Féminisme et socialisme
Il y a une grande constance dans l'engagement féministe d'Yvette Roudy, depuis ses premiers pas au Mouvement Démocratique Féminin, association dont la naissance en 1962 annonce la fin du creux de la vague, comme, un peu plus tôt (1956) le Planning familial. Au sein du PS, elle mène une rude bataille contre le machisme politique en s'appuyant sur la tendance majoritaire, menée par François Mitterand. La lutte pour une meilleure représentation des femmes à tous les niveaux de responsabilités passe d'abord par la politique des quotas, puis par la parité. Aujourd'hui encore, Yvette Roudy saisit toutes les occasions médiatiques de défendre les droits des femmes, notamment à la tête de l'Assemblée des femmes.
Yvette Roudy n'agit pas en isolée. Le féminisme est un combat collectif : au sein des partis, dans des associations, et il est soutenu également par des amitiés. Lorsqu'elle est au ministère, elle reçoit une fois par mois à dîner ses amies féministes.
Sur cette photo de 1984, on reconnaît : à gauche, Colette Audry. Kate Millett (née en 1934) est une des plus célèbres féministes états-uniennes, dont la thèse, Sexual Politics (1970) a été traduite en français sous le titre La Politique du mâle. Devenue écrivaine, elle soutient dans sa ferme communautaire les femmes artistes. Simone de Beauvoir (1908-1986) est là, apportant aux féministes un soutien sans faille, jusqu'à la fin de sa vie. Sylvie Le Bon de Beauvoir, sa fille adoptive, est toujours à ses côtés. Anne Zelensky (née en 1938), professeure d'espagnol et féministe de la première heure, passée à une action plus pragmatique que celle du MLF qui se concrétise dans l'action de la Ligue des Droits des femmes, dont Simone de Beauvoir est la présidente d'honneur. A droite, Michelle Coquillat, essayiste et conseillère très proche d'Yvette Roudy.
Yvette Roudy en commentant cette photo déclare en 2008 :
« C'est Simone de Beauvoir qui faisait la liste des invitées et choisissait le menu. Il y avait toujours sa fille adoptive Sylvie, Anne Zelensky et Colette Audry. Quelqu'un venait faire la cuisine. Il n'y avait pas d'ordre du jour, pas de discussions trop sérieuses. C'était un moment de détente entre copines. On rigolait bien ».
François Mitterrand : un maître en politique
François Mitterrand en donnant à Yvette Roudy un poste ministériel en 1981 choisit une socialiste loyale à son égard, membre depuis 1973 du comité directeur du PS où elle a organisé le secteur Formation, secrétaire nationale à l'Action féminine (depuis 1977).
Elle dit de lui : « C'est un grand maître en politique, c'est un génie, visionnaire, j'ai beaucoup appris avec lui. J'ai appris qu'il faut imaginer ce qu'un projet peut donner dans le futur avant de commencer. Ça m'a beaucoup aidée quand j'étais maire à Lisieux, quand j'ai lancé des grands projets (médiathèque, gros travaux) j'ai toujours imaginé ce que cela pourrait donner dans le futur. C'est une des grandes leçons que je me suis entendue répéter. Je lui ai souvent entendu dire que quand on a échoué il faut repartir. […] Naturellement, quand vous avez un enseignement, tout passe au filtre de votre propre personnalité, donc ça ne donne pas exactement la même chose. […] Donc l'effort, le travail permanent, […], il nous faisait travailler sans arrêt, sans arrêt […]. Et la patience, le sens de la négociation, le sens de l'écoute, le sens de la réflexion, ne pas se précipiter, moi je suis quelqu'un d'assez impatient, avec lui j'ai appris le sens de la mesure. La réflexion, écouter les gens, prendre le temps, la gestion du temps… ».
