Rose Valland, sur "le front de l'Art"

Coordination scientifique : Corinne Bouchoux

L’exposition à Saint-Etienne de Saint-Geoirs

Affichette de l'exposition 'Rose Valland' à Saint Etienne de Saint Geoirs

Affichette de l'exposition 'Rose Valland' à Saint Etienne de Saint Geoirs, Le Lamobile, 1999, affiche, 21 x 14 (cm), Association 'La Mémoire de Rose Valland', © Association 'La Mémoire de Rose Valland'. 

Dans les années 1990, Danièle Delaruelle-Depraz prend l'initiative, avec un comité de villageois, d'honorer la mémoire de Rose Valland. Veuve d'un chanteur d'opéra réputé et originaire du village, Xavier Depraz, Danièle propose le principe d'une association loi 1901 « La mémoire de Rose Valland ». Sous sa houlette, des villageois organisent une exposition à Saint-Etienne de Saint-Geoirs en 1999 lors de laquelle M. Humbert vient rendre hommage à Rose Valland ainsi que Lucie Aubrac.

Grâce à un prêt de documents choisis par Marie Hamon (archiviste au ministère des Affaires étrangères) et grâce à de multiples bonnes volontés, une scénographie artisanale mais de grande qualité met en valeur l'œuvre de Rose Valland. Le village attend encore une aide des pouvoirs publics pour l'édification du Musée Rose Valland et espère qu'une plaque sera apposée au Jeu de Paume et au Louvre au nom de leur héroïne. Des historiens d'art renommés comme Didier Schulmann (conservateur Centre Pompidou) sont aussi favorables à cette reconnaissance posthume. Aux Etats-Unis, elle est déjà à l'honneur sur plusieurs sites internet.

A la suite à cette expérience originale, Françoise Flamant, enseignante à la retraite, diplômée de l'Ecole de Louvre et féministe, part interviewer des villageois qui ont connu Rose Valland. Des témoignages ressort l'attachement profond de Rose Valland à son village. En 2003, Saint Etienne de Saint Geoirs donne le nom d'une place à Rose Valland.

Sur les traces de Rose, par Françoise Flamant

« […] Village sombre, triste, un peu abandonné. Le centre-ville avec ses maisons modestes abrite encore quelques cafés, des petits commerces, une place et une école qui porte le nom de Rose.

La maison de Rose, près de laquelle se trouve la forge de son père, charron, est dans une petite rue étroite. J'entre dans cette forge. Un lieu sombre mais tout est encore en place… L'enclume, le four, le système de ventilation, comme si c'était hier que cet homme est parti. Rose est née là… La vie est difficile, sa mère fait face, s'occupe d'elle. Le père s'attarde au bistrot. Rose en souffre. Elle s'arrache à sa famille, ce village […]. Ses études bifurquent ; elle étudie le professorat de dessin, s'intéresse à l'art, à la beauté. Sa vocation elle la vit d'abord en tant qu'artiste. Mais elle renonce. Les tableaux que je vois d'elle […] sont des essais académiques […].

Tandis que nous sommes en 2000 dans un bistrot de Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs, ses amis sont rassemblés là.

M. et Mme Vuillermez, le coiffeur, qui me dit avoir rencontré Rose un mois avant sa mort (et l'évoque) : « C'était une grande femme imposante, impressionnante, presque masculine ». Bien après la guerre, alors qu'il la coiffait lors d'une visite, elle lui a parlé de ses craintes. Elle se sentait en danger.

Le fils du menuisier se souvient bien d'elle et dit « elle venait une fois par an chez sa cousine et restait une semaine ». Je demande si Joyce l'accompagnait, elle venait rarement.

Rose nous invitait à la Forteresse, un restaurant, et elle était très organisée. Elle invitait ses amis en trois fois. Chaque année c'était le même rituel ».

Elle ne parlait jamais de ce qu'elle avait fait. Elle évoquait seulement son enfance et les souvenirs qu'elle avait du village ». Madeleine, cette grande belle femme âgée qui me fait face, me dit : « Ma mère, Rose, et sa cousine, qui tenait un café se rencontraient chaque année et parlaient pendant des heures.

« Je connais quelqu'un à Grenoble qui a gardé des lettres de Rose et un tableau qu'elle a peint, je crois… ».

Puis nous allons au cimetière sur la tombe de Rose, de ses parents et de Joyce. Nous longeons sur la gauche de l'allée qui conduit au cimetière un bois de noyers, ces noyers que Rose aimait tant. Lorsqu'elle vivait dans son petit appartement parisien, elle eut besoin d'étagères pour ses livres. Elle demanda au menuisier de Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs de lui faire des étagères dans le bois de noyer de son pays.

De retour au village, je cherche quelques cartes postales pour le souvenir. Les prises ne sont pas bonnes, il pleut […].

Je m'en retourne chez Nanou [Danielle Delaruelle-Depraz] qui m'a accueillie plusieurs jours dans sa grande maison, qu'elle a aménagée avec Xavier lorsque celui-ci a pris sa retraite de l'Opéra de Paris. Une belle maison, grande, claire. Nous l'écoutons (un disque). Sa voix de basse puissante remplit l'espace et nous pensons au destin de Rose…

Nanou est là dans son fauteuil, ses grands yeux noirs ravis, sa petite chienne à côté d'elle. Nanou qui a tant fait pour que le souvenir de Rose ne soit pas perdu. »

Françoise Flamant, 2000 (texte inédit).