Yvette Roudy, née Saldou

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Yvette Roudy à Pessac,, anonyme, , 1931, Angers, CAF, © Yvette Roudy. 

Le parcours d'Yvette Roudy, militante socialiste et féministe, est remarquable en raison de sa trajectoire sociale ascendante, ce qui est finalement assez rare dans la vie politique, même à gauche.

Fille de Jeanne et Joseph Saldou, elle est née à Pessac, en Gironde, le 10 avril 1929, dans un milieu très modeste. Son père, ouvrier dans la métallurgie, est revenu de la guerre de 1914-1918 avec une pension d'invalidité et est devenu employé de la ville de Pessac. Il est proche de la SFIO. Yvette a développé un caractère indépendant, réagissant contre la formule de ses parents, « Ça, ça n'est pas pour nous » et contre l'autorité paternelle. Sa mère décède d'un cancer alors qu'Yvette n'a pas 12 ans. Elle a un frère, Pierre, et une sœur, Simone.

Elle obtient son certificat d'études mais son père refuse qu'elle aille au lycée. Elle apprend alors dans une école pratique la sténographie et devient secrétaire-comptable dans une conserverie de poisson bordelaise.

En 1948, à 17 ans, elle rencontre Pierre Roudy, âgé de 18 ans, lycéen, qui travaille à la poste la nuit. Il sera son pygmalion. Ils se marient le 16 juillet 1951 et partent à Glasgow pour trois ans, ce qui permet à Yvette de perfectionner sa connaissance de l'anglais. De retour à Bordeaux en 1955, Yvette réussit son baccalauréat et prend un emploi dans une compagnie américaine. Quand cette compagnie se déplace à Paris en 1956, le couple décide de s'y installer. Pierre, qui organise des activités théâtrales au lycée où il enseigne l'anglais, présente une pièce adaptée par Colette Audry. En 1963, Colette Audry, intellectuelle, éditrice, propose à Yvette Roudy de traduire The Feminine Mystique, de Betty Friedan, et lui fait découvrir le Mouvement démocratique féminin qu'elle rejoint en 1964. Cet engagement militant lui permet de rencontrer l'autre femme qui a marqué sa vie : Marie-Thérèse Eyquem. A l'automne 1965, elle fonde un journal bi-mensuel, La femme du XXe siècle, édité par le MDF, dont elle restera directrice jusqu'à sa disparition en 1971, à la suite à la fondation du nouveau Parti socialiste.

1965 : Yvette Roudy devient « journaliste », et débute une riche carrière militante, tout en protégeant le domaine privé, où demeure la présence discrète de son mari-compagnon, Pierre Roudy. 

L'héritage familial

L'ouvrage autobiographique d'Yvette Roudy, A cause d'elles, publié pendant qu'elle était ministre des Droits de la femme, commence par ces mots : « A seize ans, j'entrai comme dactylo dans une conserverie de poisson ». Avec humour, elle aurait pu titrer l'ouvrage Fille du peuple, pour parodier Maurice Thorez. Mais il n'y a point d'ouvriérisme dans le propos. Et au contraire, elle assume sa farouche volonté de refuser le destin social qui attend les enfants de sa condition, et, double refus, le destin spécifique des filles.

« N'avais-je pas entendu tout au long de mon enfance et de mon adolescence cette phrase résignée qui me fait encore bondir : « Ça, ça n'est pas pour nous ! » Mon père et ma mère n'arrêtaient pas de la répéter et je ne la comprenais pas. Ni à huit ans, ni à quatorze ans, ni à dix-sept ans. Je crois que je ne la comprendrai jamais. Je suis convaincue que mon engagement politique vient de cette opiniâtreté à ne pas vouloir admettre que certaines choses soient interdites à beaucoup, autorisées à quelques uns », raconte-t-elle.

