17 juillet 1979 : première journée des Françaises
Dans la nouvelle Assemblée européenne, les élues françaises sont les plus nombreuses (18) ; en proportion (22,22% de la délégation française), elles ne sont dépassées que par les Danoises (31,25 % ; 5 élues sur 16). Pour beaucoup de ces femmes, le principal souci est de trouver sa place dans une toute nouvelle assemblée dont le fonctionnement n'est pas bien précisé. La première séance du Parlement, le 17 juillet 1979, met les Françaises en avant. Après le discours inaugural de Louise Weiss, dont la portée est essentiellement symbolique, les choses sérieuses débutent vraiment avec l'élection à la présidence du Parlement. Elle se fait par vote secret, la majorité absolue des suffrages exprimés étant nécessaire pour les trois premiers tours. Simone Veil est élue, assez difficilement, au second tour.
La première présidente d'un Parlement européen élu joue très vite un rôle déterminant dans trois domaines : la mise en place d'un règlement permettant au Parlement de fonctionner et de s'affirmer peu à peu, la lutte pour les droits des femmes en Europe et sur la scène internationale où elle incarne l'Europe à une époque où la Commission n'a pas encore un rayonnement suffisant.
Le discours inaugural de Louise Weiss
A 86 ans, Louise Weiss monte à la tribune « en amoureuse de l’Europe » ; « pour y vivre, présidente d’un jour, un honneur dont je n’aurais pas osé rêver, et une joie – la joie la plus forte que puisse éprouver une créature au soir de son existence –, la joie d’une vocation de jeunesse miraculeusement accomplie ».
Le titre de son long discours : « Un combat pour l’Europe », rappelle ceux qu’elle mena dans l’entre-deux-guerres et dont la relation est rééditée en 1979. Dans son discours, elle rappelle de nombreuses étapes de l’histoire de l’Europe et évoque des grandes figures, notamment les « trois grands Karl » : Charlemagne, Karl Marx et Charles de Gaulle ! Elle fait aussi entrer dans son Panthéon européen Jean Monnet et Robert Schuman, Winston Churchill et Konrad Adenauer. Evoquant l’élection du Parlement européen, Louise Weiss fait la leçon : « mes Européens chéris, avouez que vos campagnes électorales ont souvent paru plus lourdes d’arrières pensées partisanes que de préoccupations européennes ».
Elle insiste sur le suffrage universel qui consacre la nouvelle assemblée : « je dis bien le suffrage universel, car les femmes y ont eu la part de plein droit qui leur revenait », et elle « salue chaleureusement celles qui se trouvent parmi nous, conscientes, sans esprit de ségrégation, de la tâche qui les attend ». Quant à l’avenir de l’Europe, pour Louise Weiss, il est lié à trois problèmes cruciaux : l’absence trop grande encore d’identité européenne, la dénatalité (« au train où vont les couples, il n’y aura plus d’Européens bientôt »), et les droits de l’homme. La doyenne termine « cette allocution si peu conforme aux usages », en mettant tout son espoir dans le Parlement nouvellement élu.
L’élection difficile de Simone Veil
Après d'âpres négociations, les groupes chrétien-démocrate et libéral du Parlement européen s'entendent pour soutenir la candidature de Simone Veil. Se présentent également le communiste Giorgio Amendola et le socialiste Mario Zagari. In extremis, deux autres candidats se présentent : la radicale italien-ne Emma Bonino et le Français Christian de La Malène, chef du groupe DEP/RPR (Démocrates Européens de Progrès). Cette dernière candidature est destinée à affaiblir Simone Veil. C'est donc un scénario peu favorable pour elle qui est en train de se jouer puisque la candidature La Malène empêche son élection au premier tour.
Election du président du Parlement européen à Strasbourg le 17 juillet 1979.
Premier tour
Candidats |
Voix
|
Giorgio AMENDOLA |
44
|
Emma BONINO Radicale - Italienne |
9
|
Christian de La MALENE DEP - Français |
26
|
Simone VEIL Libérale - Française |
183
|
Mario ZAGARI Socialiste - Italien |
118
|
Votants : 404 ; Bulletins déposés : 401 ; Bulletins blancs ou nuls : 21
Suffrages exprimés : 380 ; Majorité absolue : 191
Les élus DEP/RPR ont réussi leur coup : ils démontrent que la coalition libérale, démocrate-chrétienne et conservatrice n'a pas la majorité. Le premier tour de scrutin reflètent également les oppositions suscitées par le souvenir de la loi sur l'IVG et les laborieuses négociations politiques. Après le retrait de Christian de La Malène et d'Emma Bonino, le deuxième tour apparaît plus dégagé pour Simone Veil.
Election du président du Parlement européen à Strasbourg le 17 juillet 1979.
Deuxième tour
Candidats |
Voix
|
Giorgio AMENDOLA |
47
|
Simone VEIL Libérale - Française |
192
|
Mario ZAGARI Socialiste - Italien |
138
|
Votants : 404 ;
Bulletins déposés : 400 ; Bulletins blancs ou nuls : 23
Suffrages exprimés : 377 ; Majorité absolue : 189
Simone Veil ne gagne que neuf voix entre les deux tours et ne dépasse la majorité absolue que de trois voix. Elle ne pouvait pas compter sur la solidarité des élues socialistes françaises qui ont émis un vote partisan et non de solidarité féministe ou féminine (source).
L’action internationale de la Présidente Simone Veil
Depuis 1979, le rôle du président du Parlement européen est sans commune mesure avec celui des présidents des parlements nationaux dans le domaine des relations extérieures. Simone Veil a particulièrement développé cet aspect de la fonction présidentielle en prenant position sur les grands problèmes internationaux et même en engageant des conversations de type diplomatique avec des Etats tiers. En fait, la première présidente d’un Parlement international élu au suffrage universel comble un manque en matière de représentation internationale. En effet, la Commission n’a pas de légitimité populaire et la présidence du Conseil européen est changeante. Sans doute, la présence d’une femme à la tête du Parlement européen n’est-elle pas pour rien dans l’écho que suscitent ses déplacements internationaux à un moment où les femmes sont particulièrement peu nombreuses au pouvoir (source). Cependant, la mise en avant et les prises de position de la présidente ne sont pas sans provoquer des réactions dans les chancelleries européennes et surtout en France.
L’épisode relatif à la décision du boycott des jeux olympiques de Moscou (1980), en réaction à l’intervention soviétique en Afghanistan (décembre 1979) en est le meilleur exemple. A la fin janvier 1980, au cours d’une visite officielle aux États-Unis, Simone Veil, « à titre personnel », prend nettement position en faveur du boycott des jeux de Moscou Tous les journaux français relèvent que les propos de Simone Veil, qui prennent le contre-pied de la position officielle française, affaiblissent la France ; trois jours plus tôt, à New Delhi, face à Indira Gandhi, Valéry Giscard d’Estaing n’a-t-il pas affirmé que le boycott n’était pas une bonne solution ?
Par ailleurs, les combats budgétaires de la présidente - qui réclame la prise en compte des exigences du Parlement pour l’établissement du budget communautaire - exaspèrent le gouvernement Barre. D’où les relations assez difficiles que Simone Veil entretient avec les dirigeants français qui l’ont poussée à cette place, sans penser sans doute qu’elle ferait preuve de tant d’indépendance.