La maîtrise des gestes
Pour juger de la qualité réelle d'un vêtement, au-delà d'une appréciation superficielle, les témoins ont souligné l'importance d'un examen minutieux des finitions intérieures, invisibles en surface (ajustement de la doublure, netteté du surfilage, discrétion des ourlets, montage soigné de l'encolure, des manches, des parmentures).
L'apprentissage débutait par l'acquisition des techniques ingrates de marquage des pièces coupées (les croches), de préparation des éléments à piquer à la machine et de finition (surfilage, ourlet) opérations dont le vêtement fini ne devait plus porter trace. La beauté d'un vêtement devait aussi être intérieure. L'assemblage à la machine des pièces, la couture proprement dite, était peu valorisé et les « vraies » couturières méprisaient les "piqueuses". On considérait que les étapes les plus importantes dans le processus de confection d'un beau vêtement étaient en amont la coupe, en aval la finition. A ses apprenties et ouvrières Camille Sauzeau déléguait les opérations d'assemblage et les finitions et se réservait la coupe, réalisée à l'abri des regards. Pour elle l'apprentissage ne pouvait concerner le geste inaugural et créateur.
La couture, un savoir scolaire et familial
Ayant toutes acquis à l’école et dans le cadre familial des rudiments de couture, les apprenties se perfectionnaient dans l’atelier Sauzeau tout en étant tenues à l’écart des mystères de la coupe.
Depuis les lois scolaires de 1882 les programmes officiels comportaient un enseignement manuel obligatoire pour les élèves des deux sexes. Les garçons apprenaient les rudiments du bricolage, les filles ceux de la couture. A chaque niveau de classe correspondait un programme précis prenant en compte les acquis des années précédentes et le certificat d’étude comprenait une épreuve obligatoire de couture.
Savoir confectionner des vêtements simples, apprendre à les « faire durer » en maîtrisant les techniques de stoppage, de raccommodage, de retournement faisait partie d’une culture à la fois pratique et morale, valorisant le sens de l’économie et les vertus ménagères, que se devait de posséder toute jeune fille à la fin de sa scolarité.
Le désintérêt manifeste de Camille Sauzeau pour les compétences strictement couturières de ses apprenties venait aussi de ce qu’elle les savait toutes disposer, en la matière, d’un bagage minimum peu à peu constitué sur les bancs de l’école. En classe, les futures apprenties avaient appris à manier l’aiguille ; à la maison souvent, elles avaient pu s’entraîner sur la machine à coudre maternelle.
Une formation cependant incomplète
A leur entrée dans l’atelier elles maîtrisaient donc l’alphabet élémentaire de la couture, composé de points simples et de techniques de coupe rudimentaires. Dans l’atelier, équipées des outils de base, ciseaux, dé, premier jeu d’aiguille, mètre ruban qu’elles avaient du acheter, elles acquéraient les savoirs faire autrement plus élaborés et complexes nécessaires à la confection de vêtement dont la qualité se lirait autant sur l’envers que l’endroit.
A l’issue de leur apprentissage elles n’ignoraient rien de l’art de la boutonnière passepoilée, des smocks, des pinces invisibles et du montage des manches ballons mais n’avaient pas appris à tailler des modèles originaux et ne pouvaient donc se poser en rivale de leur illustre patronne qui ne divulguait pas les secrets de sa coupe.
Les plus motivées des apprenties pour compléter leur formation durent, à l’image de Marcelle Foullard, prendre des cours de coupe par correspondance.
Camille Sauzeau avait à cœur de former d’excellentes exécutantes mais se refusait à leur apprendre ce qui eut pu en faire des concurrentes. Certaines de ses ouvrières réussirent néanmoins à pénétrer suffisamment de ses secrets pour pouvoir proposer, au noir et à des tarifs alléchants, leurs services « certifiés » Sauzeau à une clientèle de connaisseuses intéressées.