Une vie quotidienne très difficile

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Les joies de l’été, « Voici enfin la saison où je pourrai économiser trois heures de pétrole par jour », 12 mai 1894, © collection particulière. 

Ce dessin montre un certain nombre d'inconvénients du travail à domicile. C'est un travail pénible, qui oblige les mères de famille (un berceau est au pied de la table) à veiller tard, et qui est mal payé (d'où le désir d'économiser le pétrole). Le thème du logement est abordé aussi avec la mansarde minuscule. Glacial l'hiver, trop chaud l'été, ce genre de logement entraîne des maladies que les bas salaires des ouvrières ne permettent pas d'éviter ou de soigner.

Le travail à domicile est considéré comme approprié pour les mères de famille. Bien que les femmes n'aient, en principe, pas à travailler car les salaires masculins doivent entretenir la famille, de très nombreuses femmes ne peuvent y échapper. La jeune femme dessinée par Steinlen est seule, comme la moitié des ouvrières en chambre, filles-mères ou abandonnées par le père de leurs enfants, célibataires qui prennent en charge leurs vieux parents, veuves ou divorcées. Elles travaillent jusqu'à 18 heures par jour et prennent le temps d'apporter et remporter la marchandise parfois très loin. Elles soufflent trois mois et plus pendant la morte saison (leur travail diminue fortement ou totalement) qui les réduit au chômage sans indemnité. Selon les auteurs de l'époque, elles sont alors réduites à la prostitution.  

Comme les salaires de nombreuses ouvrières sont très bas, le travail à domicile s'exerce très souvent dans des conditions sanitaires mauvaises et il est très mal rémunéré. Dans les témoignages de la fin du XIXe siècle et du début du XXe, quelques thèmes reviennent fréquemment : le logement, la maladie et des salaires dérisoires.

Une des questions récurrentes est celle du salaire. Salaires de misère ou de famine, les salaires des ouvrières à domicile sont au centre de nombreuses propositions pour améliorer leur sort. En effet, comment pousser les patrons à augmenter les salaires dans un régime économique capitaliste où rien ne peut les obliger à payer plus qu'ils ne désirent et où l'abondance de la main d'œuvre entraîne les rémunérations à la baisse. Les intermédiaires sont souvent également accusés. Des budgets types abondent dans les enquêtes de l'Office du Travail et dans de multiples publications.

Un logement souvent insalubre

"Quel contraste saisissant, quelle affligeante comparaison entre ces habitations encombrées, à l’atmosphère empoisonnée, aux émanations délétères, entre ces taudis misérables où des êtres humains – des femmes et des jeunes filles – élaborent patiemment, au péril de leur santé et quelquefois de leur existence, les objets gracieux qui seront la parure de l’élégance, du luxe et de la richesse, et le foyer idyllique, moral, bienfaisant, où l’imagination du poète et la conception du philanthrope se complaisent à ramener le travail à domicile ! Quel profond abîme entre le rêve et la réalité !"

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Sans titre, E. Soulier, collection CEDIAS date inconnue, photographie noir et blanc, Paris, Musée social, © Musée social.

Les enquêteurs soulignent la difficulté d’aérer les chambres pourvues d’une minuscule tabatière ou complètement aveugles. Dans ce cas, la lumière provient indirectement de la pièce voisine ou d’une cour étroite. Les visiteurs ressentent une véritable impression d’étouffement. Dans les spécialités bruyantes et nauséabondes comme la chaussure, les maisons sont isolées. Ce sont des masures à la limite des villes. Un autre élément du confort, surtout pour des femmes qui cousent, assises toute la journée, est le chauffage. Avoir une cheminée devient un rêve qui hante par exemple Jeanne Bouvier :

"Les chambres avec cheminée n’étaient pas à la portée de ma bourse. Je logeais toujours dans un cabinet sous les combles, éclairé par un vasistas, car les pauvres n’ont pas droit au chauffage. Le chauffage représentait pour moi un objet de luxe."

Les chambres sont petites, surpeuplées et encombrées de meubles, lits, table et chaises. Des lits pour deux ou trois enfants, des machines à coudre et des vêtements à coudre sur l’unique table, quelques bibelots, souvenir d’une époque plus favorable, tels sont ces logements décrits par les enquêteurs.

