les Mères de l'Europe »
(Brochure présentant le prix « Femmes d'Europe » 1992).