Bénéficiant de la confiance de François Mitterrand, Yvette Roudy dispose d'un certain pouvoir au sein du parti. On la voit sur cette photo parmi les dirigeants, pour la plupart masculins, du PS en 1983 : Pierre Mauroy s'installe. Sur sa droite, Lionel Jospin (Premier secrétaire) semble lui parler. Pierre Joxe (président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale) parle à Yvette Roudy. Celle-ci a une main posée sur son bras, geste indiquant une proximité. Derrière eux, Jean Poperen est en discussion avec Robert Savy. Au fond à gauche, on aperçoit Françoise Seligmann ancienne résistante et future sénatrice, figure importante de la Ligue des Droits de l'Homme et proche d'Yvette Roudy.
Pour retrouver le travail de Pascal Lebrun, photographe professionnel : http://www.lebrun-photo.com
La politique des quotas
En 1974, le premier quota est adopté et fixé à 10 %. Mais dans les scrutins de liste, « les femmes-quotas tombent au fond de la liste comme les raisins au fond du cake », pour reprendre l'image de Denise Cacheux. C'est cette dernière qui remplace Marie-Thérèse Eyquem comme déléguée à l' « Action féminine » en 1975, alors que Marie-Thérèse Eyquem est chargée des organismes associés et associations. En 1977, au congrès de Nantes, humiliation: alors que le nouveau quota, proportionnel au nombre d'adhérentes, devrait être fixé à 20 %, Pierre Mauroy l'impose à 15 %. Beaucoup de femmes socialistes se révoltent, ce qui facilite l'organisation d'une Convention nationale du PS sur les « droits des femmes » le 15 janvier 1978. Marie-Thérèse Eyquem tente d'y modérer les ardeurs féministes des plus jeunes, telle Françoise Gaspard.
En 1979, le courant A majoritaire soutenu par Yvette Roudy et Colette Audry prône « une représentation égale à 20% au moins dans les instances du parti ». Le quota est atteint à l'issue de ce congrès : 25 femmes siègent désormais au comité directeur, dont 5 féministes, et 3 femmes sont au secrétariat national. Un secrétariat aux luttes des femmes est créé (Véronique Neiertz). La pression féministe continue : le courant 3 estime que seule la proportion de 50 % est acceptable. Le parti acceptera finalement un quota de 30 %, pour les élections européennes de 1979. Mais aux élections européennes de 1984 et 1989, ce quota n'est plus respecté.
En 1998, le PS en reste au quota de 30 % à la fois pour ses instances dirigeantes et pour les élections au scrutin de liste. A l'heure de la parité, le PS s'impose « au moins » 40 % de femmes.
Le combat pour la parité
L'aspiration à une répartition du pouvoir égalitaire, efficacement soutenue par le gouvernement Jospin, se traduit par une révision de la constitution en 1999 et par le vote de la loi sur la parité en 2000.
A la suite de la cuisante défaite de 1993, marquée par un vote-sanction des électrices, le PS s'est ouvert, par étapes, à une évolution. La liste paritaire aux Européennes conduite par Michel Rocard en 1994 est une grande première, partagée avec les Verts, le Mouvement des citoyens et le PCF (mais cette année-là, le quota interne n'a pas été respecté et le poste de secrétaire nationale chargée des droits des femmes a disparu). Il faut bien reconnaître que la féminisation est plus facile lorsqu'il s'agit d'un scrutin de liste, et que l'enjeu n'est pas la représentation nationale. En 1997, l'innovation est de taille avec la fixation d'un quota de 30 % de candidates dans des circonscriptions réservées.
Mais de quoi ont-ils peur ? : c'est le titre d'un ouvrage critique d'Yvette Roudy qui s'inquiète, en 1995, du « vent de misogynie qui souffle sur la politique ». Elle se jette dans le combat paritaire, où elle retrouve d'autres femmes socialistes : Françoise Gaspard, locomotive du courant féministe en 1978-1979, qui a publié dès 1992 avec Anne Le Gall et Claude Servan-Schreiber Au pouvoir citoyennes : Liberté, égalité, parité. Le mouvement paritaire s'est appuyé sur l'indiscipline partisane des femmes politiques, au-delà de ce qui les sépare : des femmes de gauche et de droite, fait rare dans l'histoire politique de ce pays.