Voici le logement d’une ouvrière qui vit seule avec sa fille de onze ans, "très grande, d’une pâleur de cire, [qui] est certainement anémique au plus haut degré et indubitablement prétuberculeuse". Cette femme est assez jeune malgré un vieillissement précoce dû aux privations. Elle fait des finitions de chemises. Elle vit dans "un bouge de salubrité très mauvaise, avec un escalier sombre pendant trois étages, auquel succède une échelle de meunier : c’est là qu’habitent, au 4e étage, Mlle P. et sa fille ; elles occupent un taudis mansardé de moins de 7 m 303, ayant dans sa partie la plus haute 1m 90 et à peine 1 mètre auprès de la demi-fenêtre et une largeur maximum de 1m 90 à la hauteur du lit de fer (un lit de fer d’une personne) et 1m 50 dans la partie voisine de la fenêtre, sur une longueur totale de 2m 90".

Cette femme cumule tous les handicaps : elle est visiblement "fille-mère" (ce qui justifie l’appellation de Mademoiselle) et gagne en moyenne 1,75 F par jour pour 17 heures de travail. Mais elle n’est pas la seule à vivre de la sorte. Une lingère de 69 ans, pratique ce métier depuis vingt-cinq ans et travaille entre cinq et dix heures par jour. Elle travaille lentement et gagne très peu, 130 F par an. Son logement est vraiment sordide:

"Une pièce de 20 m3, soit 8 ou 9 m2 éclairée par une petite fenêtre, dans laquelle la saleté est repoussante, l’odeur infecte ; il y a des accumulations de chiffons, de vieilles boîtes, de vieilles bouteilles et de détritus de toutes sortes ; les souris pullulent ; une lampe à essence sert pour l’éclairage".

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Le danger de la tuberculose, Office français du travail à domicile, date inconnue, dessin, Angers, CAF, © CAF.

Des maladies graves et inévitables

Cette carte postale du fonds Cécile Brunschvicg met l'accent sur le danger de la contagion de la maladie la plus redoutable de l'époque, la tuberculose. Elle présente à gauche le résumé d'une vie de couturière à domicile, à droite, celui d'une femme aisée. L'ouvrière, tuberculeuse, transmet la maladie aux vêtements confectionnés et meurt de la maladie. La bourgeoise achète ces vêtements et tombe malade à son tour puis meurt.

Le XIXe siècle est marqué par la recherche de remèdes contre les maladies contagieuses, en particulier la tuberculose qui touche les habitants des logements confortables mais plus encore ceux des taudis. Les connaissances médicales attribuent la prolifération de la maladie au contact de vêtements ou d'objets manipulés par des malades. Il en est ainsi pour les vêtements fabriqués par des malades.

"Quant à l'hygiène et à la salubrité, la situation n'est pas toujours satisfaisante […]. Il y a pis chez ceux qui pratiquent le travail en chambre proprement dit : ce qui leur sert d'atelier est en même temps cuisine, buanderie ou chambre à coucher. Le fait a été observé un peu partout. Il n'y a pas jusqu'aux ateliers de tisserands qui ne se transforment quelquefois en chambres à coucher, sinon même en vrais dortoirs. L'hygiène n'y trouve pas son compte."

Les ouvrières sont réellement en mauvaise santé en raison des longues journées de travail dans des logements insalubres. Mal nourries, privées de repos par des journées interminables, elles ne résistent pas aux maladies. Elles adoptent des positions néfastes pour le dos, les jambes ou l'appareil digestif. Dans les années 1900, de nombreux immeubles sont dépourvus d'eau courante, généralement accessible dans la cour, parfois dans la rue. Se laver, même les mains, se révèle dès lors une opération difficile, quand bien même les mains demeurent la partie du corps la mieux lavée pour ne pas salir les étoffes blanches et les dentelles. Quant aux commodités, dans le meilleur des cas à mi-étage, elles se retrouvent aussi près du point d'eau, dans la cour et se transforment en cloaque dès qu'il pleut. Faute d'eau accessible, les logements des ouvrières et les escaliers sont sales et non entretenus. Ce mauvais état de l'habitation entraîne naturellement des conséquences sanitaires pour les occupantes.

