1981-1986 : ministre des Droits de la femme
Après le 10 mai 1981, Pierre Mauroy, nommé Premier ministre, propose à Yvette Roudy, un « ministère des Droits de la femme », plus important donc que le secrétariat à la Condition féminine créé par Valéry Giscard d'Estaing en 1974. L'appeler « des droits de la femme » évoque les « droits de l'homme » de 1789, dont la résonance est grande dans la culture française. Ce ministère inspirera des féministes à travers le monde et donnera même naissance à un néologisme en anglais : "femocrat" ou fémocrate en français, de "féministe" plus "bureaucrate" (fonctionnaire, c'est-à-dire femme d'Etat). Pour Yvette Roudy, ce ministère sera celui du « déconditionnement ».
Son budget (92 millions de F en 1982 et 129 millions en 1986) permet une politique volontariste basée sur une meilleure diffusion de l'information et l'aide aux associations. Quelques projets de loi aboutissent, d'autres échouent, comme la loi antisexiste. La loi sur l'égalité professionnelle qui porte son nom reste en partie lettre morte, faute de moyen de coercition sur les entreprises ou administrations.
Simple ministre déléguée, Yvette Roudy devient en 1984 ministre à part entière, mais en 1986, après la victoire de la droite, le nouveau Premier ministre, Jacques Chirac, démantèle le ministère, qui redevient un secrétariat d'Etat moins politique.
Formée par son expérience ministérielle, Yvette Roudy, appuyée par François Mitterrand, se voit proposer, par le PS une circonscription difficile mais gagnable à Lisieux.
Améliorer l'information des femmes
Avec un ministère qui dispose d'un budget dix fois plus important que celui du précédent secrétariat, Yvette Roudy dispose de moyens importants.
Elle commence par une campagne nationale de publicité pour la contraception par des « spots » télévisés. Elle demande à la cinéaste Agnès Varda un court métrage sur ce sujet tabou. Fin 1981, chaque soir, la télévision diffuse cette publicité pour la contraception, et la campagne est bien reçue.
Plus difficile à obtenir, le remboursement de l'IVG, auquel s'opposent plusieurs ministres. Yvette Roudy finit par convaincre le président de la République qu'il s'agit d'une mesure de justice sociale et que cela ne fera pas de l'IVG un moyen de contraception.
Un Centre d'information sur les droits des femmes est ouvert à Paris, rue du Jura, dans le 13e arrondissement. On y trouve les plaquettes du ministère : « Contraception, informez-vous. Aujourd'hui chacun doit pouvoir choisir ».
En 1982, une commission nommée par Yvette Roudy présente en 1982 un rapport très important, Les Femmes en France dans une société d'inégalités, base de maintes réformes, et un Guide des droits des femmes paraît. 136 centres de consultation pour conseiller les femmes sur leurs droits existent alors dans toute la France.
Le féminisme d'Etat a aussi une dimension culturelle. En février 1984, en compagnie de Simone de Beauvoir (1908-1986) et de Delphine Seyrig (1932-1990), Yvette Roudy inaugure le Centre Simone de Beauvoir.
L'objectif de ce centre est de mobiliser toutes les ressources audiovisuelles sur le mouvement des femmes et le féminisme… La philosophe féministe est présente : le visage souriant, dégagé par son traditionnel turban, elle partage le verre de l'amitié. Yvette Roudy soutient également la création artistique dans les arts plastiques à travers la fondation Camille. Les études féministes connaissent un début de reconnaissance étatique, avec la création de trois postes spécialisés dans les universités (les autres créations promises n'auront finalement pas lieu) et le lancement d'une action thématique programmée du CNRS sur les femmes qui permet le financement de projets en sciences humaines.
L'échec du projet de loi antisexiste (1983)
Toutes les initiatives d’Yvette Roudy ne se sont pas traduites par des succès. La proposition d’un quota d’au moins 25 % des personnes de l’un ou l’autre sexe sur toutes les listes électorales est refusée en 1983 par le Conseil Constitutionnel qui trouve la mesure discriminatoire. La proposition de réforme de la langue française pour féminiser les noms de métier et de fonction soulève beaucoup d’hostilité. L’Académie française est au premier rang des détracteurs de la commission de féminisation, présidée par l’écrivaine féministe Benoîte Groult.
L’échec du projet de loi antisexiste est l’échec le plus médiatisé, sans doute parce qu’il s’en prend aux médias. La ministre veut introduire un délit de sexisme, à l’instar de la loi de 1972 sur le racisme. Si le constat d’une image parfois dégradante, sous couvert d’humour, provoque un relatif consensus, l’arsenal répressif suscite une levée de boucliers des publicitaires, de nombreux éditorialistes et journalistes qui n’y voient qu’une mesure « liberticide », sorte de « politiquement correct » avant l’heure qui nuirait au débat démocratique. La polémique s’enflamme, et Yvette Roudy ne prend pas la mesure du rapport de force en action. La presse se déchaîne. Au clivage habituel gauche/droite s’ajoute une forme de « coalition de circonstance » associant caricaturistes et humoristes.
Attaquée de toute part, y compris sur son aspect et sa personne et pas seulement pour sa politique, lâchée par l’Elysée et Matignon, Yvette Roudy doit faire marche arrière, et abandonne à regret ce texte qu’elle a pourtant présenté en conseil des ministres.
Elle y voit le signe du « machisme » politique à l’état brut, qui en dit long sur l’état de la société française. Cet échec est la plus grande déception qu’a éprouvée Yvette Roudy.
"Mon métier, c'est ma liberté"
En 1983, Yvette Roudy brandit le symbole féminin que lui ont offert des élèves de CAP "ajusteuse et mécanicienne". Haut de 60 cm et très lourd, ce trophée porte sur son socle l'inscription : "mon métier, c'est ma liberté". Yvette Roudy, entourée sur cette photo des jeunes filles de cet établissement professionnel et de leur professeure, a tout particulièrement à cœur l'orientation des filles dans des voies non traditionnelles, pour qu'elles ne restent pas prisonnières d'un nombre très limité de métiers.
En 1983, Yvette Roudy lance une nouvelle campagne pour l'égalité professionnelle - « Supprimons les obstacles » - avec la seule signature du ministère des Droits de la femme. L'affiche représente le départ d'une course d'athlétisme mettant sur la même ligne de départ un homme et une femme. Le premier a devant lui un couloir vide alors que la seconde a une dizaine d'obstacles à franchir., symboles des difficultés rencontrées par les femmes dans leur parcours professionnel. « Les femmes n'exercent que 30 types d'emploi soit dix fois moins que les hommes ».
La loi sur l'égalité professionnelle, parue au JO du 14 juillet 1983 après deux ans de préparation, est aussi associée au nom d'Yvette Roudy. Elle exige que les grandes entreprises fournissent un rapport annuel sur situation des femmes dans leur personnel et s'engagent dans des « contrats pour l'égalité » négociés. D'autres mesures seront nécessaires pour limiter la pratique consistant à masquer les inégalités par des descriptions différentes de travaux similaires, mais cette loi marque tout de même une étape vers l'égalité.