Un atelier de couture à Doué-la-Fontaine

Coordination scientifique : Frédérique El Amrani

De l'apprentie à l'ouvrière

Personnel de l'atelier Sauzeau

Personnel de l'atelier Sauzeau, anonyme, 1942, photographie noir et blanc, 8 x 5,5 (cm), Doué-la-Fontaine, © Marcelle Foullard.

Le cliché présente sur le modèle classique de la photographie de classe, sans le tablier retiré pour l'occasion, le personnel de l'atelier Sauzeau durant l'été 1942. Bien cadrée et savamment composée elle ordonne de façon hiérarchique les membres de la petite communauté ouvrière.

Au centre, légèrement en retrait, dans l'ombre mais souriante, la patronne, Camille Sauzeau ; de part et d'autre, en deux groupes de trois, les ouvrières accomplies, disposées de gauche à droite, par ordre croissant de taille plus que d'ancienneté ; au premier plan, assises à même la terre encore habillées comme des petites filles, les apprenties. Arrivées dans l'atelier vers 14-15 ans, elles restaient trois ans en apprentissage, avant d'y devenir ouvrières pour un petit nombre d'années, généralement jusqu'à leur mariage vers 20-22 ans. Selon leurs inclinaisons et talents respectifs elles se spécialisaient dans l'art délicat du flou ou moins prestigieux du tailleur et les plus compétentes prenaient en charge la formation des cadettes. Entre jeunes filles, issues de milieux comparables et d'âge rapproché, des liens de camaraderie se nouaient aisément dans l'atelier qui se prolongeait au dehors.

Une formation rigoureuse

En raison de la notoriété de l’atelier et du nombre élevé de postulantes à un apprentissage, Camille Sauzeau pouvait se permettre de sélectionner soigneusement les jeunes filles qui seraient admises à se former sous sa direction.

Cahier de chansons, Ginette Beunier, 1940, papier et encre, 21,5 x 16,5 (cm), Angers, © Ginette Beunier.

En sa présence cependant les jeunes filles ne se laissaient pas aller, censuraient leurs élans et leurs émois ; en son absence les cœurs s’épanchaient davantage, plaisanteries et farces fusaient. Il arriva que de façon volontairement transgressive, les ouvrières sortent par la fenêtre ouverte sur la rue pour aller chercher de quoi alimenter et arroser une fête improvisée, qu’elles se mettent à deux dans le manteau d’une cliente particulièrement volumineuse, valsent avec les mannequins ou hérissent d’épingles le couvre-chef de l’époux jugé antipathique d’une cliente.

Elles se retrouvaient aussi souvent hors de l’atelier pour fêter l’anniversaire, les fiançailles ou le départ de l’une d’entre d’elles. Les liens amicaux, établis sur la base d’affinités électives, se doublaient d’une sociabilité plus globale incluant les collègues de travail et les camarades d’une même classe d’âge.

Les moments forts étaient immortalisés par des photographies, volontiers échangées entre les amies et que nos témoins ont parfois conservé jusqu’à nos jours. Ainsi, la photographie mettant en scène Ginette Savarit et Albert Beunier est en possession de Marcelle Foullard, collègue et amie de Ginette depuis leurs débuts dans l’atelier.

Il ne semble pas que dans cet atelier dirigé par une libre-penseuse on ait fêté aucun des saints patrons ou saintes patronnes des couturières. Sainte-Catherine assidûment célébrée le 25 novembre dans nombre d’ateliers de couture et de magasins de mode urbains n’était l’occasion d’aucune festivité dans l’atelier Sauzeau dont par ailleurs les employées se mariaient le plus souvent bien avant le fatidique 25e anniversaire.