La commission Mattéoli rend hommage à Rose Valland

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Oeuvres MNR du Musée des Beaux-Arts d'Angers, MUSEA, 2004, montage numérique, 1000 x 1000 (px), © MUSEA, Université d'Angers.

Les musées nationaux de Paris et de province organisent en 1997 une présentation des objets d'art qui leur avaient été « confiés » au lendemain de la guerre, en l'absence de propriétaire avéré. Dans le même temps, la Mission d'étude sur la spoliation des Juifs de France pendant l'Occupation, dite Mission Mattéoli du nom de son président, ancien résistant et président du Conseil Economique et Social, se met en place. Au moment de la publication du rapport d'étape numéro deux en février 1999, le bilan des recherches fait état de la récupération de « 10 % de biens spoliés dans les objets d'art revenus d'Allemagne après la Seconde Guerre mondiale et confiés à la garde des musées nationaux. Ces recherches se poursuivent. »

Si l'on ne peut pas dire que MNR = biens spoliés, on peut quand même affirmer MNR = pas de propriétaire avéré qui s'est manifesté. Fut donc entrepris un travail de Sisyphe : établir pour chacun des MNR une fiche exacte sur l'histoire de chaque œuvre. Les recherches ont porté sur « 900 cartons contenant les papiers de la commission de récupération artistique aux archives étrangères ».

2 143 objets sont à ce jour placés sous la garde des musées nationaux - le musée des Beaux-Arts d'Angers conserve ainsi huit oeuvres MNR -. En France, la moitié sont des peintures, un tiers des objets d'art décoratif et le reste comprend des dessins, des sculptures, des objets d'antiquité, d'art asiatique et d'art populaire. Concernant leur provenance, 10 % étaient des objets spoliés, 65 % des objets auraient été achetés sur le marché parisien (dans des conditions variables) et 25 % avaient une origine mal établie ou inconnue.

Dix ans après la reconnaissance officielle d'archives dites « Rose Valland » , ses notes prises durant l'Occupation au Jeu de Paume, et des sources de la Commission de récupération artistique et de l'office de restitution de Baden-Baden, le travail de la commission Mattéoli a jeté un éclairage intéressant sur les années d'Occupation.

Les restitutions : un débat complexe

Quel intérêt y a-t-il aujourd'hui à travailler sur Rose Valland ?

Travailler sur les héritages ou les héritiers ne présente, à nos yeux, qu'un intérêt mineur. Pardon pour eux, s'ils s'en froissent. Plus légitime et morale est l'attention prêtée aux victimes, aux enfants des victimes de la Shoah, à l'instar de ce que font Serge et Beate Klarsfeld. Si le relatif silence de l'histoire à propos de Rose Valland vient de la hiérarchie entre les atteintes aux biens et aux personnes, il est compréhensible, injuste peut-être pour le courage de Rose Valland, mais explicable…

Mais à ces oublis explicables et légitimes, se mêlent peut-être divers silences d'institutions, de musées, de conservateurs, qui n'ont pas envie de relancer le débat sur des œuvres parfois « embarrassantes ». Plus mesquin et malsain, le lobbying de certains amateurs ou collectionneurs que Rose Valland et ce passé gênent peut-être. Dire que les nazis avaient un projet de pillage global, que certains et certaines tentèrent de le contrecarrer, fait aussi partie de l'histoire de la résistance et mériterait peut-être une mention, par exemple dans les musées, lorsque des tableaux dits « MNR » sont exposés. Ainsi le Musée des Beaux-Arts d'Angers, compte, comme beaucoup de musées français, huit tableaux MNR.

Les œuvres restituables ont-elles été restituées ?

La réponse est positive pour Didier Schulmann (voir son article sur le site du Centre Pomipdou), conservateur au Musée national d'art moderne – centre Georges Pompidou, responsable de la gestion des collections : « Il s'impose également que des tentatives furent conduites d'aller au-delà des demandes de restitutions introduites par les personnes ou les familles spoliées.

En témoignent les efforts engagés pour retrouver d'où pouvait provenir le petit tableau Torrès-Garcia (R18P). En témoigne également une liste, dressée à la hâte par Rose Valland, le meilleur connaisseur des faits. En 1965, elle demande à Michel Hoog, alors assistant au Musée national d'art moderne, de lui communiquer la liste des MNR XXe siècle. Au crayon de bois, sur une grande feuille de papier, elle trace un tableau à deux colonnes où figurent, à droite la plupart des peintures de la récupération, et, à gauche, toutes les oeuvres pouvant s'en rapprocher extraites des listes de l'ERR. Elle ne parvint à établir aucune équivalence… ».

