Louise Weiss, pionnière de l'Europe
L'Europe n'a que des « pères fondateurs » : les hommes politiques européens qui se sont engagés à la fin des années 1940 et dans les années 1950. Parmi eux, pas de femme, et pour cause : elles n'ont alors pratiquement aucune place dans les vies politiques nationales des six Etats fondateurs. S'il n'y a pas de « mère fondatrice » de l'Europe, on évoque des « grands-mères de l'Europe » : Aliénor d'Aquitaine (XIIe siècle) ou la reine Marie-Amélie de Bourbon (1782-1866) ou plus encore la reine Victoria (1819-1901). Mais cette qualification n'est due qu'à leur descendance qui a donné des souverains partout sur le continent.
Incontestablement, Louise Weiss (1893-1983) mérite davantage ce titre qui lui est attribué en raison d'un engagement européen qui ne s'est jamais démenti pendant soixante ans. Elle est une pionnière de la promotion d'une organisation européenne capable de garantir la paix. De la direction de son journal L'europe Nouvelle au lendemain de la Grande Guerre, à ses Mémoires d'une Européenne, les traces qu'elle a laissées sont nombreuses : le prix qu'elle a créé et qui porte son nom, tout comme un des bâtiments du Parlement européen.
L'Europe Nouvelle de Louise Weiss
Louise Weiss est née en 1893 dans une famille de la grande bourgeoisie. En 1914, elle est agrégée de lettres et participe aux soins des blessés de la guerre qui constitue la plus grave crise que l’Europe ait alors connue. A la fin de la guerre, Hyacinthe Philouze lui propose de créer une revue : ce sera L’Europe Nouvelle dont le premier numéro paraît le 12 janvier 1918. La paix revenue, Louise Weiss dont la carrière de journaliste est orientée vers les affaires internationales et la dénonciation de la guerre fratricide à laquelle les Européens se sont livrés, choisit la cause européenne. En 1920, elle prend la direction de L’Europe Nouvelle qui se veut « la plus grande revue politique française et internationale », un peu sur le modèle austère des revues anglaises.
Les plus grands responsables politiques, les plumes les plus avisées écrivent dans l'hebdomadaire. L'Europe Nouvelle publie également de nombreux documents officiels ; la presse étrangère y est systématiquement dépouillée. La revue est surtout lue par l'élite dirigeante des pays européens. En ce sens, elle participe à la diffusion de l'idée d'Europe, en plaidant pour l'établissement d'une paix juste avec l'Allemagne, la libération des peuples opprimés et une organisation internationale puissante capable d'imposer la paix. L'arrivée au pouvoir d'Hitler en 1933 rendant caduque tout projet de construction européenne, Louise Weiss quitte L'Europe Nouvelle en 1934, sans renoncer à son idéal européen. En 1930, elle a créé « La Nouvelle Ecole de la Paix » destinée à informer le public sur l'Europe, l'Allemagne, la nécessité absolue de donner davantage de moyens à la SDN (Société des nations) pour préserver la paix… Là encore, à partir de 1934-1935, l'existence même de l'Ecole paraît impossible.
[Ce paragraphe s'appuie sur Louise Weiss, l'européenne, op. cit., notamment la contribution de Corinne Rousseau : « Louise Weiss, L'Europe et la paix durant l'entre-deux-guerres », p.195-250.]
Sur les traces européennes de Louise Weiss
La journaliste, la féministe, l'européiste qu'a été Louise Weiss a fait avancer en la promouvant l'idée européenne. Cet engagement a laissé des traces qui rappellent la détermination de cette Européenne convaincue. Louise Weiss crée en 1971 une Fondation dont le siège social est à Strasbourg, qui décerne un prix annuel destiné à récompenser les auteurs ou les institutions contribuant aux sciences de la paix et à l'amélioration des relations humaines. Parmi les lauréats, on compte Helmut Schmidt, Simone Veil, Jacques Delors… Après la mort de Louise Weiss en 1983, le prix porte son nom.
Il existe par ailleurs un « Prix Louise Weiss de la Bibliothèque nationale », la BNF conservant la correspondance et les manuscrits de Louise Weiss. D'autres archives et collections de Louise Weiss se trouvent à la Bibliothèque universitaire de Strasbourg, à Arras, à Saverne… En 1985, le Sénat a organisé une exposition consacrée à « Louise Weiss, l'Européenne ».
L'empreinte que Louise Weiss a laissée au Parlement européen est également très marquée depuis son discours d'ouverture du premier Parlement élu au suffrage universel. En hommage à son indéfectible engagement européen et à son mandat inachevé de députée européenne (1979-1983), un bâtiment du Parlement européen à Strasbourg porte son nom.
Le discours inaugural de Louise Weiss
A 86 ans, Louise Weiss monte à la tribune « en amoureuse de l’Europe » ; « pour y vivre, présidente d’un jour, un honneur dont je n’aurais pas osé rêver, et une joie – la joie la plus forte que puisse éprouver une créature au soir de son existence –, la joie d’une vocation de jeunesse miraculeusement accomplie ».
Le titre de son long discours : « Un combat pour l’Europe », rappelle ceux qu’elle mena dans l’entre-deux-guerres et dont la relation est rééditée en 1979. Dans son discours, elle rappelle de nombreuses étapes de l’histoire de l’Europe et évoque des grandes figures, notamment les « trois grands Karl » : Charlemagne, Karl Marx et Charles de Gaulle ! Elle fait aussi entrer dans son Panthéon européen Jean Monnet et Robert Schuman, Winston Churchill et Konrad Adenauer. Evoquant l’élection du Parlement européen, Louise Weiss fait la leçon : « mes Européens chéris, avouez que vos campagnes électorales ont souvent paru plus lourdes d’arrières pensées partisanes que de préoccupations européennes ».
Elle insiste sur le suffrage universel qui consacre la nouvelle assemblée : « je dis bien le suffrage universel, car les femmes y ont eu la part de plein droit qui leur revenait », et elle « salue chaleureusement celles qui se trouvent parmi nous, conscientes, sans esprit de ségrégation, de la tâche qui les attend ». Quant à l’avenir de l’Europe, pour Louise Weiss, il est lié à trois problèmes cruciaux : l’absence trop grande encore d’identité européenne, la dénatalité (« au train où vont les couples, il n’y aura plus d’Européens bientôt »), et les droits de l’homme. La doyenne termine « cette allocution si peu conforme aux usages », en mettant tout son espoir dans le Parlement nouvellement élu.