Le secteur social, un autre terrain d’action
Le 1er mai 1917, Cécile Brunschvicg participe à la création de l'Ecole des surintendantes d'usines, destinée à former des travailleuses sociales aux fonctions multiples dans les usines : embauche, surveillance du travail, contrôle de l'hygiène, gestion des services sociaux pour les ouvrières et leurs familles.
Son investissement dans un tel projet, ainsi qu'ausein de nombreuses autres associations sociales, obéit à plusieurs considérations : dépasser la philanthropie au profit de la prévoyance et d'une législation sociale, plus efficaces, améliorer les conditions de travail des femmes, favoriser leur promotion professionnelle par le développement d'une fonction typiquement féminine mais aussi, dans une optique suffragiste, permettre aux femmes de montrer leurs capacités et d'obtenir une influence plus grande auprès des politiques.
Cette création de l'école des surintendantes s'inscrit aussi dans sa lutte contre les « fléaux sociaux », lutte contre l'alcoolisme, réglementation de la prostitution, dénatalité, alcoolisme, qui mobilisait bon nombre de féministes, et qu'elle a aussi mené sur un plan politique en cherchant à faire évoluer la législation.
La lutte contre la réglementation de la prostitution
C’est surtout à partir de la Première Guerre mondiale, qui voit la recrudescence de la prostitution, puis au sein de l’Union temporaire contre la prostitution réglementée, que les féministes françaises s'investissent dans la cause abolitionniste. Leur but est d’attirer l’attention des pouvoirs publics sur le scandale de la traite des blanches, dénoncée comme une forme moderne d’esclavage soutenue par l’Etat. Elles agissent aussi au nom de principes moraux, avec la volonté de promouvoir une moralité élevée, identique pour les deux sexes. On retrouve dans cette lettre de Cécile Brunschvicg quelques uns des arguments souvent avancés.
Natalisme et dépopulation
La question de la dépopulation est un enjeu de débat parmi les féministes. Celles-ci sont très tôt appelées à s’intéresser à la question, car le débat sur la dépopulation est très vite présent dans l’élaboration de la pensée française sur la question des femmes, ces dernières ayant été, après la défaite de 1870, accusées par les repopulateurs de s’être soustraites à la maternité et de s’être montrées ainsi socialement et patriotiquement irresponsables. Le féminisme à plus forte raison est rendu responsable de la dépopulation, ce qui amène ses défenseurs à donner leur propre interprétation de la question.
Cécile Brunschvicg s’est elle aussi investie dans la lutte contre la dépopulation. Elle partage les inquiétudes nationalistes de ceux pour qui une population nombreuse est une condition de la grandeur de la nation et elle fait partie de la ligue nataliste Pour la vie.
Mais en réalité, son natalisme est plutôt modéré. Si elle ne réclame pas une remise en cause de la législation qui interdit et réprime la propagande anti-conceptionnelle (loi du 23 juillet 1920), elle est en fait plutôt favorable aux mesures préventives comme le développement des aides en faveur des mères abandonnées, des allocations familiales, des services sociaux et la lutte contre la mortalité infantile. Ses convictions féministes l’amènent surtout à refuser toute mesure nataliste susceptible de porter atteinte aux droits des femmes.
A partir des années Trente, on voit même apparaître dans sa correspondance une remise en cause de ses convictions natalistes dans un contexte de crise économique et de montée des fascismes. Mais cette évolution reste très discrète et Cécile Brunschvicg préfère, fidèle à ses principes, éviter d'entretenir les débats sur ces questions au sein du mouvement féministe, de peur de raviver les divisions.