Elles aussi, elles ont fait l'Europe !

Coordination scientifique : Yves Denéchère

Femmes et politique européenne de la France

Présidence française de l’Union européenne, sommet de Strasbourg

Présidence française de l’Union européenne, sommet de Strasbourg, anonyme, décembre 1989, photographie couleur, © DR. 

En même temps que dans les années 1980 des Françaises s'affirment au Parlement européen, d'autres femmes accèdent à des responsabilités dans la définition et l'exécution de la politique européenne de la France. Parmi les femmes ministres des deux septennats Mitterrand, trois vont s'occuper directement de la politique européenne de la France. A partir de 2002, Jacques Chirac confie également à trois femmes le portefeuille des Affaires européennes (voir la liste chronologique complète). Cependant, aucune femme n'a été ministre des Affaires étrangères et donc responsable en second derrière le Président de la République de la politique européenne de la France.

Le nom qui est le plus aisément associé à la politique européenne de la France est celui d'Elisabeth Guigou, mais dès 1984, nommée dans un secrétariat d'Etat dépendant du Quai d'Orsay, Catherine Lalumière a participé à des étapes décisives de la construction européenne (élargissement de 1986, négociation de l'Acte unique). Son travail dans l'ombre, efficace, prouve l'utilité d'un portefeuille des Affaires européennes dans la préparation des dossiers et dans le suivi des relations intra-européennes.

Les femmes aux Affaires européennes

Depuis 1981, date à laquelle ce portefeuille a été établi en tant que tel dans la nomenclature officielle, il a été confié pendant plus de dix années à des femmes, ce qui est très rare pour un ministère qui ne fait pas partie des domaines de compétence traditionnellement confiés aux femmes (Consommation, Famille, Droits des femmes…). Le seul cas comparable est celui du ministère de l’Environnement, occupé lui aussi par six femmes dans les vingt-cinq dernières années (Huguette Bouchardeau, Ségolène Royal, Corinne Lepage, Dominique Voynet, Roselyne Bachelot, Nelly Olin). Ce rapprochement n’est pas sans intérêt : il s’agit de deux portefeuilles qui n’ont pas une grand marge de manœuvre face aux « grands ministères » et qui doivent composer avec eux sinon s’y soumettre.

Liste chronologique des femmes titulaires du portefeuille des affaires européennes :

  • Catherine Lalumière : secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, chargée des Affaires européennes (1984-1986)
  • Edith Cresson : Ministre des Affaires européennes (1988-1990)
  • Elisabeth Guigou : Ministre déléguée aux Affaires européennes (1990-1993)
  • Noëlle Lenoir : Ministre déléguée aux Affaires européennes (2002-2004)
  • Claudie Haigneré :Ministre déléguée aux Affaires européennes (2004-2005)
  • Catherine Colonna : Ministre déléguée aux Affaires européennes, nommée en 2005

Catherine Lalumière raconte sa nomination comme secrétaire d’État aux Affaires européennes :

« Après la victoire de François Mitterrand et de la gauche en 1981 et quelques mois passés à la Fonction publique, je suis "bombardée" ministre de la Consommation où je découvre beaucoup de choses intéressantes. C’est à ce moment que les Allemands obtiennent l’instauration d’un Conseil pour le marché intérieur. Au sein du gouvernement, personne ne se précipite pour représenter la France dans ce conseil. Cela n’intéresse pas le ministre des Affaires étrangères, Claude Cheysson, ni son secrétaire d’Etat aux Affaires européennes, André Chandernagor. On pense donc à la ministre de la Consommation, dont les attributions sont très flexibles. C’est ainsi que je représente la France à Bruxelles, sans avoir aucune connaissance précise sur l’Europe. Mais j’ai eu de bons professeurs au sein de la Représentation permanente de la France, notamment Jean Vidal. Mon intérêt est immédiat. Chaque conseil est un psychodrame, un jeu d’échecs, un jeu de billard… Il y a incontestablement un côté ludique - alors que l’on traite de choses très sérieuses - qui me plait. En 1984, lors de la présidence française de la Communauté, je préside les conseils de marché intérieur. C’est l’occasion pour moi de travailler étroitement avec le secrétariat du conseil ».

Entretien accordé par Catherine Lalumière à Yves Denéchère en avril 2003.

François Mitterrand, Jacques Delors et Elisabeth Guigou, lors du sommet G7 à Williamsburg

François Mitterrand, Jacques Delors et Elisabeth Guigou, lors du sommet G7 à Williamsburg, anonyme, 1983, photographie noir et blanc, © DR.

Conseillère auprès de François Mitterrand - 1982-1985, Elisabeth Guigou, juin 2003, 2'04 (851 Ko), © Yves Denéchère, Musea, Université d'Angers (photo DR).
Le rôle important d'une conseillère pour les Affaires européennes, Elisabeth Guigou, juin 2003, 9'26 (3,78 Mo), © Yves Denéchère, Musea, Université d'Angers (photo DR).

