Elles aussi, elles ont fait l'Europe !
L’élection du Parlement au suffrage universel
En 1976, les neuf États membres de la CEE décident que l'Assemblée européenne sera élue au suffrage universel direct pour cinq ans. La première échéance électorale intervient en juin 1979. En France, c'est le scrutin proportionnel dans le cadre national qui est choisi.
Ce nouveau type d'élection et de scrutin favorise l'accès des femmes à des responsabilités politiques. Personne ne peut imaginer qu'il n'y ait aucune femme en position éligible sur une liste de 81 noms. A partir du mois de mars 1979, une grande campagne de sensibilisation est menée avec pour objectif d'inciter les femmes à voter ; le moyen: leur prouver que l'Europe s'intéresse à elles, qu'Europe est une femme, que « la femme est l'avenir de l'Europe ».
Plus qu'à aucune élection précédente, les femmes sont présentes, parfois en première ligne. La ministre de la Santé, Simone Veil, dirige la liste UDF. Sur la liste RPR, c'est Louise Weiss qui est la première femme, une espèce de caution européenne sur une liste très hostile au projet européen. Chez les socialistes, les femmes obtiennent une place sur trois. Au total, sur l'ensemble des listes, on compte 25% de candidates et 22% de femmes parmi les élus (source).
Simone Veil tête de liste UDF : un choix de Giscard
Les cotes de popularité établies pour France Soir par l’IFOP et pour Le Figaro Magazine par la SOFRES montrent que depuis l’automne 1974, Simone Veil est toujours en tête du classement des personnalités politiques. Son succès auprès des femmes est indéniable : elle est « la femme la plus plébiscitée parmi les femmes » (1), sa popularité étant manifestement plus personnelle que politique.
Les déclarations et les actions de Simone Veil entretiennent l’image d’une femme qui fait de la politique mais qui n’est pas une femme politique, terme qui à l’époque ne veut encore pas dire grand-chose tant les femmes en politique sont rares. A partir de novembre 1978, Simone Veil apparaît comme la candidate du Président de la République pour les élections européennes : la seule capable d’éviter une politisation excessive du scrutin et de mener une liste élargie pouvant rassembler au-delà des formations partisanes. En réalité, Simone Veil présente surtout l’avantage de ne pas strictement incarner une des tendances de l’UDF (Union pour la Démocratie Française) et de ne pas être un homme politique qui pourrait se découvrir des ambitions à moyen terme... pour la présidentielle de 1981 par exemple.
A la fin mars 1979, elle est désignée par l’UDF tête de la liste Union pour la France en Europe. Le Président de la République ayant désigné Simone Veil, personne ne pouvait aller contre ce choix personnel de Valéry Giscard d’Estaing. Il semble que la capacité de rassemblement de Simone Veil en tant que figure politique atypique mais populaire depuis le débat sur l’IVG et en tant que symbole vivant de l’impérieuse nécessité de construire l’Europe ait été le critère essentiel de sa désignation comme tête de liste (source). Les origines de l’engagement européen et pour la paix en Europe de Simone Veil remontent à Auschwitz et Bergen-Belsen où elle fut internée en 1944-1945 (source).
Menant la liste soutenue, sinon issue, du gouvernement (elle comporte 4 ministres en plus d’elle), il est normal que Simone Veil soit le pivot autour duquel tourne la campagne électorale. Si elle est la cible de toutes les autres listes, sans exception, c’est qu’elle ne dispose pas de la légitimité issue des urnes, qu’elle est une femme isolée dans le microcosme politique, sans troupe et que l’auteure de la loi sur l’IVG focalise bien des critiques. A l’extrême droite et même à droite, certains n’hésitent pas à stigmatiser « l’avorteuse ».
Une femme sur trois sur la liste socialiste
Si la désignation de Simone Veil comme tête de liste pour les élections européennes est le choix d'un homme, en revanche, c'est par leur combat que les militantes socialistes obtiennent 30 % des places sur la liste présentée par leur parti aux élections européennes de 1979. La lutte entre les féministes égalitaires modérées et celles qui attribuent au féminisme un rôle politique radical est vive au sein du parti socialiste. Les premières sont dans l'obédience mitterrandienne (Yvette Roudy, Marie-Thérèse Eyquem), les secondes ont lancé l'idée d'un courant « Femmes » qui a fait long feu (Françoise Gaspard, Edith Lhuilier…). Sans doute, la proposition de Françoise Gaspard - seule femme élue maire d'une ville de plus de 30 000 habitants en 1977 (Dreux) – d'avoir 50 % de femmes sur la liste a permis aux "gradualistes", tenantes des quotas et des petits pas, de remporter une victoire. Les féministes modérées auraient donc profité de l'action téméraire des plus radicales pour imposer leur conception et obtenir un quota « raisonnable » de 30 % (source).
Les candidates et les élues
Le scrutin du 10 juin ne suscite pas l’enthousiasme des Français-es : la participation de 60 % se situe dans la moyenne enregistrée pour l’ensemble des neuf Etats membres, sans plus. La course Veil-Mitterrand pour attirer les suffrages féminins a tourné nettement à l’avantage de la ministre de la Santé. Si la liste de Simone Veil arrive en tête (27,6 %) c’est incontestablement du fait des femmes : 31 % d’entre elles ont voté pour la liste UFE (contre 25 % des hommes). Preuve que la personnalité de Simone Veil, son action concrète en faveur des femmes ont davantage convaincu que les invocations tardives du PS. Seules 22 % des femmes ont accordé leur confiance à la liste de François Mitterrand (contre 26 % des hommes). En revanche, c’est le parti socialiste qui a le plus de femmes élues tant en chiffres absolus qu’en pourcentage (6 soit 27,3 %) ce qui conforte l’idée que les socialistes mettent en pratique leurs discours en faveur des femmes.