Un atelier de couture à Doué-la-Fontaine

Coordination scientifique : Frédérique El Amrani

Un savoir-faire reconnu

Jeannette Sauzeau portant une robe créée par sa mère

Jeannette Sauzeau portant une robe créée par sa mère, anonyme, 1930, photographie noir et blanc, 7 x 10 (cm), Doué-la-Fontaine, © Jeannette Guyon.

La robe du dimanche présentée ici est un bon exemple de la qualité des vêtements confectionnés dans l'atelier douessin au début années 1930. Elle est portée par Jeannette, fille de Camille Sauzeau qui servit souvent de mannequin à sa mère et fut l'ambassadrice des productions maternelles dans les fêtes où elle était invitée.

Considérons cette photographie où visiblement le modèle pose comme une image publicitaire. Assise précautionneusement (noter le pli rectiligne de l'étoffe sous la cuisse) sur un petit fauteuil d'angle Napoléon III, placé pour l'occasion dans le jardin, la jeune fille présente son meilleur profil. De la coiffure savamment ondulée aux souliers vernis délicatement ajourés en passant par les sobres bijoux, la tenue est entièrement conçue pour mettre en valeur la robe. Le raffinement de la coupe (empiècement du corselet) s'allie à la qualité des finitions (régularité des parements plissés des manches et de l'ourlet) et la finesse de l'étoffe (jeu de transparence) pour faire de cette robe une parure d'exception. Ce savoir- faire reconnu avait un coût et les vêtements coupés et cousus dans l'atelier étaient réputés aussi chers que bien faits.

Une couturière d’exception

De l’avis des témoins rencontrés, Camille Sauzeau possédait « un coup de ciseaux » incomparable et à partir d’un patron rapidement dessiné coupait sans hésitation ni repentirs, à l’abri du regard de ses employées, les différentes pièces d’un vêtement dont elle avait discuté le modèle avec la cliente.

Ayant l’amour du travail bien fait et le souci de sa réputation elle n’hésitait pas à dissuader celles qui, inconséquentes, choisissaient des modèles inadaptés à leur physionomie et risquaient ainsi de s’exposer, et d’exposer par là même leur couturière au ridicule. Ses conseils étaient souvent suivis et de fortes femmes venues avec des rêves de robes vaporeuses balayées de grands motifs, se  trouvaient au final très satisfaites de modèles beaucoup plus sobres.

Elle s’arrangeait également, ce qui demandait un sens certain de la diplomatie et une bonne connaissance de la sociabilité douessine, pour que des clientes qu’elle apprenait conviées à une même soirée ne soient pas habillées semblablement.

Sa fille se souvient l’avoir vu refuser d’habiller des clientes irréductiblement fixées sur des modèles inadéquats ou des tissus de mauvaise qualité. Jeune, pour assurer  sa supériorité sur la concurrence, dans le « flou » (tissus fin, plis, fronces) comme le « tailleur » elle se rendait régulièrement à Paris où elle flânait en quête d’inspiration devant les vitrines de grands couturiers, choisissait directement des étoffes qu’elle rapportait ou se faisait livrer à Doué et pouvait proposer en exclusivité, avec plus-value à la clé, à ses clientes.

Plus âgée, handicapée par une corpulence qui limitait sa mobilité, elle s’abonna à de grandes revues de mode et commanda désormais sur catalogue, avec échantillons agrafés, les tissus qu’elle utilisait. Ce souci constant de renouvellement associé à la rigueur de ses conseils et à la qualité intrinsèque du travail fourni par ses ouvrières assurèrent pendant près d’un demi-siècle sa suprématie à Doué et sa renommée au-delà de la commune puisqu’elle habilla également des clientes angevines, saumuroises et, reconnaissance suprême, des Parisiennes en villégiature.

Une clientèle aisée, entretien avec Madame Guilbaud, STIC, octobre 2003, video, 52 s., Angers, STIC, © STIC.

Des produits chers

Habituellement seule une minorité de femmes, épouses de notables urbains ou ruraux, avaient recours aux services de Camille Sauzeau pour le renouvellement saisonnier de leur garde-robe ou la confection de tenues de cérémonie ou de soirée.

L’appât du gain n’était cependant pas la motivation principale de Camille Sauzeau et durant la basse saison (décembre, janvier, février) elle occupait ses ouvrières à la confection, dans les chutes de tissu abandonnées par les clientes aisées, de vêtements pour les enfants pauvres. Les prix pratiqués n’étaient que le reflet de la haute conscience, justifiée, qu’elle avait de sa valeur professionnelle.

Des tarifs élevés, entretien avec Madame Guilbaud, STIC, octobre 2003, video, 57 s. , Angers, STIC, © STIC.

Les tarifs fixés, comprenant le tissu, les fournitures diverses, la coupe et la « façon » étaient élevés. Camille Sauzeau ne faisait d’exception pour personne et les ouvrières qui lui confièrent souvent (goût du beau vêtement acquis dans l’atelier ? désir ne pas froisser la patronne ?) la confection de leur robe de mariée durent s’acquitter également de factures conséquentes.

Marcelle Foullard qui travailla de 1942 à 1949 dans l’atelier a conservé celle de sa tenue de mariage de même que des bulletins de salaire des années précédentes. En 1944, jeune ouvrière en fin apprentissage elle percevait un salaire mensuel de 607 francs et dû régler en 1948 la somme de 7820 francs pour la confection de sa  tenue qu’elle décrit comme plutôt simple soit près de 10 mois de revenus ! Seule faveur dont il est difficile d’estimer le prix comptable, l’opération prenant très peu de temps tout en étant déterminante pour l’élégance finale de la tenue, elle leur offrait « sa coupe ».