Genèse

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L'Illustration, "L'état-major des femmes chrétiennes", 1902, © collection particulière.

Au tournant du siècle dernier naît à Paris la Ligue patriotique des Françaises. Dans la tourmente de la séparation de l'Église et de l'État qui se prépare, de ferventes catholiques fondent à Lyon puis à Paris une organisation pour reconquérir par les urnes le terrain perdu dans la société. Jeanne Lestra, aidée par le jésuite Antonin Eymieu, avait fondé à Lyon le premier comité de la Ligue des femmes françaises. Parallèlement, à Paris, un institut religieux - la Société des filles du cœur de Marie - mobilise les plus zélées de ses membres pour inciter les femmes à faire changer la loi.

Filles de Marie et dames du monde se retrouvent dans les comités de la Ligue. Les préférences monarchistes des Lyonnaises et les liens du comité parisien de la Ligue des femmes françaises avec l'Action libérale populaire qui regroupe les hommes catholiques ralliés à la République mènent à une scission durant le printemps 1902.Les dirigeantes du comité de Paris que nous voyons ici déposent en juillet 1902 les statuts de la Ligue patriotique des Françaises – Action libérale populaire. La baronne de Brigode en est la présidente jusqu'en 1906, Marie Frossard est nommée secrétaire générale, fonction qu'elle occupera jusqu'en 1933.

Jeanne Lestra

Jeanne Lestra (1864-1951) est la fondatrice de la Ligue des femmes françaises à Lyon.

Jeanne Couturier est née à Lyon le 26 avril 1864. Elle est issue d'un milieu bourgeois, catholique. Son père est teinturier, sa mère est sans profession. Elle épouse le 11 juin 1883 Jean Lestra, avocat à la cour d'appel de Lyon, fervent catholique marqué par l'intransigeantisme. Les biographies de Jeanne Lestra soulignent sa déception conjugale et les souffrances de la jeune épouse suscitées par l'absence de liens avec son mari. Elle se rapproche des pères jésuites lyonnais, adopte une piété intransigeante caractérisée par la dévotion au Sacré Cœur et à Marie. C'est sous l'influence de son directeur spirituel, le père Antonin Eymieu, qu'elle fonde en 1901 la Ligue des femmes françaises à Lyon. Elle se retire cependant rapidement de l'association, déçue par la division entre le comité lyonnais et le comité parisien, préférant une action religieuse et spirituelle à l'action sociale et politique développée à Paris.

La scission vue par les femmes

Les querelles de femmes

Lors de la scission, la hiérarchie ecclésiastique française a parfois réduit les enjeux du conflit à des histoires de personnalité. Ou pour le dire autrement, des querelles féminines. La lettre de Jeanne Lestra, l'une des protagonistes du conflit, fait apparaître des tensions personnelles qui se doublent d'un désaccord profond sur la nature de l'apostolat féminin. Cette lettre est conservée dans un dossier avec toutes les pièces expliquant la scission à destination de la hiérarchie épiscopale et vaticane.

La scission vue par Jeanne Lestra, anonyme, 1902, papier et encre, Paris, Archives de l'Action catholique des femmes, © Action catholique des femmes.

" Millery 28 Août 1902

Mon Révérend Père,
Je n’ai pas voulu venir vous importuner au milieu de votre retraite, c’est pour cela que je n’ai pas répondu immédiatement à votre bonne lettre. J'ai lu en effet, la note répondant à la notre, je suis abonnée à l’Argus, c’est vous dire que la Presse n’a pas de secrets pour moi.
Vous voulez mon avis personnel. Et bien, une fois de plus vous m’avez victorieusement montré que si la parole est d’argent, le silence est d’or. J’aurais ardemment désiré que nos Présidentes se taisent, j’avais connaissance de la note et j’ai dit très carrément que j’en désapprouvais la publicité. Je pensais que nous nous attirerions une riposte de Mme de B.(Brigode) et déjà tant de mal a été fait de part et d’autre par les diverses notes révélant nos divisions.

Laissez-moi vous féliciter de l'habileté de la réponse, c’est un coup de patte de velours d’abord où la griffe se révèle dans la fin par la signature de Mme R. A l’heure actuelle, c’est une puissance et annoncer publiquement son action commune avec Mme de B. est un acte de bonne guerre ; mais une botte de première force.

Oui, Mme de Saint Laurent et Mme de C.(Cuverville) savaient que Mme R. était unie à Mme de B., je le leur avais dit (sans vous nommer). J’ai été étonnée des lettres écrites par ces dames, je m’en suis réjouie, car il me semble que c’est un premier pas fait vers l’union.
Ne pourrions-nous pas devenir alliés au lieu d’être rivales, le champ de bataille est si vaste. Je rêve d’une immense armée de chrétiennes toutes unies contre l’ennemi commune. A Mme de B. la partie politique, la bonne Presse, les conférences, les manifestations. A nous, la partie religieuse, les écoles, les patronages et toutes les œuvres s’y rattachant et touchant à la Ligue anti-maçonnique. Je voudrais que nous soyons, absolument sœurs, que chaque année, une réunion ait lieu avec ces dames pour que nous puissions étudier les points de contact et les travaux où nos efforts devraient s’appuyer les uns sur les autres.
Voici bien simplement mon idée, elle ne vaut probablement pas, car je ne suis pas assez habile pour trouver quelque chose de bien. Il me semble que l’union nous rendrait fortes et que cette combinaison arrangerait toutes les questions de préséance et de personnalités auxquelles on tient tant.
Demandons au Bon Dieu de tout guider et le plus grand bien de la France.
Antoine [son fils, monarchiste] est dans les montagnes du Bugey chez son ami et je n’ai pas pu lui faire votre commission. J’ai prié pour lui et pour moi, afin que le Bon Dieu bénisse votre retraite. Ces jours de recueillement doivent être un tel bienfait.
Veuillez agréer, mon Révérend Père, l’assurance de mon religieux respect."