Résumé de la partie du rapport Mattéoli consacrée aux œuvres d’art, par Corinne Bouchoux

Les recherches sur les MNR s'attachent plus particulièrement aux oeuvres spoliées. Le rapport Mattéoli distingue les pillages (vols en dehors de tout cadre légal lors desquels les nazis satisfont leur soif d'œuvres pour elles-mêmes ou leur valeur marchande) des spoliations qui reposent sur des mesures réglementaires. Le rapport Mattéoli résume la razzia des nazis via l'ERR (pp. 19-24).

Ensuite (p. 31-44) sont décrites les restitutions de l'après-guerre avec la chronologie et les méthodes de la Commission de récupération artistique. 
Au final la commission de choix (1949-1953) retient 2 000 œuvres et 12 500 objets seront vendus par l'administration des domaines. Ensuite, cette partie du rapport décrit l'attitude de la République Fédérale d'Allemagne à partir de 1952 avec une loi d'indemnisation (p. 45-52) Les amateurs de sources trouveront (pp. 59-63) des pistes variées (919 cartons au ministère des Affaires étrangères avec un dépouillement à 65 000 entrées) établi sous la direction de Marie Hamon (300 cartons consultés), des rapports et études, des inventaires divers dont les demandes de restitutions.

De façon relativement diplomatique et avec un sens prudent de l'euphémisme, il est constaté page 64 : « …les travaux effectués depuis une année amènent à constater qu'une partie de la mémoire de ces questions s'était perdue et que les résultats des très importantes recherches opérées jusque dans les années soixante et dont témoignent les dossiers établis tant en Allemagne qu'en France ne se sont pas transmis après la disparition de Rose Valland ».

Pourquoi cette rupture de transmission ? Le lecteur reste sur sa faim.

En dernière partie de cet exposé vient une évaluation des provenances. Au 1er mars 2000, la commission considère que 10 % des objets détenus par les musées au titre des MNR ont été spoliés, 65 % auraient été achetés sur le marché parisien et 25 % présentent un historique "incomplet" ou "inconnu". Néanmoins, le rapport s'interroge sur d'éventuelles « transactions » réalisées sous la contrainte (p. 71) : « Aucune étude systématique n'a été menée après la guerre, ni par les Français ni par les Américains, sur la question des ventes qui auraient été réalisées sous la contrainte…».

La bibliographie (p. 75-78) comblera ceux qui souhaitent approfondir ce sujet, alors que les simples curieux pourront se reporter à la liste récapitulative des restitutions effectuées depuis 1951.

On y distingue les listes d'œuvres (10 tableaux remis à des pays étrangers), 3 aux douanes, et d'autres à des particuliers. Le tableau (p. 100) du nombre des œuvres restituées s'avère assez lumineux et témoigne d'un regain d'intérêt récent…

Un des volumes de ce rapport aborde la question des sources. Rappelons qu'au début des années 1990, Hector Feliciano, pour son enquête sur le pillage d'œuvres d'art, avait travaillé sur des archives américaines comprenant des doubles d'archives françaises et britanniques, dont la consultation n'était alors pas autorisée en Europe. Ces documents concernaient l'activité de Rose Valland et la direction générale des études et des recherches (DGERR) (voir Beaux-Arts Magazine, n° 140, décembre 1995, p. 88-95).

On peut donc parler d'une petite « révolution culturelle » avec la politique plus transparente, dont témoignent les propos de Marie Hamon qui a instruit les archives et facilité le prêt de doubles pour l'exposition organisée en 1999 dans le village natal de Rose Valland.

Année Nombre d'œuvres restituées par année
1951 14
1952 4
1953 4
1954 1
Avant 1955 1
1957 1
1961 1
1966 1
1979 1
1994 7
1996 1
1997 1
1998 4
1999 19
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Comblement d'un puits (MBA 1669 Dép., MNR 824), anonyme (école italienne), 15e siècle, tempera sur bois, 48 x 161 (cm), Angers, Musée des Beaux-Arts, © Musées d’Angers, photo Pierre David.

Train dans la campagne

"Acheté à Monet par Ernest Hoschedé, vers 1876-1877 ; vente Hoschedé, Paris, Drouot, 5-6 juin 1878, n° 53, adjugé 175 F à Brullé. Raphaël Gérard, Paris (cachet au revers). 
Acheté en France par Adolf Wüster (comme Petit paysage avec pont à Meudon de Monet) [1] (une note manuscrite dans les archives Ribbentrop mentionne « Paysage de Saint-Cloud, Collection personnelle de Wüster » et la photographie n° 48, À Saint-Cloud) [2] ; acquis à Paris en 1940 par le ministère des Affaires étrangères [3] ; collection Ribbentrop (n° 145) [4] ; découvert dans le dépôt de A. Th. Paulsen et Cie, Hambourg.

Attribué au musée du Louvre par l'Office des Biens et Intérêts Privés en 1950 ; Jeu de Paume, 1950 ; Orsay, 1986."  (extrait de la notice MNR 218 du catalogue des MNR)

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