Dans de pareilles conditions, la maladie du siècle, la tuberculose, fait logiquement des ravages.

Si la machine à coudre est accusée de multiples méfaits (stérilité, masturbation, paralysie des bras, etc.), d'autres maladies sont plus fréquentes. Des colorants qui entrent dans la fabrication des fleurs artificielles déclenchent ainsi de terribles allergies. Plus grave est l'exposition à l'aniline, qui donne une belle couleur rouge, mais empoisonne à petit feu celles qui portent les mains à la bouche sans les laver et respirent ces produits dangereux dans des chambres jamais aérées.

Comment lutter contre ces conditions sanitaires déplorables ? En évitant les achats du samedi soir qui obligent les ouvrières à travailler toute la nuit, conseille par exemple la Ligue Sociale d'Acheteurs.

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Le travail à domicile, ses misères, ses dangers, les moyens d'y remédier, Gabrielle Duchêne, 1914, secrétariat de l'Office français du travail à domicile, papier imprimé, © collection particulière.

Les raisons des bas salaires

Métiers d’hommes, métiers de femmes, la différenciation des sexes aboutit à des rémunérations qui vont du simple au double, comme le dénonce Gabrielle Duchêne.

Si les recensements de la fin du XIXe siècle ne distinguent pas nettement les femmes, c’est que le partage du travail avec les hommes n’est pas clair. Elles travaillent, au sens où elles reçoivent de l’argent et participent au revenu de la famille, mais elles font aussi bien d’autres tâches qui ne sont pas rémunérées. S’occuper des enfants, du ménage, de vieux parents, coudre et raccommoder les vêtements, préparer les repas et même "aider" à la ferme etc., rien de tout cela n’entre dans la qualification professionnelle féminine. Quand leur travail est reconnu, comptabilisé, il est toujours vu comme inférieur à celui des hommes. Tout concourt à une déqualification ou sous-qualification des professions à partir du moment où elles sont exercées par des femmes.

À domicile, les salaires ne sont pas assurés à la semaine comme pour les ouvrières d’atelier ou d’usine. Les ouvrières touchent des salaires à la pièce. Certains montants peuvent sembler conséquents mais rapportés au nombre de jours et de mois de pleine activité, il n’en est rien. Presque toutes ces ouvrières connaissent des périodes de chômage plus ou moins longues, parfois la moitié de l’année. C’est pourquoi les spécialistes de la fleur sont souvent également plumassières pour éviter le chômage. Il leur est impossible de faire suffisamment d’économies pour affronter la période chômée. Des salaires de 100 à 400 fr. ne peuvent en effet suffire à des ouvrières dont les dépenses, en se privant sur tout, s’élèvent à 900 à 1200 fr. selon les auteurs.

Les salaires des ouvrières à domicile sont donc très variables.De grandes différences existent donc entre ce que gagne une modiste qui travaille des plumes précieuses et la tâcheronne qui aligne les kilomètres de draps et de taies pour arriver à gagner un morceau de pain. Le salaire de la seconde ne dépasse pas 0,75 fr. à 1 fr. par jour, soit l'équivalent de deux kilos de pain, alors qu’il peut atteindre facilement 5 à 6 fr., et parfois plus, pour la première.

Qu’est-ce donc qu’un salaire de femme ? À une époque qui considère le salaire masculin comme suffisant pour nourrir sa famille, que reçoivent les femmes pour un travail qui les occupe au moins autant, quand ce n’est pas plus, que les hommes ? Est-ce un salaire d’appoint ? L’expression scandalise Jeanne Bouvier:

"Salaire d’appoint, je ne sais pas pourquoi on appelle salaire d’appoint le salaire à domicile puisqu’il demande 10, 12 heures et plus puisque le temps dépasse le temps passé dans un atelier. C’est une journée longue pour un minimum de salaire. Dans un ménage d’ouvriers où l’homme ne gagne pas suffisamment, la femme fait une journée plus longue que celle du mari."

La faiblesse des salaires féminins répond à une certaine logique. Mais en cette fin du XIXe siècle, ils sont effroyablement bas et condamnent souvent les femmes à la misère. L’expression "À travail égal, salaire égal" fait alors son apparition.