Yvette Roudy a continué son activité en faveur des femmes et a joué un rôle important dans la parité. Elle a initié les rencontres d'éminentes femmes politiques, qui aboutissent à la célèbre couverture de L'Express du 6 juin 1996, où l'on voit dix femmes élues qui avaient occupé des postes importants, cinq de gauche, cinq de droite. Huit pages sont consacrées à l'historique et la sociologie de la question, un manifeste des dix femmes élues soutenant la parité.
L'assemblée des femmes
Yvette Roudy a fondé en 1992-1993 cette association (qui emprunte son nom à la pièce d'Aristophane) avec Denise Cacheux, Marie-France Casalis, Françoise Durand, Françoise Laurant, Josy Poueyto, Gisèle Stiévenard, Jeanne Vidal, Wassila Tamzali, Anne Zelensky.
Le site de l'Assemblée des femmes en donne la présentation suivante :
« L'Assemblée des Femmes a pour objectif de promouvoir l'accès à parité des femmes et des hommes dans les lieux de décision politique et de défendre les droits des femmes dans tous les domaines.
Ouverte sur la société, souple dans ses structures, l'Assemblée des Femmes recherche le dialogue, établit des relais, des lieux de formation et d'échanges.
Elle a comme volonté permanente de peser sur les instances et les orientations politiques, d'alerter l'opinion.Elle s'appuie sur la laïcité, valeur fondatrice de notre démocratie qui se révèle être la meilleure arme contre tous les intégrismes, véritables carcans pour les femmes.
L'Assemblée des femmes a pour objectif d'inscrire la parité dans la constitution et les institutions, tant en matière politique et sociale, qu'économique.
Elle se propose de favoriser et de promouvoir les candidatures de femmes de progrès à toutes les élections (municipales, législatives, européennes).
Elle développe la coopération avec tous les groupements qui partagent ses objectifs au plan local, national, européen, international.Elle s'associe à tous les combats pour la reconnaissance des droits à l'égalité sociale, professionnelle, culturelle, pour la lutte contre les atteintes à l'intégrité corporelle et contre toutes les oppressions.
A long terme, il s'agit de modifier la conscience sociale en faisant prévaloir l'intérêt des femmes. Leur entrée dans les lieux de pouvoir, orientation prioritaire de l'Assemblée des Femmes, ne peut que favoriser le développement d'une autre approche de la Politique ».
Manifeste des dix pour la parité
Extrait de L'Express, 6 juin 1996.
[...] Une pratique renouvelée du pouvoir et de la démocratie ne sera possible que soutenue par une volonté et une pression politique sans faille. L'objectif est d'arriver, par étapes, à la parité. Pour y parvenir, voici les mesures que nous proposons :
- Une politique volontariste des partis, du gouvernement et des associations féminines conjugués. Les pays nordiques montrent l'efficacité de cette attitude. Quand il le faut, ils n'hésitent pas à utiliser les quotas. Sans cet aiguillon, il y aura toujours de bonnes raisons de ne rien faire. L'adoption d'un scrutin proportionnel, même partiel pour les législatives, renforcerait cette obligation de quotas. En tout état de cause, il faudrait atteindre le seuil significatif du tiers des élus de chaque assemblée concernée.
- Limitation drastique du cumul des mandats et des fonctions, pour un meilleur partage et exercice du pouvoir. Cette limitation permettra de dégager plusieurs milliers de sièges.
- Financement des partis politiques en fonction du respect de la parité de leurs instances dirigeantes et de leurs élus.
- Nomination volontaire à des postes de responsabilité qui dépendent de l'état et du gouvernement, en se fondant sur le principe de parité.
- Adoption d'une législation sur le sexisme comparable à celle sur le racisme, permettant aux associations de droits de l'homme et de la femme ainsi qu'aux individus d'ester en justice civilement ou pénalement.
- Et s'il faut modifier la Constitution pour introduire des discriminations positives, nous y sommes favorables, comme l'est, nous en sommes persuadées, la majorité de nos concitoyens.
- Alors, sur ce sujet, pourquoi pas un référendum ?
Michèle Barzach, Frédérique Bredin, Edith Cresson, Hélène Gisserot, Catherine Lalumière, Véronique Neiertz, Monique Pelletier, Yvette Roudy, Catherine Tasca, Simone Veil.