Les Amazones, un mythe ?

Auteure : Sebillotte Cuchet, Violaine
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Fig. 1. Héraclès combattant des Amazones, amphore à col attique à figures noires, vers 520 av. J.-C. Metroplitan Museum of Art, New York, Purchase, Christos G. Bastis Gift, 1961, inv. 61.11.16.

On utilise aujourd’hui le terme d’Amazones pour parler de femmes rebelles et indépendantes qui rejettent la domination masculine, qu’elle soit politique, sociale ou sexuelle. Le terme renvoie au mythe antique des Amazones, des femmes combattantes mises en scène dans des poèmes épiques (1), représentées sur des milliers de vases ou sculptées dans la pierre des temples grecs. Dès l’Antiquité, ces personnages fabuleux ont d’autant plus excité l’imagination que la fonction guerrière était rarement ouverte aux femmes des cités. Les Amazones de l’épopée formaient un peuple localisé aux frontières du monde grec (Asie mineure ou mer Noire). Dans les textes, il ne s’agit pas, pour ces femmes guerrières, de rejeter une puissance masculine en général mais de secourir des alliés, venger un affront ou préserver l’autonomie de leur peuple (2). Lorsque, ici ou là, toujours aux confins du monde connu, des traces de femmes combattantes étaient attestées, les Grecs y voyaient des descendantes de leurs martiales aïeules. Les Amazones épiques portaient des noms personnels (Andromaché, Penthésilée, Antiope, etc.) ; elles pouvaient ainsi être individualisées à la manière des héros qu’elles côtoyaient et dont elles manifestaient la même bravoure et excellence (3). Au même titre que les déesses, les Amazones représentaient l’image fascinante d’une puissance supérieure à celle des simples mortels, hommes ou femmes.

Notes :
(1) Homère, Iliade III, 189 ; VI, 186.
(2) Hérodote IV, 110-117 ; Diodore de Sicile, Bibliothèque historique II, 45 ; III, 52-55 ; XVII, 77.1-3 ; Histoire Auguste, Vie d’Aurélien, XXXIV (« de Amazonum genere »).
(3) Josine H. Blok, The Early Amazons. Modern and Ancient Perspectives on a Persistent Myth, Leyden, New-York, Cologne, 1995.

Un sein coupé ?

« […] On les appelle Amazones parce qu’elles se coupent le sein droit afin d’éviter qu’il ne les gêne lorsqu’elles tirent à l’arc (ὅτι τὸν δεξιὸν μαζὸν ἔτεμνον, ὅπως μὴ πρὸς τὰς τοξείας ἐμποδὼν γένηται). C’est faux, car cela leur aurait été fatal. Hellanikos et Diodore disent que, pour éviter qu’il ne pousse, elles brûlaient l’endroit avec un objet en métal avant qu’il ne se mette à pousser » (F. Jacoby, Die Fragmente der grieschischen Historiker, Leiden: Brill [1923-1958; repr. 1954-1969], 4 F 107). C’est ainsi qu’Hellanikos, historien grec du Ve siècle av. J.-C. réfute une idée reçue de son époque : : les Amazones ne se tranchent pas le sein mais brûle le mamelon des petites filles pour l’empêcher de se développer. Cela dit, les représentations figurées montrent toujours des Amazones non mutilées. Nous avons ici un exemple des tentations que certains Grecs avaient de rendre rationnelles des histoires merveilleuses.

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Fig. 2 : Carte. L’expansion des kourganes, tertres funéraires dans lesquels des femmes ont parfois été retrouvées associées à des dépôts d’armes. © Wikimedia Commons.

Les tombes des « Amazones »

Les fouilles entreprises depuis la fin des années 1990 dans les régions caucasiennes, notamment dans les kourganes, confirment que la steppe était habitée, depuis la fin de l’âge du Bronze et jusqu’à l’empire romain au moins, par des peuples de cavaliers où femmes et hommes participaient à la chasse et aux combats. La technologie la plus récente (analyse d’ADN) prouve aujourd’hui que certains des défunts porteurs de blessures de guerre et enterrés avec leurs armes étaient des femmes. Pourtant, il faut ajouter que les sépultures féminines avec dépôts d’armes trouvées dans le Nord Est de la Mer Noire (surtout entre le Don et la Volga) dès le vie siècle avant J.-C., ne concernent que 20% (au maximum) des tombes féminines du contexte historique étudié. Il y eut bien des femmes guerrières dans la région du Don dès le VIe siècle, mais celles-ci accompagnaient des hommes et constituaient une « classe », déterminée par un statut social et un âge particulier. Si ce n’était pas des Amazones, au sens épique, il s’agissait bien, en revanche, de femmes guerrières.

Bibliographie :
Iaroslav Lebedynsky, Les Amazones. Mythe et réalité des femmes guerrières chez les anciens nomades de la steppe, Paris, Errance, 2009.
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Fig. 3 : Carte postale. Les Amazones du Dahomey, les vétérantes. © Wikimedia Commons. Photo : DR.

Les modernes Amazones

Il est d’usage, depuis l’Antiquité, de désigner comme Amazones des femmes combattantes jugées exceptionnelles. Ce sont, déjà pour les Grecs, de modernes Amazones, c’est-à-dire, pour eux, des descendantes de leurs martiales et mythique aïeules. Ainsi Artémise, la reine d’Halicarnasse qui tint tête aux Athéniens lors de la bataille de Salamine en 480 av. J.-C., est une femme combattante qui a bel et bien existé : elle a vécu en Asie Mineure, à Halicarnasse, la cité d’Hérodote qui lui consacre plusieurs passages de ses Histoires. Cette Artémise est déjà associée par ses contemporains à l’Amazone, terme employé comme métaphore de la guerrière résistant à l’ordre social (Aristophane, Lysistrata, 675). Bien d’autres modernes Amazones ont existé qui n’ont rien à voir avec le peuple des Amazones antiques et poétiques qui reste un mythe merveilleux mettant en scène la force et l’autonomie toujours possible des femmes, et ce dans tous les domaines de la vie sociale.