Les années 1920, le vote des femmes et l'action catholique

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Conseil central de la Ligue, anonyme, 1927, photographie noir et blanc, Paris, Archives de l'Action catholique des femmes, © Action catholique des femmes.

Au lendemain de la Grande Guerre, les associations féminines et féministes reprennent leurs activités. Les rapports entre les féministes du Conseil national des femmes et les organisations féminines catholiques – Ligue patriotique des Françaises, Ligue des femmes françaises et l'Union Féminine Civique et Sociale fondée en 1926 – sont tendus et complexifiés par le ralliement des catholiques au suffrage des femmes.

En 1919, poussé par le contexte politique européen, le pape Benoît XV (1914-1922), se déclare favorable à un élargissement des champs d'actions féminins. Dès lors, on prépare les femmes au vote par des conférences, des tracts, des publications pour qu'elles se servent du bulletin comme d'une arme. Lors du congrès de Lourdes de 1919, la marquise Leclerc de Juigné trace les grandes lignes des principes d'action civique de la Ligue. 

La Ligue patriotique des Françaises et la Ligue des femmes françaises sont concurrencées par d'autres mouvements de femmes catholiques : Union féminine civique et sociale, Jeunesse ouvrière chrétienne à partir de 1926. Elles doivent aussi renouveler les méthodes d'apostolat et de recrutement et répondre à la menace communiste qui, selon elle, pèse sur les jeunes femmes.

Le congrès de 1927 célèbre les 25 ans d'action catholique. Dans la brochure Faire face, les principales réalisations et orientations de la Ligue sont présentées.

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Les Jeunes de Dunkerque. 'Aimer pour conquérir', anonyme, reproduit dans La page des jeunes 1929, papier imprimé, Paris, Archives de l'Action catholique des femmes, © Action catholiques des femmes.

Le discours de Benoît XV aux femmes catholiques d'Italie

Le premier acte du ralliement de la hiérarchie catholique au vote féminin a lieu lors de l’assemblée générale de l’Union des femmes catholiques d’Italie, en juin 1919. L’adresse du pape aux militantes ouvre pour elles des perspectives nouvelles d’apostolat. Elle est publiée en première page dans le Bolletino di organizzazione dell’Unione femminile cattolica italiana, le 15 novembre 1919.

Extrait de l’adresse de Benoît XV aux femmes catholiques d’Italie, Rome :

« Les conditions actuelles ont changé et ont pu donner à la femme des fonctions et des droits que l’État précédent ne lui connaissait pas. Mais aucun changement de l’opinion et aucune chose ou événement nouveau ne pourront éloigner la femme de sa mission, de ce centre naturel qui est pour elle la famille. Dans le foyer domestique elle est la reine. [...] Nous pouvons cependant dire, avec raison, que les conditions actuelles ont élargi le champ de l’activité féminine : un apostolat au milieu du monde a succédé pour la femme à cette action plus intime et plus restreinte qu’elle menait entre les murs domestiques ; mais cet apostolat doit être accompli de telle sorte que la femme, aussi bien en dehors que dans la maison, n’oublie pas de consacrer ses principaux soins à la famille.»

Madeleine Leclerc de Juigné (1879-1969)

Quand la bourgeoisie industrielle rencontre l'aristocratie

Marie Madeleine Emma Eudoxa Schneider est née en 1879 au Creusot.
Elle est issue de la grande bourgeoisie industrielle de l'Est. Son père, Henri Schneider (1840-1898) est député en 1893. Elle est la petite-fille d'Eugène Schneider (1805-1875)  exemple-type du patron paternaliste, entrepreneur industriel et politique, maître des forges et homme politique du Creusot. Madeleine Schneider épouse en 1901 Jacques Marie Auguste Leclerc, marquis de Juigné. Exemple assez typique lui aussi de l'homme politique de la Troisième République, conseiller municipal, maire, puis député en 1906, il partage des idées de son épouse et se fait le champion de la promotion des familles nombreuses et de l'enseignement libre. Le couple a deux enfants. Henri, qui décède d'une pneumonie à l'hôpital naval de Malte en 1925, et Colette, qui épouse le comte de Durfort dont elle a trois enfants.