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Une leveuse de dentelles dans le Massif central en 1900, éd. Arsère et Démo, collection Il était une fois l'Auvergne1907, © collection particulière.

Indispensables intermédiaires

Mise en scène comme la photo des dentellières, une femme bien mise, portant chapeau, achète des dentelles à des femmes qui se sont bien habillées pour l'occasion. Au premier rang, des carreaux de dentelles avec leurs fuseaux. Dans la réalité, cela ne se passe pas ainsi. Certaines leveuses se déplacent dans les villages isolées et achètent sur place, individuellement (pour que les ouvrières ne connaissent pas les salaires des autres et parce qu'elles ne peuvent se déplacer). Des dentellières se présentent directement à l'usine où d'autres ouvrières les accueillent, vérifient la marchandise et paient les ouvrières les unes après les autres, sur la « banque » de réception.

Entre les ouvrières et les patrons ou les grands magasins qui leur achètent ce qu'elles ont fabriqué, se trouve une catégorie peu appréciée, mais qui semble néanmoins indispensable : les intermédiaires. Elles s'appellent entrepreneuses, entrepositaires, leveuses (pour la dentelle) mais leur rôle est partout identique : elles font le lien entre celle qui fabrique et celui ou celle qui achète. Ce sont elles qui choisissent les ouvrières, leur procurent la marchandise, vérifient le travail et les paient. Elles livrent ensuite les vêtements ou objets, tout en étant responsables de leur qualité. Elles ont mauvaise presse car elles ont la réputation de s'enrichir sur le dos des ouvrières. Les avis sont pourtant partagés. Entre les très petites intermédiaires qui gagnent aussi peu que leurs ouvrières et se retrouvent ouvrières elles-mêmes si les affaires ralentissent et les grandes entrepreneuses qui ne cousent plus et exploitent des dizaines de travailleuses, le fossé est grand. Certains patrons essaient de s'en passer, mais chercher des travailleuses constitue une la perte de temps. Ils préfèrent donc s'en remettre à des intermédiaires pour éviter de payer eux-mêmes les salaires.

Les entrepreneuses sont accusées de peser lourdement sur les salaires des ouvrières dont elles prélèvent une partie. Les témoignages des entrepreneuses elles-mêmes sont rares car elles craignent de répondre aux questions des enquêteurs et d'être confrontées au fisc.

De nombreuses intermédiaires sont dans l'illégalité. Elles emploient des ouvrières épisodiquement et sans les déclarer. Des ouvrières modestes rêvent de devenir, un jour ou l'autre, entrepreneuse d'une voisine ou amie avec qui elle partagerait le bénéfice. Elles rêvent de fins de mois moins difficiles et même d'une certaine aisance. Ainsi Florise Bonheur, petite couturière affamée dans les ruelles de Montmartre, devient entrepreneuse et regarde de haut celles qui travaillent pour elle, oubliant qu'elle fut à leur place.

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Enquête sur le travail à domicile dans l'industrie de la lingerie, collectif, 1907, Paris, BMD, © BMD.

Budget de famille

Ouvrière vivant seule

Dépenses pour 1904

Pain

130 kg à 0 fr. 40

52,00

Pommes de terre

 

10,40

Graisse

 

10,40

Vin

52 litres à 0 fr 25

13,00

Lait

416 litres à 0 fr.30

124,80

Œufs

52 douzaines à 1 fr.20

62,40

Pétrole

80 litres à 0 fr.55. Acheté par ½ 0 fr 30

48,00

Alcool à brûler

52 litres

26,00

Loyer

 

200,00

Total

 

547,00

 

Recettes pour 1904

Gain

 

245 fr 20

Secours de l’A.P.

 

130 fr

Secours d’une société charitable

 

50 fr

Total

 

425 fr


Le déficit est de 121 fr 80.