Son père lui ne se pose pas de questions, explique-t-elle. Il entre à l'usine à 12 ans, subit la guerre, est blessé à Verdun, et trouve un modeste emploi pour invalide dans la banlieue de Bordeaux. Sa mère, Jeanne Dicharry, fille de pauvres métayers, a appris le respect craintif du maître, « Lou Moussu », propriétaire tout puissant des terres. Elle meurt prématurément.

La famille demeure soudée autour du pater familias – « Qui est le maître ici ? » - mais perturbée par les ennuis du père avec le maire, son employeur, puis par sa fuite vers des plaisirs extérieurs à la maisonnée. Yvette Roudy refuse très tôt de jouer la ménagère idéale, se cache pour lire, et n'a d'autre issue que de s'inscrire dans une école pratique.

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Pierre et Yvette Roudy boulevard du Montparnasse, Paris, anonyme, 1978, photographie noir et blanc, Angers, CAF, © Yvette Roudy.

Répondant à une étudiante, Elise  Roullaud, sur la discrétion avec laquelle elle traite sa vie privée :

«  Les journalistes essaient toujours de rentrer chez vous. Je ne me  souviens pas de ce qui s'est passé. Mais lui il n'est pas intéressé par  la politique et de façon assez classique, si vous voulez, on ne mélange  pas les choses. Je pense qu'il ne faut pas. Cette façon de certains  hommes politiques d'amener leurs épouses par la main, de les mettre en  avant, ça ne me paraît pas une bonne chose et c'est très mauvais pour  eux parce que de toute façon il y a une personne qui est exposée, en  représentation, et les autres ou bien ce sont des faire valoir ou bien  c'est de la décoration, ce n'est pas agréable pour eux. Il y a  d'ailleurs beaucoup d'épouses d'hommes politiques qui en souffrent. […]  Je reconnais que pour un homme politique c'est un avantage quand on a  une femme qui vous aide, qui vous met en valeur. Mais les femmes  politiques en général, non, parce que ce n'est pas dans les « rôles  sociaux ».

Colette Audry, amie et mentor

Colette Audry (1906-1990) est une rencontre capitale pour Yvette Roudy. Ecrivaine, enseignante, intellectuelle, éditrice, amie de Beauvoir, ancienne résistante, femme libre dans sa vie personnelle, elle a tout pour fasciner la jeune femme. Colette Audry est aussi une militante socialiste, poperéniste. Lorsqu'Yvette Roudy la rencontre, Colette Audry a rejoint le PSU.  Féministe, elle aussi très active au Mouvement démocratique féminin et dirige la collection Femmes chez Denoël-Gonthier.

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Yvette Roudy avec Colette Audry et Martine Buron au congrès de Bourg-en-Bresse du PS, anonyme, 1983, photographie couleur, Angers, CAF, © Yvette Roudy.

Mariée peu de temps, mère d'un fils né pendant l'Occupation, elle ne refuse pas la maternité, contrairement à Beauvoir, et elle privilégie ses amours avec des femmes (ce qui resurgit dans son œuvre avec La Statue et puis l'adaptation d'Olivia au cinéma). Son rôle au Mouvement démocratique féminin est important : c'est l'apogée de son investissement féministe, car un peu plus tard, elle ne se sentira pas en phase avec le MLF et considérera la lutte des classes comme prioritaire.

Colette Audry confie à Yvette Roudy sa première traduction importante, celle du livre de l'Américaine Betty Friedan, The Feminine Mystique (1963), qu'elle traduira sous le titre La femme mystifiée (1964). Elle traduit par la suite Ma Vie d'Eleanor Roosevelt (1965) et La Place des femmes dans un monde d'hommes d'Elizabeth Janeway (1972). Yvette Roudy peut quitter son emploi et se consacrer au travail intellectuel.

La femme mystifiée, qui a fait sensation aux Etats-Unis, est considéré comme une base du renouveau du féminisme outre-atlantique.  Yvette Roudy trouve qu'il lui manque une dimension politique, mais est tout de même impressionnée par le problème qu'il pose, celui de la femme qui souffre "de vivre au-dessous de ses capacités".