La militante de la Ligue

Madeleine Schneider apparaît dans le Conseil central de la LPDF en 1911. Elle fait partie des conseillères du Conseil Central qui critiquent le fonctionnement du bureau et souhaitent que les liens officieux de la direction avec l'Action libérale populaire, parti catholique libéral, soient rompus. Lors du renouvellement des membres du bureau en 1913, une partie des conseillères se plaignent auprès de leurs évêques de l'éviction de certaines d'entre elles qui souhaitaient une organisation plus proche de l'autorité diocésaine et moins liée aux catholiques libéraux. Elle se maintient à la direction de la LPDF malgré ces conflits. Elle est trésorière générale jusqu'en 1927. Elle ne cesse d'appartenir à un comité de Dames royalistes en même temps qu'à la LPDF Sa présence assure à la LPDF les sympathies des dames royalistes décidées à militer dans une organisation féminine de masse, sans exclure l'action sociale et politique.

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La marquise Leclercq de Juigné, anonyme, 1927, photographie noir et blanc, Paris, Archives de l'Action catholique des femmes, © Action catholique des femmes.

La condamnation de l'Action française (1926)

En 1927, après la condamnation de l'Action française par le pape Pie XI, elle est la seule membre du bureau à refuser de signer l'adresse au pape envoyée par les dirigeantes de la LPDF en signe d'obéissance de la Ligue et de « docilité totale » à l'égard du Vatican. La situation de M. Leclerc de Juigné illustre ainsi le cas de nombreuses adhérentes de l'Ouest, qui partagées entre leur engagement à la LPDF et leur attachement à l'Action française se résignent difficilement à la condamnation. Après cet épisode, Madeleine de Juigné reste à la Ligue patriotique des Françaises. Au moment de la naissance de la Ligue féminine d'Action catholique française, elle est vice-présidente générale du bureau central. Elle reste au bureau de l'association durant toute la guerre. Elle disparaît en 1969.

Principes d'action civique

Le rapport présenté par la trésorière de la LPDF, la marquise Leclerc de Juigné au congrès de Lourdes de 1919.
 

" Mesdames,

S’il est un sujet à l’ordre du jour en ce moment, c’est bien le devoir civique des femmes ; on multiplie à ce propos les articles de journaux, les brochures, les conférences... Et chacun de discuter avec passion si ce sera un bien ou un mal de donner le vote aux femmes. Les uns soutiennent que cette mesure achèvera de désorganiser la famille, que ce sera un instrument d’oppression contre la femme, que celle-ci d’ailleurs ne peut rien comprendre aux choses politiques. — D’autres affirment que les femmes ont un jugement plus clair, et davantage de bon sens ; qu’elles ont plus de religion que les hommes, et sauront être plus tenaces dans leurs revendications.

Nous n’avons pas à prendre parti dans cette discussion, car ce n’est certes pas nous qu’on chargera de décider si oui ou non les femmes doivent être admises au suffrage universel. — Mais comme il est néanmoins certain que tôt ou tard, à l’exemple de l’Angleterre, des E.-U, de l’Allemagne..., le rôle des femmes françaises dans la cité sera élargi, notre Ligue, association féminine catholique et patriotique, ne peut pas rester étrangère au grand mouvement actuel. — Il nous a donc paru opportun de dire comment la Ligue comprend le rôle civique des femmes, et ce qu’elle compte faire pour aider ses adhérentes à remplir sur ce point tout leur devoir.

En premier lieu, quand le vote des femmes sera accordé, quelle sera l’attitude de la Ligue au point de vue politique ? La Ligue patriotique est un groupement d’action catholique qui N’EST INFÉODÉ À AUCUN PARTI POLITIQUE ! Je dis ceci très haut et très nettement pour qu’aucune équivoque ne soit possible.

Nous n’avons pas pour cela le droit de nous désintéresser des élections. — Nos évêques, dans les lettres qui ont fait grand bruit, le Saint Père lui-même, ont clairement affirmé que l’action électorale est intimement liée à l’action catholique. Il est donc de toute nécessité que la Ligue Patriotique, organe d’action sociale catholique, s’occupe de la question électorale, en instruisant ses adhérentes pour leur faire comprendre que c’est un devoir de voter et de bien voter. Nous disons donc, Mesdames, que la Ligue Patriotique ne doit, dans son action électorale, s’affilier à aucun parti. – Chacune de nous peut être individuellement du parti politique qui lui agrée ; mais lorsque nous parlons et nous agissons au nom de la LP, nous devons lui conserver sa pleine indépendance. Nous travaillerons dans un esprit d’union et de charité chrétienne uniquement au triomphe des principes catholiques, et nous soutiendrons les candidats qui acceptent nettement de les défendre. »

Les années 1920, le vote des femmes et l'action catholique