Chef-d'oeuvre collectif: la robe de mariée
Cette robe portée par la fille d'un notable douessin peut être considérée comme une des pièces majeures cousues dans l'atelier Sauzeau à la fin des années 40. La prise de vue souligne l'élégance de la robe autant que la prestance naturelle de celle qu'elle habille. La grande sobriété du modèle (ligne épurée, col montant, manches longues), coupé dans un satin de soie ivoire uni, lourd et souple à la fois, est mis en valeur par la richesse d'un voile aérien en tulle brodé et le raffinement discret de la coiffe composée d'un mince diadème orné de perles et deux coques de dentelle encadrant les tempes. Une des témoins apprentie à l'époque, se souvient d'avoir participé dans une excitation fébrile à la confection de cette tenue d'exception qui mobilisa le personnel des semaines durant.
La robe de mariée, requérant toutes les compétences au sein de l'atelier, apparaît comme un chef-d'œuvre collectif, dans lequel les jeunes ouvrières se projettent personnellement, qu'elles tiennent, rite propitiatoire, à introduire un de leurs cheveux dans l'ourlet ou multiplient facétieusement brides et petits boutons de nacre pour rendre problématique le déshabillage de la jeune mariée.
Le mariage en blanc
Le mariage en blanc est une « fausse coutume » récente dont l’histoire s’inscrit à la confluence de nombreuses pratiques culturelles tant publiques que privées, religieuses que séculières, évoluant en parallèle depuis la fin du XIXe.
Jusqu’à la fin du XIXe siècle au moins dans les campagnes, pour ses noces la mariée se contentait de revêtir ses plus beaux vêtements et ce n’est que lentement que le blanc, par touches discrètes, commença d’éclaircir des tenues souvent assez sombres : les habits très colorés des futurs époux bretons ou des mariées provençales restaient des exceptions régionales. Ces vêtements de coupe assez ordinaire mais confectionnés dans des étoffes de bonne qualité, solides et teintes soigneusement, pouvaient être facilement reportés tels quels dans d’autres grandes occasions (mariage, baptême, enterrement) et constituaient parfois la tenue des défunts quand les descendants n’en héritaient pas. Si l’occasion était exceptionnelle, la tenue ne l’était pas.
Tout d’abord en ville dans les milieux bourgeois, puis dans les campagnes, le développement du culte marial et la promotion de la virginité au rang de vertu cardinale à afficher fait progressivement du blanc la couleur nuptiale par excellence. C’est la couleur du lys, fleur emblématique de la Vierge Marie dont la robe sous le manteau bleu est également immaculée. Immaculée désormais doit être aussi la robe de la mariée signalant à tous son état de vierge intouchée. La seule macule tolérée, mais non exposée, sur le linge blanc sera la tache rouge du sang coulant de l’hymen perforé lors de la défloration. Ce blanchiment « contamine » la robe de la première communiante, mariée en réduction et blanc intégral des gants aux souliers, s’unissant au Christ par l’eucharistie.
D’abord présent sous forme de petit bouquet candide piqué sur le corsage, de couronne de fleurs d’oranger ceignant le front, puis de voile couvrant les cheveux, le blanc envahit toute la tenue. Parallèlement la coupe originale de la robe de mariée en fait un vêtement, destiné à un usage unique, sans lendemain (on confectionne spécialement des robes de lendemain de noce) que l’on ne pourra pas reporter sans lourdes transformations ultérieures. Sa ligne générale suit en les exagérant celle de la mode dominante, plutôt courte et sobre dans les années 20, longue, fluide et volantée dans les années 30 très structurée dans les années 40, « New Look » taille étranglée et jupe évasée dans les années 50.
Le blanc lui-même varie et se décline en un vaste nuancier, du blanc nival intégral (celui des communiantes) au coquille d’œuf en passant par l’ivoire et le rose évanescent. Le choix d’une nuance n’est pas uniquement dicté par un souci esthétique. S’y mêlent parfois, de plus en plus en avançant dans le siècle, des considérations morales incitant les mariées, de leur propre chef ou sous influence, à ne pas arborer le blanc trop éclatant d’une virginité qu’elles n’ont plus. De là à se marier en jaune canari ou bleu ciel il y a cependant un pas, sous le regard de petites communautés volontiers indiscrètes et cancanières, que beaucoup de fiancées enceintes ne franchissaient pas optant pour un casuistique blanc cassé ou beige rosé.
Ces robes d’un jour ont souvent connu un destin « sacrificiel », le haut retouché et teint devenant corsage ou veste, la jupe fournissant de quoi confectionner parures de berceau ou robes de fillette. Transformer, retailler jusqu’à faire disparaître cette tenue, objet d’un si fort investissement, a aussi valeur de symbole.
La jeune femme, en renonçant à conserver cette parure comme souvent simultanément en se faisant couper les cheveux, fait le deuil de la jeune fille qu’elle fut. Elle montre ainsi qu’elle accepte sa nouvelle place dans l’ordre des générations et se prépare à devenir mère. Au narcissisme de la jeune mariée s’admirant dans son miroir doit succéder l’altruisme de la jeune mère sacrifiant à ses enfants sa parure la plus belle.
Dans l’atelier Sauzeau deux ouvrières au moins, amies proches, se marièrent à la fin des années 40 en tailleur bleu marine n’arborant de blanc en ce jour que le plastron de leur corsage, les fleurs stylisées incrustées sur les revers de la veste pour l’une ou plus discrets encore pour l’autre les liserés soutachant poches et poignets de son ensemble.
Il est difficile de savoir ce qui dans ce choix atypique relève du goût propre des intéressées, du manque de moyens financiers à une époque de textile encore rationné, de l’influence intellectuelle de Camille Sauzeau, de distance prise avec l’institution ecclésiastique ou d’une honnêteté foncière les enjoignant à ne pas se parer d’une couleur qu’elles savaient ne plus « mériter ». Conçues et confectionnées selon d’autres critères que les somptueuses et éphémères robes blanches, ces tenues survécurent au mariage et furent reportées facilement par la suite. Ces mariées sobrement bicolores restèrent minoritaires.
La couturière ne se contentait pas de livrer le vêtement fini à la cliente. Souvent, accompagnée d’une apprentie pour laquelle c’était là une faveur et un honneur elle allait elle-même habiller la mariée, procéder aux ultimes retouches et derniers ajustements avant la cérémonie.
Ainsi que le montre cette photographie, bien que non croyante et anticléricale, il arrivait à Madame Sauzeau d’entrer à l’église le jour de la cérémonie pour admirer « sa » mariée et entendre les commentaires élogieux de l’assistance sur son savoir faire.
Il arrivait ensuite qu’elle soit retenue pour le déjeuner de noces par la mariée et sa famille, signe de l’estime dans laquelle elle était tenue et du rôle particulier qu’elle avait joué dans la métamorphose physique et psychologique d’une jeune fille en jeune femme au cours de nombreuses séances d’essayage où le corps n’était souvent pas le seul à être mis à nu. Parmi les artisans ayant participé à la réussite d’un beau mariage, la couturière semble bien être la seule à être conviée, comme le prêtre, à partager l’ensemble du repas.
Bibliographie
Ségalen Martine, Amours et mariages dans l'ancienne France, Paris, Berger-Levrault, 1981.