Ce budget, bien qu'en déficit, ne comprend pas toutes les dépenses, par exemple, la dépense de charbon pour le chauffage et les menues dépenses d'entretien. Il est, en somme, plutôt théorique que réel ; établi sur une semaine, il montre ce qui serait strictement nécessaire à cette ouvrière. Mais il est des semaines où il est réduit. Certains jours, l'ouvrière dont il est ici question se couche sans manger, même du pain. Des amis lui donnent toutes les semaines un bifsteck (sic) de cheval de 75 centimes, ce qui lui permet de manger un peu de viande. Elle doit 150 francs (50 francs à des amis et deux termes au propriétaire). Pour les vêtements, des amies lui donnent ceux qu'elles ont porté quelque temps ; de sorte que, dans sa misère, elle se trouve mise avec une élégance relative. Son enfant est habillé par la crèche.

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Enquête sur le travail à domicile dans l’industrie de la lingerie, collectif, 1907, papier imprimé, Paris, BMD, © BMD.

Seconde ouvrière :

L'ouvrière LIII a un budget bien différent et plus étoffé. Elle gagne 275 fr. 88, son mari 900 fr. et son fils 1470 fr., ce qui fait 2646 fr. 88.
Les dépenses concernent le pain, la viande, le poisson, le lait, le beurre, les œufs, l'huile, les légumes divers, les fruits, le fromage, le vin, le café, le loyer, l'éclairage, le charbon de bois et de terre, les vêtements, le blanchissage, le médecin et les médicaments, le journal, les distractions et l'argent de poche (en partie pour le fils), 2593 fr. 50.
Il reste donc 53 fr. 38.

Mais il y a un déficit qui ne se voit pas ici. L'état de santé du mari l'oblige à faire une assez grande consommation d'œufs et de lait, ce qui contribue à obérer le budget. En outre, un petit-fils de 8 ans (enfant du fils aîné mort à 28 ans facteur à la gare d'Orléans) occasionne quelques dépenses en venant déjeuner le jeudi et parfois le dimanche ; il faut aussi de temps en temps lui acheter un vêtement ou des chaussures.

Introduction à l'étude :

Cette ouvrière, robuste femme de cinquante-deux ans, a toujours exercé la profession de l'ingère. Depuis plusieurs années elle fait, pour le Magasin central de l'Assistance publique, diverses pièces et plus spécialement des chemises d'enfant en toile de fil et en toile de coton. Ces chemises lui sont données coupées ; elle les livre complètement terminées, partie à la Amin, partie à la machine. Leur prix varie, selon l'âge (neuf mois à quinze ans), de 20 à 60 centimes pièce.

L'ouvrière travaille régulièrement neuf heures par jour. Elle chôme une quinzaine par trimestre pour cause d'inventaire. Son salaire annuel, pour 250 jours environ de travail, s'élève à 300 francs, sur lesquels elle soit déduire 23 francs pour le fil, les aiguilles et l'outillage. (Cette ouvrière n'a pas de dépenses spéciales d'éclairage pour son travail, la lampe de ménage suffit à ses courtes veillées d'hiver). Il lui reste 277 francs, soit un gain journalier de 1fr. 108 ou 0fr. 123 de l'heure.

Son mari, cocher-livreur, a perdu il y a deux ans, la place qu'il occupait depuis vingt ans, par suite de la substitution de la traction mécanique à la traction animale ; de ce chef, son gain est tombé de 2.040 francs à 900 francs par an. Le ménage a un fils, homme de peine, qui est payé 45 centimes l'heure et employé toute l'année ; avec ses heures supplémentaires, il gagne environ 1470 francs par an.

Cette famille occupe le premier étage d'un pavillon situé dans la grande cour d'une maison ouvrière du quartier de la Gare. Son logement, d'un loyer annuel de 300 francs, se compose de deux pièces, d'une entrée et d'une cuisine. La pièce qui sert d'atelier est de dimensions assez restreintes ; elle est éclairée par deux grandes fenêtres et garnie d'un mobilier ordinaire, dont un lit pliant. Le logement est tenu très proprement."

Deux budgets d’ouvrières en 1907 présentés par l’Office du travail qui publie entre 1907 et 1914 trois ouvrages sur le travail féminin à domicile, l’un sur la lingerie (3 volumes), le deuxième sur la fleur artificielle et le troisième sur la chaussure. Les deux textes sont dans le premier volume  de la Lingerie et présentent le cas de deux ouvrières parisiennes, l’une très pauvre, l’autre ayant un niveau de vie plus équilibré grâce aux trois salaires du ménage.