Défendre le droit au travail des femmes
La défense du droit au travail des femmes est une des revendications centrales du féminisme de Cécile Brunschvicg, qui a même eu tendance à prendre le pas sur la revendication suffragiste dans les années 30, où le travail des femmes a particulièrement été remis en question.
Cécile Brunschvicg a encouragé l'entrée des femmes dans les syndicats, seuls habilités selon elle à parler au nom des travailleurs et a assigné aux organisations féministes la tâche de collaborer avec eux et d'essayer de les influencer en les amenant à prendre des positions féministes.
Ses revendications en matière de travail sont celles du mouvement féministe réformateur dans son ensemble : égalité des salaires et de l'avancement, en argumentant notamment que le salaire féminin n'est pas un salaire d'appoint comme l'avancent souvent les détracteurs du travail féminin.
Elle considère aussi qu'aucun poste ne doit être fermé aux femmes. Son action à la section Travail du CNFF a donc souvent été de faire du lobbying pour obtenir notamment l'ouverture des concours de la fonction publique aux femmes.
Par ses positions, Cécile Brunschvicg peut donc être considérée comme une féministe égalitaire. Pour autant, il est arrivé aussi que ses principes entrent en contradiction avec sa volonté de défendre la famille, ce qui l'amène à réfléchir à des aménagements des conditions de travail pour les femmes.
Ses revendications égalitaires ne sont cependant pas opposées à son soutien, dans le grand débat qui secoue les associations féministes, à une législation protectrice du travail féminin (contre les emplois pénibles notamment), à condition que celle-ci ne constitue pas une atteinte à la liberté du travail des femmes.
Les Réchauds du Midi, une oeuvre féministe
Au moment où Cécile Brunschvicg commence à se consacrer à la cause des femmes, vers 1906, le travail des femmes est très mal vu au sein du monde ouvrier et ne bénéficie pas de l'appui des organisations syndicales : les femmes qui n'ont pas le droit d'adhérer à un syndicat sans l'autorisation maritale – droit qu'elles n'obtiennent qu'en 1920 – ne représentent que 6,3% des syndiqués en 1900, 9, 8 % en 1911. Une des premières actions de Cécile Brunschvicg est donc de les encourager à se syndiquer.
C'est dans ce but qu'elle crée vers 1906 l'œuvre des Réchauds du Midi qui fournit aux ouvrières un lieu pour déjeuner mais se présente surtout comme un lieu d'éducation à la nécessaire syndicalisation, comme elle l'explique à la baronne Léonino :
« Un individu seul n'est rien. Réuni à d'autres il devient une force… Voici donc notre idée. Grouper les femmes qui travaillent, les syndiquer, leur montrer qu'elles ont une personnalité, une dignité et qu'elles doivent gagner de quoi vivre. Ce que nous voulons faire est à la fois une œuvre d'éducation sociale et de groupement des intelligences. Nous voudrions avoir une influence de propagande très grande pour que l'idée de solidarité qui existe si peu chez les femmes devienne pour elles une nécessité et un devoir.
Ceci n'est pas une utopie : les syndicats fonctionnent très bien chez les hommes. Ils sont à peine esquissés chez les femmes, car elles ont à lutter contre les préjugés, et aussi et surtout contre l'indifférence même des intéressées : les femmes actuellement n'ont pas conscience d'un devoir réciproque. Elles sont excusables car elles l'ignorent, mais nous voulons les rendre les ouvrières d'un avenir meilleur et plus juste en leur montrant leur tâche : leur donner un idéal de justice et de bonté… nous voudrions leur donner la force qui leur manque pour dire : « nous travaillons, donc tout naturellement nous devons vivre et par nous-mêmes. »
Le travail des mères et des femmes mariées
L’industrialisation qui a conduit les femmes à l’usine est vécue par beaucoup d’observateurs comme un péril pour la famille et la survie de la « race ». Cécile Brunschvicg, considérant également que la place de la mère est auprès de ses enfants, préconise néanmoins toujours des solutions conciliatrices, ne portant pas atteinte aux droits des femmes.
Elle considère d’abord que le législateur n’a pas le droit de prendre des mesures coercitives pour empêcher la femme chargée de famille de travailler, au nom du respect de la liberté humaine et de la crainte de l’arbitraire. Une de ses actions à la section Travail a donc été d’étudier les solutions existantes : le travail à mi-temps, au programme de l’année 1929, qu’elle ne souhaite pas voir rendu obligatoire, la possibilité pour les femmes fonctionnaires notamment de retrouver plus facilement leur emploi après une interruption. Elle rejette en revanche la solution du travail à domicile, qui a pourtant la faveur de certaines féministes, en dénonçant l’isolement de la travailleuse exploitée.
C’est la même volonté de concilier souci hygiéniste et égalité au travail qui dicte la position de Cécile Brunschvicg sur la question de la législation protectrice contre les travaux pénibles et le travail de nuit, qui fait débat dans le milieu féministe. De manière générale, elle se montre favorable à une protection spécifique pour les femmes, à condition qu’elle soit une base de progrès devant aboutir également à l’amélioration du travail des hommes et plaide pour qu’elle ne soit pas généralisée à toutes les professions, mais étudiée en fonction des conséquences sur le marché du travail.