De l'ombre à la lumière : Élisabeth Guigou

Dans l'ombre d'abord et longtemps au sein de l'administration, puis en pleine lumière, au niveau politique auquel elle a accédé par la compétence, Élisabeth Guigou a exercé successivement toutes les fonctions qui participent à la formulation et à la mise en œuvre de la politique européenne de la France. Toujours auprès du premier décideur, elle a conseillé, préparé les grandes décisions d'une décennie au cours de laquelle la construction européenne a changé de dimension. Avant d'être ministre déléguée aux Affaires européennes (1990-1993) c'est à l'Elysée, comme conseillère de François Mitterrand (1982-1990) et à la tête du SGCI (secrétariat général du comité interministériel pour les questions de coopération économique européenne) de 1985 à 1990 qu'Elisabeth Guigou a joué un rôle important dans la politique européenne de la France.

Les archives et les témoignages se recoupent et se complètent pour mettre en valeur son action, notamment à partir de 1986 et pendant la première cohabitation (1986-1988) où elle a sans doute davantage d'influence que le ministre délégué aux Affaires européennes de l'époque. Elisabeth Guigou exerce un pouvoir de définition et d'orientation, situé entre le conseil et la décision. De par son expérience et sa connaissance des arcanes de la politique européenne de la France, elle est un rouage essentiel du processus décisionnel dans la période qui mène au traité de Maastricht. Elle n'aurait d'ailleurs accepté la charge des Affaires européennes que dans cette perspective:

« Je n'avais pas souhaité être ministre, franchement. J'ai dit oui parce que j'étais très motivée à l'idée de négocier ce qui allait devenir le traité de Maastricht. Je me suis dit : "C'est là qu'il faut être par rapport à ce que j'ai fait jusqu'ici" » (source).

Bibliographie de Elisabeth Guigou :

GUIGOU Élisabeth, Pour les Européens, Paris, Flammarion, 1994, 246 p.
GUIGOU Élisabeth, Être femme en politique, Paris, Plon, 1997, 274 p.
GUIGOU Élisabeth, Je vous parle d'Europe, Paris, Seuil, 2004, 329 p.

Une Française à la tête du Conseil de l’Europe

Après avoir quitté le Quai d’Orsay lors de l’alternance politique de mars 1986, Catherine Lalumière continue à s’intéresser à l’Europe et à intervenir à chaque fois qu’elle l’estime nécessaire sur la politique européenne de la France, notamment à la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale. En 1987, elle intègre l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, la plus ancienne institution européenne, créée en 1949, puis oubliée. En octobre 1988, Catherine Lalumière est désignée comme la candidate des socialistes européens pour le poste de secrétaire général. Pour la presse, la candidature Lalumière a reçu la « bénédiction de l’Elysée » alors que s’ouvre la perspective de l’ouverture vers l’Est.

Catherine Lalumière (ref. 378)

Catherine Lalumière (ref. 378), Parlement européen, mars 2002, photographie couleur, © Parlement européen.

Alors que la CEE compte 12 membres et n’envisage pas à court terme d’autres élargissements, le Conseil de l’Europe apparaît de plus en plus comme une institution permettant d’offrir des mécanismes de compensation. En mai 1989, Catherine Lalumière devient le neuvième secrétaire général de l’institution. Seule candidate, elle a recueilli 104 voix sur 121 votants. C’est la première fois qu’une femme accède à cette fonction et jamais auparavant un Français n’a occupé ce poste. Pour la presse, la politique européenne de la France trouve là un point d’appui important. Mais l’idée de sa candidature est encouragée par ses collègues socialistes européens (source).

En tant que femme, Catherine Lalumière entend bien mettre à profit le rayonnement dont elle dispose pour favoriser l’égalité des sexes. Les pays scandinaves (Danemark, Norvège, Suède) ont déjà mis en application des quotas pour que les femmes puissent accéder aux responsabilités administratives et politiques mais beaucoup de pays européens en sont loin. Dès juillet 1989, devant les ministres chargés des questions d’égalité des chances entre les hommes et les femmes des vingt-trois pays membres, Catherine Lalumière annonce son intention d’agir en ce sens. Les femmes qui ont mené en France le combat pour la parité dans les années 1990 n’ont pas souvent rappelé l’action pionnière de Catherine Lalumière à l’échelle européenne, peut-être parce qu’elle n’est pas considérée comme une féministe militante. Mais Élisabeth Guigou fait remonter l’origine du concept de parité à ce comité des ministres du Conseil de l’Europe de Vienne de juillet 1989 (Être femme en politique, op. cit., p.122).

En terme de pouvoirs, le secrétaire général du Conseil de l’Europe dispose d’une marge de manœuvre très limitée. Mais Catherine Lalumière entend faire de sa fonction, à l’échelle de l’Europe, ce que peut être celle du secrétaire général de l’ONU à l’échelle du monde. Son expérience gouvernementale et parlementaire et sa connaissance des arcanes européens sont ses meilleurs atouts. Le contexte de la perestroïka et de la glasnost des années Gorbatchev est aussi un élément favorable à une nouvelle dimension, à un nouveau rôle de la vieille institution. Après la chute du mur de Berlin et la libéralisation des régimes des pays qui s’affranchissent du communisme, par de nombreuses rencontres et voyages, Catherine Lalumière accompagne ces pays qui adhèrent successivement au Conseil de l’Europe. Cette action est notamment reconnue par Jacques Delors, alors président de la Commission européenne et d’autres protagonistes (source).